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Mémaine mimique pour exprimer qu’elle ne croit pas à un résultat positif de sa mission.

Elle ouvre la porte d’un salon ravissant, meublé rustique fruitier, traverse icelui et va toquer à une lourde.

À plusieurs et différentes reprises.

Tant qu’à la longue, une voie faiblarde geint un « Mais quoi, enfin » qui en dit long sur l’humeur de l’occupante.

— C’est un commissaire de police qui veut vous voir, madame !

Un feulement de tigresse :

— J’ai dit personne, Germaine ! Per-sonne ! C’est clair ?

— Bien, madame.

La gravosse non épilée veut se rabattre, mais je l’ai rejointe avec une promptitude silencieuse à côté de laquelle celle d’un chat passerait pour une charge d’éléphants dans un film de la Métro.

— Pardonnez-moi d’insister, madame X…, je viens pour vous aider et il est indispensable que nous ayons un entretien. Je vous demande d’avoir confiance en moi.

Tu m’entendrais susurrer.

Tu sais, les radio-reporters d’avant-guerre, qui assuraient la fin de l’émission et vaporisaient du « petite madame » dans les tons veloutés. « Je vous imagine, petite madame, dans la clarté orangée de votre abat-jour… » La mouillance du soir. Le conditionnement de la ménagère pour la rendre apte au troussage du guerrier. Les daronnes, en essuyant leur vaisselle, après avoir plumardé les chiares, elles écoutaient pâmées ces voix mystérieuses et basses, vibrantes, exaltantes qui leur éveillaient des langueurs dans la culotte. Les petites madames, dans la clarté orangée de leur abat-jour, elles en avaient la glandaille en survoltage, les mères. Du coup, leur méchant julot qui ronflait déjà sous le journal du soir, dans la chambre à côté, se parait de romantisme. La voix du spiqueur les arrachait à leur médiocrité fatiguée. « Approchez plus près votre oreille, jolie madame, plus près encore, car c’est l’heure ensorceleuse des confidences » que ramonait l’autre en bectant son sandvouiche rillettes devant sa passoire.

La magie d’une voix, pas une gonzesse peut résister. Le silence qui succède est encore porteur d’ondes san-antoniaises.

La porte s’écarte. Une pénombre dense. Un visage blafard.

— Entrez !

Je me coule dans une chambre que seules éclairent les fentes horizontales des volets.

Me faut un bout de moment pour faire vraiment connaissance avec Mme X…

Elle est drapée dans un déshabillé de soie mandarine. Très blonde. Le regard pâle. Elle tient un mouchoir en boule dans sa main droite. Elle retourne se lover sur un canapé crapaud et me considère avec plus de crainte que d’intérêt. Elle est habituée à la pénombre dans laquelle elle macère et me voit mieux que je ne la vois.

À nouveau, le silence.

J’attends qu’elle le rompe.

Elle le rompt.

— Que me voulez-vous, monsieur ?

Sa petite voix me touche, me trouble. Elle me fait de la peine, cette femme persécutée. Ses frasques après tout ne concernent que son époux. Elles n’intéresseraient personne si elle n’était la femme d’un homme en vue.

— Je vous l’ai dit, madame : je viens pour vous aider.

— Aide-t-on un mort ? Je suis comme morte, monsieur le commissaire. Mon foyer est détruit, ma réputation à jamais flétrie. Si j’avais le courage d’en finir avec la vie, je ne serais plus là depuis huit jours ! Je vis un cauchemar. C’est quelque chose d’épouvantable.

Elle est pathétique. M’habituant à la demi-obscurité, je découvre peu à peu des cernes sous ses yeux. Je distingue qu’elle a les narines pincées, et le regard enfoncé des animaux traqués.

— J’ai arrêté l’auteur des odieuses photographies, madame…

Elle tressaille.

— Vraiment ! Son nom ?

— Fouad Aroun.

Elle hoche la tête.

— Connais pas…

— Voici son portrait…

Je tends une photo d’identité, reproduite d’après les papiers trouvés sur Aroun.

Mme X… s’en empare et, pour pouvoir l’examiner, éclaire une lampe dont l’abat-jour orangé…

Ce qu’elle est belle, ainsi, non fardée, décoiffée, le visage brouillé par le chagrin.

