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— J’écoute !

Mince, je m’attendais plus. Je somnolais debout, bercé par la sonnerie.

Une foix de femme.

— 96 égale 69, lâché-je en réprimant un bâillement.

— Très bien. Alors ?

— Il faut que je vous voie d’urgence, c’est d’une importance capitale.

— Quelle affaire ?

— « Monsieur X ». Du nouveau…

— Venez !

On raccroche.

T’as jamais vu un San-Antonio éberlué, técolle ?

Ben, chope ton Kodak et radine, ça vaut le flash !

* * *

— Vous êtes trois ? s’étonne-t-elle en nous découvrant sur le palier, obscur.

— Oui, madame, comme les 3 Mousquetaires lorsqu’il en manquait un, réponds-je.

Elle a un petit rictus informe et s’efface pour nous laisser entrer.

Au bout du misérable vestibule, l’est une patère noire (comme ils disent au Zuhéssa occidental). L’aimable vieille s’y dirige délibérément, comme si ce porte-manteaux à glaces biseautées ne constituait pas un obstacle. Effectivement, il suffit d’une légère pression de main pour que la patère pivote.

À présent, le vestibule continue, mais autrement.

On quitte la léproserie pour débouler chez Onassis. Foin de murs lépreux, de carrelages disjoints, de pauvres portes écaillées, moquette, murs tendus de soie, tapis, tableaux. The luxe ! Et les tableaux sont modernes.

On pénètre dans une sorte de vaste salon-bureau-bibliothèque, très somptueux, avec un plafond Louis XIII d’époque, des tapisseries du 13e, des meubles dont certains sont pur roman et quelques-uns gothiques.

Les frères Drouet nous attendent, dans des robes de chambre de satin cramoisies comme un Béru d’après banquet. Une pochette de soie blanche gonfle la poche supérieure, les parements sont de soie noire. Ils n’ont plus du tout, mais alors du tout, leurs pauvres gueules de demi-demeurés. Il y a, entre le tandem que j’ai connu et celui qui se tient devant une vaste cheminée éteinte, la différence existant entre l’appartement donnant sur la petite rue Sainte-Nitouche et celui-ci qui, si mon sens de l’orientation joue à plein, doit donner sur la merveilleuse place des Vosges.

Leurs airs sont graves, leurs regards pointus.

Marrant, le flair d’un poulardin. Tout à l’heure, à la brasserie, au moment de douiller les consos, j’ai eu un frémissement d’origine glandulaire comme les prémices d’une bandaison.

Je me suis dit, c’est en sortant de chez les Rêvistes-Insulteurs que Casuel…

— Bonsoir, messieurs.

Ils ont une furtive inclinaison de tête.

— Permettez-moi de vous présenter les officiers de police…

— Laissez, dit Victor, nous connaissons tout le monde.

— Car vous êtes les grands maîtres du R.E.T.I.C.U.L.E., n’est-ce pas ?

Ils ne se regardent pas, ne cillent pas. Je sais qu’ils ne répondront pas à mes questions. C’est hors de propos. Hors de… de question, quoi !

— La raison de votre visite ?

— Je vous accuse d’avoir fait assassiner Albéric Casuel et Ernest Meissonier. L’un parce qu’il en savait trop, l’autre parce qu’il voulait vous trahir. Je vous accuse du meurtre de madame X… Je vous accuse de mutilation volontaire sur la personne de monsieur X… Je vous accuse de tentative de meurtre sur la personne des officiers de police Pinaud et Bérurier, sur la mienne, et sur celle du docteur Rapière. Je vous accuse d’avoir causé la mort d’une dizaine de personnes dans l’incendie de l’hôtel particulier de la rue Kelpine, je vous accuse du meurtre de madame Veuve Meissonier, voilà, mais il se peut que j’en oublie…

— C’est tout ?

— Pour l’instant. Officiellement, le R.E.T.I.C.U.L.E. n’existe pas, n’est-ce pas ? Donc, pour moi, représentant du pouvoir officiel, il n’existe pas non plus. Je vous prie donc de me suivre.

