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— Sans pour autant cautionner en aucune façon l’hypothèse de la surcharge d’ordinateur, je peux vous affirmer que non, il n’y a rien eu d’inexplicable jusqu’à présent. » C’est vrai, ça. Oh ! le menteur de gentil fonctionnaire ! « Bien sûr, chaque accident est unique et…

— … Pourtant, ils ont tous des traits communs. Il y a des choses que vous vous attendez à trouver et d’autres non. J’ai entendu dire, par exemple, que l’enregistreur de conversations dans le poste de pilotage – le C.V.R., comme vous l’appelez – contenait quelque chose qui sortait légèrement de l’ordinaire. »

Ainsi donc, il y avait eu une fuite. Je ne peux pas dire que j’étais surpris. Ça se produit toujours. Ce qui m’étonnait, en revanche, c’est que la fuite soit parvenue à l’oreille de ce vieux bonhomme et non des gens de C.B.S. ou de Time magazine.

« Je ne peux faire aucune déclaration tant que la bande du C.V.R. n’aura pas été traitée et analysée. Puisque vous semblez être tellement au courant des procédures, vous savez que cela va prendre aux alentours de deux semaines. En suite de quoi les passages intéressants en seront rendus publics et vous pourrez tout à loisir vous faire une opinion personnelle. »

Il remit ça, avant que je n’aie eu le temps de lever la séance.

« D’accord, mais y a-t-il eu autre chose de bizarre ? Un détail qui en soi pourrait n’avoir rien de significatif. Une incohérence quelconque dans la séquence des événements. Quelque objet inexplicable trouvé parmi les décombres. Et plus particulièrement, tout ce qui pourrait avoir un rapport ou un autre avec le temps. »

Une fois encore, je songeai aux montres, mais je fus distrait par une quinte de toux subite d’un spectateur dans l’assistance, quelque part dans le fond de la salle. C’était une femme et elle me tournait le dos. Quelqu’un lui tenait le bras, penché vers elle, apparemment inquiet de la voir s’étouffer, comme elle s’étranglait, pliée en deux. De la main, elle lui faisait signe de s’écarter.

« Je ne vois toujours pas où vous voulez en venir.

— Je peux difficilement être plus explicite sans risquer de passer pour un imbécile », me répondit-il, désabusé. « Je suis simplement à la recherche de l’inexplicable. En général, je le trouve.

— Pas ici, en tout cas. D’ici quelques jours, ou quelques semaines, je serai en mesure de vous dire très exactement ce qui s’est produit la nuit dernière. Sans le moindre doute, il y a…»

La femme dans le fond s’était enfin redressée et c’était elle. Celle qui ne voulait pas me donner du café dans le hangar et s’était plus qu’amplement rattrapée quelques heures plus tard. Elle s’apprêtait à quitter la salle.

« Il n’y a rien d’inexplicable dans mon boulot, monsieur Mayer. Et ceci met un terme à cette conférence de presse, mesdames et messieurs, merci. »

Je quittai l’estrade et me dirigeai en hâte vers le fond de la salle.

Elle n’était pas dans le couloir à l’extérieur. Je le pris jusqu’au premier tournant pour jeter un œil. Quelques journalistes s’éloignaient d’un pas traînant, mais elle n’était pas parmi eux. À l’extrémité du corridor se trouvait la porte débouchant sur la zone publique de l’aérogare. Inutile de la chercher au-delà.

« Après quoi cours-tu avec tant d’empressement ? »

Je me retournai vers Tom. Il avait l’air aussi fatigué que moi. On resta planté là, dans l’angle du corridor, pendant que les reporters nous dépassaient – parmi eux, Mayer, qui m’adressa comme un clin d’œil.

« Je l’ai encore vue. Je la croyais partie par là.

— Qui ? Oh ! Ta femme mystérieuse. Tu crois qu’une tasse de café répandue sur les genoux suffit comme présentation ?

— Merde, je ne sais pas. Je voulais simplement lui parler.

— Bien sûr. » Il hocha la tête, incrédule. « Je ne sais pas comment tu fais pour tenir le coup. Je suis à demi mort et toi, tu ne penses qu’à courir.

