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Wayne DeLisle ne pouvait simplement pas être devenu dingue aussi vite.

En l’espace de trente-trois secondes, de pilote compétent, de gars responsable tout prêt à déboucler sa ceinture pour aller se balader dans une carlingue qui tournait et valdinguait comme un caillou dévalant une colline, rien que pour voir s’il pouvait être utile aux passagers, il se serait mué en un… oui, un dégonflé, baragouinant et beuglant qu’ils étaient tous carbonisés. Morts et carbonisés ?

On passa un bout de temps à en discuter.

Jenny : « Peut-être bien qu’ils étaient tous morts. Il y a des indices d’une brèche possible dans le fuselage. Nous avons découvert des corps et des débris à bonne distance du site principal. » Le verdict sur ce point fut rapidement prononcé ; même Jenny ne s’y tint pas longtemps. Si une dépressurisation s’était produite en cabine, elle aurait soufflé la porte d’intercommunication et sans doute DeLisle avec. Une partie des passagers aurait été aspirée par la brèche, mais la majorité n’aurait pas souffert. Ils n’étaient qu’à cinq mille pieds – moins de deux mille mètres d’altitude – donc la décompression n’était pas un problème, ni le manque d’oxygène.

Craig : « Il a dit également qu’ils étaient carbonisés. Peut-être y a-t-il eu un incendie dans la cabine avant qu’il y pénètre. »

Eli : « Dans le salon des premières ? Je ne marche pas. D’après tout ce que j’ai pu voir, l’incendie semble s’être confiné aux réacteurs… peut-être les ailes, mais certainement pas plus loin. Du moins, jusqu’à l’écrasement au sol. Où l’ensemble s’est embrasé. Je ne vois pas comment un feu d’aile pourrait se propager aussi loin aussi vite. »

Craig : « Peut-être était-ce en bas. Peut-être est-il descendu en classe touriste. »

Tom : « Dans un 747 ? Écoutez, nous partons de l’hypothèse que la cellule n’a pas été perforée, autrement on l’aurait entendu sur la bande. Ça fait quand même un putain de toucan. »

Jerry : « On aurait pu ne rien entendre si le trou était à l’arrière. »

Tom : « Ouais, mais comment fait-il dans ce cas pour aller là-bas ? Traverser le salon des premières, descendre l’escalier, redescendre toute l’allée de la classe touriste puis refaire le même chemin en sens inverse jusqu’au poste de pilotage et le tout en trente-trois secondes ? Pas dans cet appareil. Ce serait déjà un miracle qu’il ait pu parvenir au bas des marches sans se rompre le cou. »

J’étais d’accord. Ils auraient eu moins de mal à se tenir en équilibre sur le grand huit.

« Donc, dis-je, on peut postuler qu’il n’est guère allé plus loin que la cage d’escalier. Il semble déraisonnable d’imaginer qu’il ait pu voir autre chose qu’un tas de gens affolés. »

Carole nous interrompit après que la conversation se fut encore poursuivie quelque temps sur ce ton.

« Les gars, vous allez bien devoir apprendre à vous résoudre à l’évidence.

— Qui est ? voulut savoir Jerry.

— … Qu’il est simplement devenu fou.

— Je croyais que vous autres les psychologues, vous n’aimiez pas ce mot ? »

Elle haussa les épaules. « Je n’ai aucun préjugé contre quand c’est le plus simple qui convienne. Mais si je l’ai employé, c’est pour vous mettre le nez dessus. Je sais que vous refusez de croire qu’un pilote puisse craquer de cette façon et j’admets volontiers que le cas soit rare. Mais vous avez tous fort bien démontré que lorsqu’il est retourné dans la cabine des premières, il ne peut y avoir vu que des gens paniqués, en aucun cas des corps carbonisés. »

