La personne qu’il vient de « traiter » descend de son perchoir. Elle me salue d’un cordial hochement de tête. C’est une dame forte et mûrissante, vêtue avec quelque recherche. La voici qui récupère son sac à main sur une pile de Revue des Deux Mondes. Elle y puise des billets de dix francs qu’elle dépose sur le bureau. Le docteur remplit sa feuille de maladie, la lui tend. La dame s’en va en disant : « Merci, à la semaine prochaine, docteur. »
Le médecin me fait signe de prendre place sur un tabouret de cuisine et lui-même s’assied sur le prie-dieu, ce qui le place en position nettement inférieure par rapport à moi.
— Et vous, qu’est-ce qui vous amène ? me demande-t-il.
— Oh, pas du tout la même chose, docteur, affirmé-je avec un sourire.
Il chausse son nez de lunettes à monture métallique récupérées dans l’une de ses poches.
— Je m’en doute.
— Vous avez des clientes complaisantes.
— Comment ça, complaisantes ? Elles viennent pour « ça », mon cher ; uniquement pour « ça ». Depuis longtemps j’ai dérapé de la médecine à la minette. Un don, ça se cultive, non ?
— Effectivement, vous m’avez paru extrêmement compétent.
— Ce serait dommage : je suis le président de la S.M.T.C.
Il tapote un insigne fixé à son revers, entre le ruban de la lésion d’horreur et celui des napalm cadavériques. De forme triangulaire, celui-ci représente une langue pendante stylisée et frappée des quatre lettres qu’il vient d’énoncer.
— Ce qui signifie ?
— Société de Minettes Toutes Catégories. Je suis chargé de cours à notre faculté.
Avant que j’aie eu le temps de marquer ma surprise et mon intérêt (lesquels sont étroitement mêlés), cet homme passionné et passionnant se lance dans une éblouissante dissertation sur son art.
— Très vite, très jeune, je me suis rendu compte que l’amour dit normal n’était qu’un acte bon pour les lapins. Un geste de pépiniériste. Rien d’autre qu’une intervention destinée à perpétuer l’espèce. Les satisfactions sensuelles que je retirais de cette ridicule friction, non seulement me laissaient insatisfait, mais me causaient surtout un profond sentiment de gêne. « Après l’amour, l’animal est triste » dit le proverbe. Comme c’est vrai ! Immensément vrai ! Et savez-vous pourquoi il est triste, l’animal ? Parce qu’il a honte. L’animal mâle, s’entend, car l’animal femelle possède cette auto-satisfaction qui le rend aussi heureux après qu’avant pour peu que son partenaire se soit correctement comporté. Vous me suivez ? Parfait. En étudiant le problème, j’ai découvert que la seule satisfaction « réelle » de l’homme, c’est de provoquer la jouissance de la femme. Alors là, oui, il est comblé car, en amour, son orgueil est plus important que son pénis. Le jeu consistait donc à donner le plaisir sans l’éprouver sous la forme éjaculatoire classique ; c’est-à-dire en restant pleinement disponible en toutes circonstances. Je me suis donc mis à explorer les ressources fournies par ma langue. Je me suis vite aperçu qu’elles étaient infinies. Elle est davantage complémentaire du sexe féminin que le membre le plus érectile. Car il est tout en nuances, le sexe féminin, mon ami. C’est un délicat violon, et que nous violons en soudard, la plupart du temps. L’imbécile d’homme se présente avec sa trique de guignol en guise d’archet et, tout comme Guignol il frappe à tort et à travers, surtout à travers ! L’homme est une baratte. Il croit faire l’amour, mais en réalité, il bat le beurre. Tandis que la langue… Quelle souplesse, quelle agilité. Omniprésente, savante, ironique, suave ! C’est, notez-le, une particularité de notre peuple de France ; pourtant, le Français, qui bouffe si bien à table, bouffe assez mal au lit. Si, si, si. Il confond chatte et sandwich, mon bon. Quand il condescend à descendre jusqu’au c…, il se met illico à dévorer. C’est un goinfre de l’amour. Foin des subtilités qui, pourtant, en font tout l’agrément. Minette ! Minette ! Minette ! Voilà mon cri de guerre. Le ralliement universel. Grâce à un entraînement prodigieux, je crois pouvoir dire que j’y suis passé maître. Mais que d’exercices linguaux, mon ami ! Avant d’être un vrai minoucheur, un pur, un pro, que de gammes ! Ah, il faut y consacrer plus de temps qu’une danseuse étoile à la barre ! La vérité ? Des heures chaque jour. Vous m’entendez bien ? Au moins deux : matin et soir. Allllll ! Vous voyez : je place ma langue en virgule, comme si j’allais parler anglais ou jouer du piston. Décontraction : alllll ! La sonorité doit être toujours identique ! Alll ! C’est un peu rauque, mais velouté pourtant, plein d’infinis frissons. Faites allll ! Non, mon cher, zéro ! Enfin j’exagère, mettons 8 sur 20. Il y a de l’intention, de la bonne volonté, mais ça reste trop intérieur. Allll ! Agilité ! J’ai calculé avec un spécialiste de l’acoustique que j’obtiens jusqu’à quarante vibratos seconde. Il faut une vie pour parvenir à ce genre de performance, mon garçon.