C’est curieux comme, souvent, la détresse embellit une femme. Peut-être parce qu’elle la dépouille de ses artifices habituels ? La faiblesse va bien au beau sexe.

Elle regarde le cliché, acquiesce mollement.

— Oui, ça me dit quelque chose. Effectivement, cet homme est venu faire des photographies à notre appartement de l’Avenue Paul Doumer, mais il y a un certain temps.

Elle me rend le rectangle de papier glacé.

— Excusez-moi, pendant que vous y êtes, voulez-vous jeter un regard à celle-ci, madame ?

Et de lui proposer celle qui la représente avec un couple de jeunes gens.

Elle a un haut-le-corps. Ses épaules se voûtent.

— Il s’agit d’un montage ! murmure-t-elle.

— Je suis navré de devoir vous contredire, mais notre laboratoire prétend que non.

Elle me regarde droit dans les yeux.

— Et moi, je vous jure que si ! Si vous ne me croyez pas, il vaut mieux que vous partiez. Je meurs du scepticisme qui m’entoure, à commencer par celui de mon mari. Je suis sa femme depuis douze ans. J’ai toujours été irréprochable. Je l’ai aidé de mon mieux dans sa carrière. Et il a connu des instants difficiles. Or, il a été le premier à croire à ces infâmes clichés…

Elle éclate en sanglots.

Je ramasse la photo qui vient de choir. Ce faisant, je mate un bon coup par l’échancrure de son déshabillé. Tu verrais ça, t’en ferais tes beaux dimanches, nez-creux ! C’est du tout premier choix. Me v’là avec un début d’incendie dans l’Éminence, recta. Et rectiligne !

— Reconnaissez-vous les gens qui figurent avec vous sur l’image, madame X… ?

Courageusement, elle réaffronte cette épreuve (bien que c’en soit une pour elle !)

— Oui. Ça me revient, maintenant. C’était après les concours du Conservatoire. Un quotidien m’a téléphoné en me demandant si j’accepterais de recevoir les lauréats et de me faire photographier avec eux. Ce genre de requête est monnaie courante dans l’univers public de mon mari. Bien que je n’aime guère ces puérilités, je m’y prête de bonne grâce, pour lui. Votre Aroun est donc venu, de la part de ce journal, en compagnie de jeunes gens des deux sexes. Des photos furent prises. Je dois reconnaître que jamais je ne les ai vues publiées nulle part. Et, croyez-le, elles n’eurent aucun caractère scandaleux. Les intéressés me passaient leurs scènes. Je les écoutais. L’autre vilain bonhomme photographiait.

Brusquement, comme accablée de lassitude, elle éteint. Nous retombons dans un puits de velours noir.

— Que pourrais-je faire, murmure Mme X…, se parlant à elle-même… Partir. Mais où ? Rien n’est loin. M’enivrer ?

Elle pleure de plus rechef.

Alors, une force invincible m’empare.

Tel un automate, comme on écrit dans les livres pas revendables en solde, les bien littéraires qui font chier tout le monde et la suite, je me lève et m’approche d’elle.

— Non, je vous en supplie, ne désespérez pas, coassé-je, car pour croasser il me faudrait un « r », et j’ai même pas la force de m’en rouler un. Je ne veux pas. Vous êtes si belle, madame, si émouvante. Je vous tirerai de ce mauvais pas, je vous le jure…

D’Artagnan, quoi !

Mes deux mains téméraires se mettent en conque pour capter son tendre visage ruisselant de peine.

Elle a un élan blottisseur. Ses cheveux se posent contre moi, au niveau de mon ventre. Mais elle n’y peut demeurer longtemps, car une force naturelle la refoule. De quoi assommer un car de C.R.S. casqués !

Alors ma bouche va goinfrer la sienne.

Elle s’abandonne fièvreusement. La débarrasser de son déshabillé est un jeu d’enfant (puisque justement ce vêtement s’appelle un déshabillé). Je l’arrache de son canapé (tu parles, le style crapaud, pour la suite des événements, c’est pas le foot !). La porte jusqu’à son lit. Elle balbutie des choses en forme de râlements. Elle cause toute seule. Elle dit comme ça : « Mon Dieu, puisque l’opprobre est sur moi, qu’au moins je le mérite. » Ce qui est une chiement belle idée, hein ? J’adore cette philosophie épicurienne. Elle me va à la pensée comme un collant № 2 à une demoiselle du Lido.