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Tout ce qu’il trouve à clapoter, c’est :

— Je n’y suis pour rien !

— À quoi joues-tu ?

— Je ne l’ai pas tuée, je le jure… Je ne l’avais même jamais vue.

— Comment veux-tu qu’on envisage une seconde de te croire, alors que tu prétends l’avoir kidnappée ?

— J’ai menti.

Bérurier qui vient de licebroquer contre le mur de la mairie, malgré son tempérament profondément républicain, intervient.

— Gamin, j’arbore les menteurs. Surtout quand t’est-ce c’est à moi qu’ils mentent. Alors, de trois choses l’une : ou t’as vraiment menti, ou tu mens en disant que t’as menti, ou tu vas mentir en disant la vérité, dans lesquels trois cas, je me considère comme baisé en levrette et je te le fais payer au prix du faux-filet !

J’écarte le Gros d’un revers puissant.

— Laisse, la parole est à monsieur.

Puis, à Casuel :

— J’attends ta nouvelle version.

Il est littéralement fasciné par le cadavre de Mme X…

— Un meurtre, balbutie-t-il, c’est que ça change tout !

Bon, il croit qu’on l’a assassinée. Pour lui, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

— Il s’agissait d’une petite machination, déclare-t-il. Un truc pour torpiller monsieur X…

— Explique !

— Je vous ai prétendûment agressé. En réalité on comptait que vous me neutraliseriez : on vous connaît.

Le compliment me caresse l’orgueil au passage, néanmoins je maîtrise mes réactions.

— Tu veux dire que tu as monté ce coup de la rue Sainte-Nitouche uniquement pour qu’un renversement de situation nous amène à t’interroger ?

— Exactement.

— Tu as fait mine de céder aux sévices de l’officier de police Bérurier pour nous faire gober un diabolique mensonge ?

— Voilà.

Sa Grosseur tonne :

— Donc, y m’a doublement enviandé. Tu me laisseras y causer tout de suite que t’auras fini, Sana. Je commence d’en avoir plein les galoches, moi, d’être doublé par tout un chacun et toute une chacune : ma bonne femme, mes chefs, mes prévenus, ça finit à faire un peu beaucoup et ça me craque la sous-ventrière, à force d’à force !

— Tu fais réellement parti du R.E.T.I.C.U.L.E., Casuel ?

— Exact.

— Qui t’a commandé cette glorieuse machination ?

— Un supérieur, naturellement.

— Son nom ?

— Alors là, vous pouvez courir, dit catégoriquement notre « collègue ».

Bérurier exale un râlement de goret évacuant par une entaille à la gorge son ultime litre de sang.

— Est-ce t’as entendu ce que je viens d’entendre, Tonio ? me demande le cher homme.

L’autre poursuit.

— Écoutez, les gars : si je n’avais pas un beau paquet de ce que je me pense, là où vous pensez, je ne ferais pas ce boulot, logique, non ? Je m’affale quand il le faut. J’ai rempli mon programme. Joué le jeu à bloc. O.K., parfait. Comme il s’agissait d’un haut personnage politique, on se doutait que le coup s’écraserait mollement. Je ne risquais pas grand-chose. À présent, vous me montrez le cadavre de la dame, alors je crie pouce. Ce détail n’était pas inclus dans mon contrat. Et sûrement pas prévu par mes patrons. Comme je n’ai pas envie de passer aux assiettes pour un autre, moi qui suis de neige dans tout ça, je préfère vous déballer la vérité. Bon. Seulement de là à vous craquer mes supérieurs, vous repasserez. C’est correct ?

In petto, je dois admettre que ça l’est.

— Donc, tu n’es pour rien dans l’enlèvement de cette femme ?

— Je peux te le prouver, me rétorque-t-il, usant de ce tutoiement confraternel dont j’ai pris l’initiative. Alibi en acier trempé : j’étais à me tirer les couennes au soleil de Djerba lorsqu’un câble m’a rappelé, et je n’ai déboulé à Paname que ce matin.