« Et puis alors, et puis alors, et puis alors, se pose la question de la respiration. Alors, là, alors, là… L’agilité, naturellement, rien n’est possible sans elle, mais elle ne suffit pas. L’ayant obtenu, pour l’utiliser à plein, il faut savoir régulariser son souffle. Ne pas respirer seulement avec le nez, comme quatre-vingt-quinze pour cent des brouteurs. Ils te vous font un bruit de goret cherchant des truffes, ces crétins. Ça tue l’extase, ça. La dame minouchée se croit entreprise par un asthmatique. D’autant que vous ne pouvez respirer convenablement du nez lorsque celui-ci est enfoui dans une touffe, n’est-ce pas ? Aussi faut-il se référer à la technique des nageurs. Conjuguer l’effort immergé et sa poursuite en émergence. Car en matière de minette, mon ami, la continuité est clé. Pas d’interruption avant la victoire finale. Il faut une endurance peu commune pour tenir la distance. Alllll : aspiration ! Allll : expiration ! Cadence ! Cadence, d’une régularité telle que l’on doit absolument, je répète : ab-so-lu-ment, créer une sensation continue. Ceci pour la langue. Uniquement. Postérieurement, d’autres éléments interviennent : le nez, justement, dont nous parlions précédemment. Il doit participer, lui aussi : en ponctuant d’un léger frottement. L’instant arrive où tout apport nouveau est transcendé dans des proportions que vous n’imaginez pas. La main droite (si vous n’êtes gaucher) se produit en pré-apothéose. C’est elle qui d’ailleurs la déclenche. Vous faites le “V” de la victoire, ami. Index et médius convenablement écartés. Fourche divine qu’il s’agit d’introduire dans ses compartiments respectifs. Vous me suivez ? En souplesse, grâce à une lubrification généreuse autant que naturelle. Léger mouvement de va-et-vient, assorti d’un frétillement lent de poisson. Comme ceci… Vous voyez ? Compression, explosion… Du rythme. Toujours. De la constance !… Alllez ez ez ez… Retour ! Alllez ez ez ez… retour ! Sans ralentir l’activité linguale, oh que non. Toujours alll ! Alll ! Alll ! Répétez après moi : alll ! allll ! La main gauche, à présent, au sein. La pointe, vite ! Vous tournicotez doucement, comme si vous cherchiez Europun ou R.T.L… Alll ! Alll ! Alllez ez ez ez… Retour ! Tout en cadence ! Main gauche, main droite, doigts en fourche, respirez sans vous affoler. Alll ! Alll ! Encore. Ça y est ! Prenez garde aux ruades, ces garces se mettent à gesticuler du c… au moment où l’on ne s’y attend pas. Elles te vous font déraper, souvent. Auquel cas, tout est à reprendre. Surveillez votre assiette ! Gardez bien l’équilibre ! Surtout prévoir une position confortable, au début on fatigue. Allll ! Allll ! Allll ! Va-et-vient ! Le bouton du poste. Réglez-moi ça ! Mieux ! Mieux encore ! Elle démarre. Pourvu que le téléphone ne se mette pas à sonner ! Plus vite ! Alllez, go go go ! Elle s’emballe. Hooooo brrrrrr youp ! Tout se joue. C’est parti. Le point de non-retour est atteint. Irréversible désormais. Elle part ! Elle explose. Elle arrive ! Tilt ! Fini ! Bravo ! Décélération progressive. Ne pas lui démanteler le système nerveux. C’est elle-même qui doit stopper la manœuvre. Elle est souveraine. La décision, le contrôle lui appartiennent. Aaalll, aaaaaaal, molo, on atterrit. Ne pas détacher vos ceintures avant l’arrêt complet de l’appareil ! Aaaaaaaaal, lll, l ! Terminé. Qu’est-ce qu’elle dit ? Merci ! Elle peut ! Salope !