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Non, tu te rends compte ! Des ordres ! À moi ! Un gendarme ! Merde, j’ suis pas bégueule, mais tout de même.

— Écoutez, mon vieux, vous commencez à me cavaler sur le haricot. Et je vous interdis de me parler sur ce ton.

— Et moi je…

Lui, rien. Vu qu’il vient d’effacer ma droite au menton. Tu parles d’une Melba ! Le v’là les quatre fers en l’air dans la cour. Les gens se ramènent de plus en plus nombreux. On rameute dans le village, oyez ! oyez ! bonnes gens. Les bourres français qui se la tirent : police judiciaire, gendarme, police parallèle !

Ça devient la sinistre échauffourée. Béru et Casuel en décousent à tout va. Leurs horions, tu croirais des coups de maillet sur un tonneau. Mon brigadoche s’est relevé, sans son kibour, et me charge à la sauvage, le visage révulsé par la fureur gendarmière. Son pote (les pandores vont par deux, comme les burnes), intervient idem. Je me retrouve avec deux archers sur le paletot. Je refoule, du poing et de la savate. On grogne, on ahane.

Et puis voilà Pinuche qui sort de la tire où il ronflotait, alerté par le vacarme de la population. Histoire de me soulager, il m’en prend un : le plus petit. Si bien qu’on fait trois couples de combattants. Barnum et ses trois pistes ! Les gens crient, applaudissent. Les lardons sont sortis de la communale. Ça piaille, trépigne, gesticule. Y’a là le boucher, avec son tablier sanglant retroussé, le savetier avec son tablier de cuir, l’épicier avec sa blouse grise, l’institutrice avec sa blouse blanche, le maréchal ferrant-porte-bonheur, avec son tranchoir, le bistrot avec sa cirrhose, le facteur avec sa sacoche. Des santons de province !

Ravis de l’aubaine, tous, tu parles ! Quand tu vois les programmes de la téloche, à côté ! Mon matuche a une force herculachose ! Quand il me charge, j’ai l’impression de prendre un char romain dans le baquet ! Heureusement que j’ai pour moi le sens de la feinte ! Une esquive, deux, trois, ça l’enrogne outrancièrement. Un type aveuglé par la rage, il devient évasif du geste, c’est connu, reconnu, lu et approuvé ! Je le laisse se fatiguer. Ensuite, je l’assaisonne : coup de boule au poitrail, une-deux à la face. Il retourne à dame, nanti d’un de ces airs pensifs qu’on a jamais vu sur la frime d’un gendarme. Ouf ! je vais mieux. L’aide à se relever. M’excuse poliment. Pinuche, lui, est allongé, les bras en croix, son galure sur la face. Tu croirais un Magritte ! Son adversaire s’en est tiré avec une simple écorchure à l’oreille (il s’est fait ça ce matin en se rasant). Par contre, le combat-vedette se poursuit, ponctué de fortunes diverses. Les vaches, quelle rouste ils se mettent ! Tout y va : la tête et les jambes. Les hommes bleus du désert ? Tiens, fume ! Cette corrida, madoué ! Casuel paraît prendre le dessus. Il a une technique folle, ce gus. Tu sens le mercenaire surentraîné. Qui connaît les coups hypocrites.

La chourinerie, ça n’a pas de secrets pour him. Un coup de latte au plexus et Mister Ponpon va à dame. Il fait le crabe renversé, le Gravos. Moment pénible. Enfin, il s’ébroue, se redresse. L’autre attend, en garde. Garde basse, véry basse. Bérurier halète comme une gare au moment des vacances. Il est plein de sang et de haillons. Il n’a plus de boutons nulle part, plus de poches, plus de revers. Il attend un peu que l’oxygène de cette cour de mairie le guérisse de l’asphyxie.

Il hennit et recharge.

Beau travail !

Tu sais quoi ? Il a brusquement renoncé à se battre, mon bon Béru. Car il a pigé que sur le plan combat il ne gagnerait pas. Alors il joue sa force, uniquement sa force taurine. Or, ça fait quoi, un taureau ? Ça charge. Juste ça, mec : ça charge. Mais en cataclysme.

