« — Qu’est-ce que y a ? i m’demande en soulevant la vitre d’sa boîte à roulette.
« Au lieu d’lu répond’, j’ouvre la porte, posément, et je lu file un coup d’tronche en pleine poire. Putain, ce gnon ! Il a écroulé du pif su’ l’volant. J’en garde une bosse, vise ! »
Le Gravos soulève son chapeau qu’il n’avait point jugé opportun de quitter pour honorer la tenancière. Effectivement, une demi-aubergine surmonte son crâne où le tif se raréfie comme en haute altitude la végétation.
— Après quoi, un coup d’mon Opinel dans chacun des pneus avant, et tchao baby !
« J’reviens au village où je branche le récepteur du bip-bip. Je m’procurationne une auto, prévoiliant que j’eusse en aura besoin. Pour c’la, j’vais chez un particulier qu’avait une Mercedes de cent piges à vendre. J’lu dis comme quoi j’peux pas me permett’ d’ach’ter les yeux fermés et qu’y m’la laisse essayer pour la journée qu’je l’effrayerai des frais d’essence. J’y esplique que j’sus l’cousin germain du Président d’la République suisse, et y m’fait confiance… M’reste plus qu’à embusquer dans un coinceteau, derrière l’église et à attendre en matant l’écrin de contrôle au bip-bip. Deux plombes plus tard, v’là le gazouillis qui s’met en route. Y s’rapproche du village et j’voye déboucher Konopoulos au volant d’sa Rosse-Rolle, l’air pressé. J’lu file l’train. Av’c lui, y avait une gonzesse d’abattage, genre rouquemoute peinturlurée.
— Un travelo, le coupé-je.
Tout en continuant son mouvement de marée, le Gros ne se laisse pas désorienter.
« Y a des moments qu’y vaut mieux un beau travelo qu’une vilaine mégère, déclare courageusement Sa Majesté emplâtrante. Donc, j’me remets à suivre les bip-bip… Et on arrive à G’nève. »
La partenaire du Mastar se permet une interruption valable.
— Si ça n’vous ennuierait pas, j’voudrais changer de position, je prends une crampe dans les mollets, argue-t-elle.
Galant, le Gros s’empresse d’évacuer la dame.
— Une belle crampe, faut s’grouiller d’la tirer ! affirme notre chevalier de l’embrocation, mets-toi su’ le plume, la Mère, commako tu pourras m’r’garder le fond de l’œil. J’te conseille d’lever les cannes. Soutiens-te-les en t’maintenant par les jarrexes. D’la sorte, je te vas esplorer les zabîmes jusqu’au cul-de-sac. Tiens, t’as eu raison d’avarier les plaisirs, trognon. A la papa, qu’on veuille le vouloir ou pas, c’t’encore l’fin des fins d’l’estase. J’espère qu’tu vas décarrer su’ les bouchons d’roue, ma Grande, à présent ! pique-moi ta pointe d’vitesse, Grosse Vacherie ! Grimpe en danseuse s’y faudra, mais initiale un peu, merde ! J’sus là à me respirer tout l’turbin. Je rinvente l’mouv’ment universaliste av’c mon cul, à force d’à force, je vais droit au tour d’reins, ma belle ! L’amour, ça s’mijote à deux, c’est pas l’matou qu’incombe tout l’boulot. Assure, bordel ! Assure, nom d’Dieu ! T’vas pas me boyscouter not’ étreinte, si ? Qu’est-ce j’te causais, Tonio ? Ah ! moui ! : Genève. La Rosse-Rolle s’est arrêtée rue du Rhône, devant le derrière d’un grand magasin. La rouquine a descendu av’c la valtoche. Afteur quoi, Konopoulos a été l’attendre un peu plus loin. Av’c sa plaque CD y l’était paré. Note, j’ai remarqué qu’G’nève est une ville drôlement civilisée : on voit pas un poulet dans les strasses. A côté d’chez nous, mince ! T’as pas levé l’panard de l’accélérateur qu’y sont douze à rabattre. La rouquine est restée vingt minutes partie. Et puis é l’est r’venue. Mais à la manière qu’ell’ balançait la valouze, j’ai compris qu’elle était vide. De plus, le bip-bip restait fisque. J’ai continué d’les suvre. On a été dans un bled de la péripétie genevoise qui s’appelle le Grand-Sa-Connerie ou un truc du genre.