— Ce n’est pas ça. C’est simplement…» Je me rendis compte que je ne savais tout simplement pas pourquoi j’avais envie de lui parler. Mais j’en avais envie. J’envisageai d’appeler United, voir si je pourrais retrouver sa trace puis décidai de remettre ça à demain.

« Ce sera tout pour aujourd’hui, patron ? » demanda Tom.

Je regardai ma montre : « Fichtre oui. L’équipe de nuit a reçu ses instructions ?

— Oui. Tu veux qu’on aille bouffer un morceau ?

— Non merci. Je vais regagner directement ce motel dont j’ai vaguement entendu parler il y a bien sept ou huit jours. Voir si j’arrive à retrouver mon lit.

— Deux contre un que tu ne dors pas seul. »

13. « As Time Goes By »[11]

Je ne sais rien de plus déprimant que de se retrouver seul au milieu d’une foule en train d’écouter des cantiques de Noël.

Je traînai les pieds dans le terminal de l’aérogare, l’impression d’avoir quatre-vingt-dix ans. Il était autour de 9 h 30. À peu près l’heure de trois-quatre verres au bar du motel et ensuite, au dodo.

Je ne croyais guère au pari de Tom. Même s’il avait vu juste, je n’étais pas sûr de savoir que faire de ma bonne fortune vu mon présent état. Le seul truc qui m’énerve chez Tom, c’est sa manie de croire que je mène une vie de garçon débridée.

Merde, à Kensington (Maryland) ?

Je ne dis pas qu’il ne me soit pas arrivé de louer une garçonnière en ville. Washington a de tout temps été une pépinière de jeunes et jolies fonctionnaires du gouvernement. Quantité d’entre elles sont toutes prêtes à venir au lit avec vous contre un ou deux verres et trois tours de danse. Puis elles se réveillent le lendemain, vous font en partant une bise sur la joue, et vous ne les revoyez plus jamais. Vite fait, bien fait. Et sans fil à la patte. Je sais de quoi je parle : j’ai essayé plusieurs fois, peu après mon divorce.

Certes, ça constituait là un fort agréable exercice nocturne, mais je me sentais toujours un peu dégueulasse, après. J’avais envie de connaître la fille, j’avais envie – pour employer un terme déprécié – d’une relation. Sans pousser jusqu’au mariage. Je ne suis pas à ce point vieux jeu. Mais je trouvais qu’on devrait parvenir à se connaître.

Tiens, ça aurait bien fait marrer ma femme.

Je fréquentais certain salon de massage sur Q Street. Je n’y allais pas plus d’une fois toutes les deux ou trois semaines ; mes besoins sexuels n’étaient, semblait-il, plus ceux de jadis. Ce que j’appréciais, c’était le climat de sérieux de l’établissement. Du rapide et de l’efficace et même si j’avais des remords à la sortie, ça valait toujours mieux que les passes d’une nuit.

Telle était la vie de garçon libre et débridée que ce bon époux de Stanley semblait se complaire à m’imaginer. Et voilà ce qui était arrivé à l’intrépide jeune pilote de chasse, trop jeune pour la Corée et rangé des cadres à l’époque du Viêt-Nam mais qui en avait suffisamment bavé avec la Grande muette pour avoir de quoi en écrire des manuels. Finalement, sans bien savoir comment, il avait échoué derrière un bureau. Puis, durant un bon bout de temps, il s’était saoulé et, couchait avec les putes.

Dans cette disposition d’esprit, c’est tout juste si je savais où j’allais. Gardant les yeux fixés sur la pointe de mes chaussures, je pris un escalier roulant qui descendait et une paire d’escarpins marron l’empruntèrent avec moi. Mon regard remonta des bas à la jupe puis rapidement jusqu’à son visage.

« On n’arrête pas de se rentrer dedans, non ? » me dit-elle avec un sourire.

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11

« Comme le temps passe. » Pour ceux qui n’auraient pas saisi l’allusion cinématographique, voir la postface. (N.d.T.)