Albéric va pour placer un uppercut. Sans doute qu’il le place ! Dans le typhon va-t-en savoir ? La tornade noire le décolle de terre. L’emporte. Le coltine jusqu’au mur de la mairie. Le bruit, je voudrais te le reconstituer : fchlaouffff ! Oui, dans ces eaux-là. Fchlaouffff (tu peux rajouter des « f » si t’es pas en voix). Les deux hommes demeurent longuement immobiles. Ventre à ventre, joue contre joue.

Et puis ils dégoulinent le long de la muraille et s’affalent inertes l’un sur l’autre.

Inséparés.

* * *

Une vieille maison délabrée dans un parc en friche. La plaque du portail, annonce : « Docteur Adhémar Rapière. Ex-Interne des Hôpitaux de Paris. Médecine générale, voies urinaires. »

Je remonte l’allée broussailleuse qui mène à un petit porche triste sommé d’une lanterne fêlée.

Je sonne.

Ça ne répond pas.

J’insiste.

Alors une voix étouffée, masculine de surcroît, comme l’écrivait la Comtesse de Ségur dans son Ode au Maréchal Pétain, lance un : « Entrez, bon Dieu ! » qui sent son homme de caractère.

Je pousse la porte. Elle n’attendait que ça pour s’ouvrir.

Vingt-gu, ce que ça fouette dans la bicoque ! L’aigre, le sale, le délabré. Les murs sont écaillés, mais on ne peut pas les voir car des piles de livres et de revues sont dressées contre. Une horde d’insectes que, n’étant pas entomologiste, je ne puis te mieux préciser, se disperse en carapapatant sur le carrelage démis qui tremble sous tes pas.

Le couloir est obscur. Quatre portes y donnent, qui toutes sont grandes ouvertes. Je perçois un halètement. Le bruit, tu n’y peux rien, c’est ce qui t’incite le mieux après la lumière. Aussi, m’y dirigé-je.

J’arrive de la sorte au cabinet de consultation du praticien, et bien m’en trouve, car il m’est dès lors accordé de voir une scène particulièrement particulière.

Je te la livre in extenso pour que tu te fasses moins mal.

L’antre, d’abord…

Là, comme dans le couloir, les imprimés (livres et revues) ont continué leur inexorable invasion… Au point qu’on se croirait dans quelque entrepôt de soldeur, comme on en trouve encore dans la rue du Caire, à Paris. Il ne reste que peu de place pour l’équipement professionnel du docteur. Cet équipement se compose : d’un vieux bureau déglingué, d’une table d’examen, et d’un lavabo antédiluvien, dont l’émail est presque totalement parti.

Pour l’heure, une personne de sexe infiniment féminin (aucun doute ne m’est laissé) occupe la table aux repose-jambes largement déployés… C’est d’elle que proviennent les râles mentionnés quelque peu précédemment. Un monsieur d’âge est installé entre les jambes de la patiente, sur un prie-dieu. Mais en guise de dévotions, il lui développe une magistrale tyrolienne à crinière. L’intéressée (ô combien intéressée) se trémousse de plus en plus vitement. Ses plaintes montent. Elle ronronne. Mentionne le nom du Sauveur. Appelle sa mère. Clame des onomatopées d’intonations affirmatives. Et assure que c’est bon, que c’est bon, qu’ c’est b’on, qu’ c’ b rrrouhâââ ! Conscient de ma présence, le prodigueur se retire un instant de son embouchure. Effectivement, il est vieux, barbu façon Victor Francen, avec l’œil sévère.

— Je suis à vous tout de suite, jeune homme ! me dit-il, Madame est sur le point de partir.

Ensuite de quoi, il retourne à son mouton, lequel est particulièrement noir et frisé.

Il active la manœuvre. La complète de la main droite d’abord, ensuite de la gauche.

La toute belle envolée, mes chéries. Le bouquet somptueux. Une apothéose !

Comme annoncé par l’expert, la dame part en effet. C’est un décollage glorieux, ample et sûr. Elle tremble de tous ses réacteurs, son fuselage a la danse de saint Guy. Elle prend de la vitesse, pique sur le septième ciel, rentre son train d’atterrissage, décrit une orbe magistrale, trouve sa direction et disparaît dans un « awtchhhhhhhhhhh » qui n’en finit pas.

Le vieux toubib abandonne sa position agenouillée pour aller rinçoter ses doigts au lavabo. Ensuite de quoi, il se sert un verre d’Evian.