— Sans mandat d’amener, commissaire ?

— Sans mandat d’amener, monsieur Drouet.

— Qu’est-ce qui vous permet de transgresser la loi ?

— Le fait que j’en ai plein le c… de ce cirque, mon père. Je n’aime pas qu’on me tire dessus. Je hais les sales combines et les assassins. Alors suivez-nous, j’invoquerai l’état de légitime défense…

— Et si ça se gâte pour vous ?

— Alors ça se gâtera à la face de l’opinion et non dans les ténèbres où vous vous complaisez, comme les horribles bestioles qui vous servent de tueurs à gages. Vous m’avez admirablement possédé, l’autre jour avec vos charmants numéros de demeurés. Couverture superbe, messieurs, bravo : l’appartement minable, la vieille maman, et ces pittoresques occupations de rêviste et d’insulteur. Deux vieux frangins puceaux et dingues dans un quartier en haillons, qui donc irait soupçonner…

Je ris.

— C’est vous, l’insulteur, qui avez dépêché Casuel sur nous après votre consultation, et tandis que je « consultais » votre frère. Seulement Meissonier qui vous faisait de l’arnaque en soutenant « monsieur X », le filait. Car vous lui aviez piqué « madame X » qu’il avait ramenée à Paris après avoir foutu sa bagnole au jus, n’est-ce pas ? J’ignore exactement ce qu’étaient vos rapports avec Meissonier, mais je sais que c’est ainsi que les choses se sont passées. Et vous avez fait noyer la pauvre femme ! Et vous l’avez flanquée à son tour dans l’Yonne après lui avoir introduit dans la bouche le bout d’oreille prélevé à son époux… Allez, debout, suivez-nous.

Comme ils ne bronchent pas, Béru dégaine son feu.

— On vous cause, les frères Jacques !

Hugo soupire :

— Bonté divine, ce que ces fonctionnaires sont étroits ! Allons-nous changer, Victor…

Il se lève, son frelot idem. Ils sortent sans nous demander notre avis.

— Hé ! Pas si vite ! hurlé-je en m’élançant.

C’est le moment que choisit le sol pour, comme on dit dans les romans début de siècle, se dérober sous nos pieds.

* * *

Tu parles d’un valdingue, d’un pêle-mêle…

On est chiffonnés, contusionnés, meurtris, bosselés, et principalement vexés.

On se retrouve enchevêtrés, dans une petite pièce blanchie à la chaux (de Pise, évidemment).

Pinaud vomit. Béru saigne du nez. Et moi je jure…

Ça ne sert à rien de blasphémer, d’accord. Mais je jure, que veux-tu ! Impossible de m’en empêcher. Je jure jusqu’à ce que la voix d’un des Drouet me tombe dessus, par le truchement d’un appareil de phonie.

— Messieurs les flics, vous n’êtes que trois idiots bornés qui eussent été incapables de faire carrière s’ils avaient vécu. Si vous aviez docilement décroché quand il en était encore temps, vous auriez pu mourir vieux ; hélas, vous en savez trop maintenant. Dans quelques secondes, nous allons couper la lumière ; auparavant, regardez !

Regarder quoi ?

Y’a nous trois. Des murs blancs, un plancher blanc, un plafond bl… Un trappon s’ouvre, étroit. Une espèce de grappe de raisins passe par l’ouverture et choit près de nous.

— Qué zacco ? dmande le Mastock.

Pas besoin de lui répondre. Il réalise en même temps qu’il questionne. Un essaim d’insectes brésiliens est là qui se défait déjà, et se rue dans notre direction.

* * *

La lumière s’éteint.

T’as beau ricaner, mais qu’est-ce que tu veux, c’est des drôles de moments dans l’existence.

Lorsque tu as vécu ça et que tu t’en es sorti, t’as droit à la retraite à soixante ans. Parce que les soixante carats, pour se les respirer, y’a fallu y mettre du sien, crois-le ! Je sais des centenaires qui ont moins fait pour leur siècle de connage que nous autres nous faisons pour tâcher d’accéder à ces malheureux soixante piges.