Protestation de Tom : « Mais il a bien dit qu’il avait vu…

— Il n’a pas dit qu’il avait vu quoi que ce soit. Il n’est pas question là d’un témoignage oculaire fiable. Mais plutôt de l’ultime vision d’un homme poussé au-delà de ses limites. Il a dit qu’ils étaient tous morts et carbonisés. Nous avons là un homme entraîné à piloter un avion, mais qui ne peut le faire puisque ce n’est pas le sien. Mais il en sait plus que les passagers. Il a d’autant plus raison de paniquer qu’il les sait tous perdus. Il a pu regarder la réalité que Gil Crain et les autres pouvaient persister à nier car eux, ils pouvaient encore y faire quelque chose. Lui, il a simplement renoncé et dit ce qu’il savait être inéluctable : qu’ils allaient tous mourir. Et il avait raison. »

Personne ne l’avala de bon gré, mais cela mit un terme à la discussion – provisoirement, du moins. Carole était l’experte en facteurs humains. En y repensant, je devais bien admettre que la raison principale à ma réticence à accepter son explication était justement celle qu’elle avait mentionnée : je me refusais à croire qu’un pilote pût perdre les pédales aussi vite. Mais ça devait bien avoir été le cas.

Nous avons tenu notre réunion nocturne – la première d’une longue série – peu après cette première audition de la bande du 747.

On fit de notre mieux pour entasser tout le monde dans la plus petite des deux salles allouées par l’aéroport. Il devait bien y avoir plus de cent personnes autorisées à y assister. J’ai bien peur d’avoir somnolé le plus clair du temps, mais je suis capable de dormir les yeux ouverts si bien que personne n’a remarqué. J’espère.

Les réunions nocturnes sont une constante dans n’importe quelle enquête. Tous ceux qui ont travaillé sur la catastrophe se retrouvent et comparent leurs notes. C’est là qu’on prend les décisions sur les voies à suivre.

Tout le monde s’accorda pour estimer que l’ordinateur de Fremont – c’était là que se trouvait le C.C.R.[9] d’Oakland – devrait être examiné par une équipe d’experts. Tom avait déjà quelques noms en tête. Sinon, c’était essentiellement affaire de confirmer des choses déjà faites et de redire à tout le monde de continuer dans la même voie. Bien des aspects pratiques d’une enquête exigent beaucoup de temps.

Cela fait, la réunion aurait pu s’éterniser encore dix heures. C’est le propre à toute réunion si on laisse faire. Mais dans le stade préliminaire de l’enquête, j’ai toujours considéré que c’était brasser du vent. Ultérieurement, quelques rencontres plus longues se révéleraient nécessaires, mais quand je vis à ma montre que celle-ci durait déjà depuis deux heures d’horloge, j’y coupai court en demandant à tous ceux qui ne travaillaient pas effectivement dans le hangar de sortir pour aller prendre un peu de repos.

Certains n’apprécièrent pas, mais ils n’avaient guère le choix : C’était mon enquête. Peut-être que sur le papier, c’était celle de C. Gordon Petcher mais sur le terrain, c’était moi qui menais le bal. Et à propos de ce bon vieux Gordy…

Briley vint à moi comme tout le monde sortait en traînant les pieds, l’air d’avoir de mauvaises nouvelles. Je le mis à l’aise :

« Je suis déjà au courant. Gordy a raté le vol du soir. Il se pointera demain matin. J’ai entendu qu’il avait tenu une conférence de presse à Washington.

— C’est ce qu’on m’a dit.

— Ça a dû être du joli. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lui parler alors je me demande ce qu’il a bien pu leur raconter…

— … Qu’on avait la situation bien en main, je suppose. Comme vous allez devoir le faire d’ici une vingtaine de minutes. »

Je grognai, mais je m’y étais déjà résigné. On avait promis aux journalistes une conférence. Dans mon idée, ça allait se résumer à une simple occasion de gâcher de la pellicule. Ils auraient quelques images de moi pour illustrer leur journal du soir. Je n’avais certainement pas grand-chose à leur raconter.

J’ai horreur de l’inefficacité. Il faudra que vous cherchiez un bon bout de temps avant d’en trouver un meilleur exemple qu’une conférence de presse.

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9

C.C.R. : Centre de Contrôle Régional : Centre radio et radar chargé d’assurer la sécurité des routes aériennes. Son équivalent américain est le : A.R.T.C.C. : Air Route Traffic Control Center : (Centre de contrôle de la circulation aérienne).