— Le Grand Saconnex ?
— Peut-êt’. On a passé et r’passé d’vant une villa brûlée dont d’laquelle y n’restait que dalle. Tout rasibus. Les pompiers s’trouvaient z’encore su’ les lieux, et des policiers pour lors…
« Et puis le Grec et son pote, la rouquine, a été à l’Intersidéral, un palace moderne. J’m’ai renseigné : la rouquemoute a une suite louée au mois à son blaze. Y s’sont mis à bouffer. J’sus été les imiter dans un restau qui s’appelle Le Bœuf Rouge où la jaffe est magistralement lyonnaise, qu’on s’demande pourquoi on irait à Lyon.
« Après la tortore, comme le bip-bip restait toujours fisque, j’ai r’tourné dans ce grand magasin. Pourquoi-ce ? Le pif ! Tu connais ça… Oh ! putain d’elle, mais est-ce qu’é va s’décider à r’muer, cette gravasse de chiotte ! T’es pas paralysée, dis, la patronne ! Mais faudrait donc y fout’ le feu à la juperie pour la faire remuer un chouïe, c’te grosse colique de plomb ! Allez, hue ! J’sens qu’ j’vais au forfait, mes amis. A limer en père turbable, des heures, on finit par couler une bielle. Tout autre eusse déjà dijoncté, j’v’s’assure.
« Enfin… Donc, j’entre dans l’magasin. Et savez-tu quoi j’avise, en plein centre du reste-chaussée. Essayez d’deviner, vous m’ferez plaisir. C’te fois j’commence à peiner. J’enfilerais un sac de patates, y s’passerait quéqu’chose, elles germeraient ou quoi, mais c’te rombière, j’vous jure !
« Alors, les artiss associés, vous donnez vot’ langue ? Souate ! Figurez-vous, qu’en cœur du magasin, y avait un mannequin géant, avec une trogne d’carnavaux. Et ce mannequin, maâme et messieurs, était habillé av’c le fameux costar d’la valise. Ça vous en bouche une, non ? Il est là-bas, vous pouvez aller l’visionner : pimpant, radieux, qui sert d’pube pour un’ croisière réclame en Grèce. »
— Mais tonnerre de Zeus, m’exclamé-je (assez opportunément, n’est-ce pas ?), quelle est la destination secrète de ce foutu costume ? Professeur, vous qui l’avez exploré, êtes-vous bien certain qu’il ne contient pas le moindre engin miniaturisé ?
— Pas un centimètre carré n’a échappé à mes investigations, affirme Félix.
Je soupire.
— Bon, et ensuite, Gros ?
— J’ai r’tourné à l’hôtel Intersidéral, la Rosse-Rolle s’y trouvait toujours et un grome à qui j’ai glissé une pièce m’a dit qu’ces tourteaux venaient d’s’enfermer dans l’appartement. Pour lors, j’sus rentré.
Il ajoute :
— J’vous d’mande pardon, faut qu’j’m’arrête d’causer pour essayer d’terminer madame.
Et le voilà qui pique des deux.
Nous respectons sa fougue silencieuse.
Je mate ma montre : elle dit presque dix-huit heures. Si la bombe est vraiment limitée à minuit, il ne me reste donc plus que six heures à respirer l’air salubre de la chère Suisse.
Le Prof me regarde et déclare.
— Je ne vois plus qu’une solution ; il faut opérer une descente chez Konopoulos, mettre la main sur Stefano et le contraindre à désamorcer la bombe. Seulement nous devons agir sans vous, Bérurier et moi, car il suffirait que l’autre ait le temps de proférer le mot fatal pour que vous sautiez avant même que nous ayons pu le maîtriser.
Comme il achève, Bérurier met pied à terre en grognant.
— Alors, cette fois, merde ! Remerde, trimerde et décamerde ! Félix, j’abandonne, ça t’ennuierait d’me finir c’te brouette ?
PI (borgne 1416)
Je demeure lové dans le coffre de la vieille Mercedes. Par sécurité, nous avons neutralisé le système de verrouillage et je le tiens fermé à l’aide d’un fil de fer. Mais par l’interstice subsistant je peux suivre les allées et venues de mes deux compères.