J’opine (d’âne).

— Probable qu’on t’a rappelé uniquement parce que tu pouvais arguer de ce bel alibi en cas de pébroques ?

Il réfléchit un court instant.

— C’est en effet envisageable.

— Donc, tu ne sais rien ?

— Rien. J’ai été chargé de vous raconter une histoire, un point c’est tout, et de m’y prendre de telle sorte que vous soyez conditionnés pour la croire sans hésitation. Là, s’arrête mon boulot.

— Qui nous le prouve ?

Il hausse les épaules. Marrant comme sa personnalité s’est modifiée depuis qu’il a rendu son rôle, l’Albéric. Il a pris de l’assurance. C’est un dur d’une catégorie spéciale, un casse-cou, un téméraire. Mercenaire dans son genre, paré pour les actions les plus louches, les entreprises les plus tortueuses, mais capable de panache quand il faut. Il s’est laissé tabasser par Béru sans rechigner, mettre la frime en compote parce que ça faisait partie du jeu auquel on l’avait soumis. À présent qu’un « incident technique » s’est produit et qu’il y a eu renversement de vapeur, il se réinstalle dans sa vraie nature.

On va voir.

Et je lui dis, à mi-voix, plus pour répéter la chose à mon subconscient que pour la lui dire :

— On va voir.

— C’est tout vu. Vous ne pouvez me convaincre que d’insulte à magistrat…

— Et d’attaque à main armée, fils ?

Il rigole.

— M’étonnerait que ça aille loin, on marine tous dans un tel bain de merde qu’on n’a pas intérêt à faire des vagues. Mon pote, la politique, c’est une denrée à fuir quand on a, comme toi, une âme simple dans un corps sain.

Bérurier pose sa veste.

— Défais-y les poucettes, San-A. Ce mec, il me court si tellement sur la prostate qu’y faut que je me le paie à la loyale.

— Pas devant le corps de cette malheureuse, tout de même !

— N’importe où…

— Là, vous me feriez plaisir, les gars, déclare Casuel. Ce que j’ai pu ronger mon frein pendant que ce poussah me dérouillait. Merde, si je ne m’étais pas dominé, tu aurais vu ta hure, l’ami !

— Sors dehors, que je te rentre dedans ! enjoint Béru.

Y’a de la nervouze dans l’air, mon camarade. On n’y peut peu. Moi-même, je crois que ça me soulagerait de me tabasser avec un pékin. J’enlève le cabriolet deux places de Casuel et il suit Bérurier dans la cour.

Je les y rejoins pour questionner les gendarmes.

— Dites-moi, brigadier, où a-t-on repêché le cadavre ?

— Il était coincé contre une drague.

— Un médecin l’a examiné ?

— Oui : le docteur Rapière, de Grocolomb.

— Grocolomb, c’est le bled qu’on traverse en venant ici ?

— Oui. Mais qu’est-ce qu’ils font, ces deux types ?

— Ils se battent, brigadier.

— Mais pourquoi ?

— S’il fallait s’occuper des affaires de chacun… Il a fait un rapport, le toubib ?

— Pas encore. C’est un original. Il a dit qu’il l’enverrait… Enfin, bon Dieu, il faut les séparer ! Que va penser la population : deux hommes qui s’empoignent devant des gendarmes, sans que les gendarmes réagissent… Voyez, les gens s’arrêtent.

— Ça vous évitera de les arrêter vous-même, gloussé-je.

— Dites, c’est pour un constat ou pour vous foutre de ma gueule que vous êtes venu, commissaire ? J’aime pas beaucoup vos manières, vous savez ?

— La prochaine fois, on vous enverra le catalogue des commissaires disponibles, mon vieux, vous choisirez…

— Vous allez tout de suite faire cesser cette bataille de chiffonniers !