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Vivement je l’embrasse dans le cou en faisant miauler le baiser. Pour le coup il s’arrête de beugler. Ça le déconcerte un brin, ça le distrait de ses tourments stomacaux. Je recommence. Il me sourit…

Dans le jardin, l’aube se lève entre les statues. La plus proche du perron c’est celle de Louis XIV. Je vous jure, faut être un peu cinoqué pour s’entourer ainsi de personnages de marbre. Vous aimeriez, vous autres, avoir le Roi-Soleil sur votre pelouse, dans un massif de rhododendrons ? Vous auriez pas l’impression de crécher dans un musée ? Rien n’est plus triste que l’art empilé.

V’là qu’on carillonne à la grille. Je sors, bébé dans le creux du coude. J’avise un vieux crabe flanelleux à lunettes rafistolées. Me semble que c’est le pêcheur à la ligne.

— Oui ? je lui lance.

— Mande pardon, démarre le goujonicide, me semblait avoir entendu des coups de feu ?

— C’est l’échappement libre de ma pétoire ! le rassuré-je.

— Ah, bon !

Des petits ballons de vapeur légère floconnent autour de sa bouche.

— Ça biche ?

Il hausse les épaules.

— Ça fait vingt-cinq ans que ça n’biche plus. Autrefois, oui, des pleines bourriches, je faisais…

Comme le disait récemment M. Georges Bidault dans une interview : les hommes ne se souviennent que de leurs souvenirs. Le pauvre pêcheur rejoint sa canne-à-rien d’une allure chaloupée de vieil ouvrier mal pensionné. Je m’apprête à rentrer lorsqu’un prodige me retient sur le perron. Ai-je la berlue ? S’agit-il d’un excès de fatigue ? M’inscrirai-je, à la suite des Bernadette Soubirous et autres sainte Thérèse, dans la maigre cohorte des témoins de miracles ?

Je remets à un peu plus tard le soin de trancher. Unpeuplustard étant l’auxiliaire idéal quand on est confronté à des phénomènes surnaturels.

Va p’t-être falloir instruire un procès en canonisation pour Louis XIV, mes amis. Ça vous la coupe ? Vous m’objectez déjà ses guerres, sa révocation de l’Edit de Nantes, ses dragonnades, sa Montespan (dans la culotte), hein ? Eh ben, vos objections ne sont pas valables, vos sonneurs. Devait malgré tous ses vices et ses sévices être propice aux miraculeuses, Loulou. La preuve ?

Cramponnez-vous aux accoudoirs, je vous lâche le morceau. Sa statue respire !

CHAPITRE VIII

TOC !

Oh, c’est imperceptible et faut un œil de lynx comme le mien pour s’en rendre compte, évide-amant.

Mais le fait (troublant) est là : de très légères et très floues volutes de vapeur sortent de sa bouche entrouverte.

Sur le moment, je vous répète, je joue mes sens perdants. Mon subconscient se dit : « Tu dérailles de la rétine, gars. » Et puis je regarde plus attentivement, et à force de fixer les augustes lèvres marmoréennes, la conviction devient absolue : Louis XIV respire !

Nous nous approchons de la statue, Antoine et moi l’un portant l’autre. La pelouse trempée de rosée gicle sous mes semelles comme[39]

Je colle ma main dans la bouche du roi Soleil. Il ne dégobille pas. Un monarque de ce prestige, vous pensez, ça a de la retenue. En tout cas je sens un souffle. Une exhalaison tiède.

Vous savez barguigner, vous autres ?

Moi, très mal. D’ailleurs ça me fatigue. C’est pourquoi, sans barguigner, donc, je vous annonce que cette statue est creuse et qu’elle sert, en réalité de manche à air pour ventiler un local souterrain. Autrement dit, la bouche du fils Louis XIII est une bouche d’aération.

Il n’est pas besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre qu’on a équipé le sous-sol secrètement. A quel usage ? Mon camarade Shakespeare ne serait pas sorti y a deux minutes pour acheter des cigarettes, il vous le dirait lui-même : that is the question.

Là-dessus, la mère Béruranche se pointe sur le perron en sémaphorant des ailerons.

— Venez voir un peu par ici, San-Antonio !

Je la rejoins.

— Je croise avoir trouvé quéque chose, annonce-t-elle.

Faut la voir frémir de l’aigrette, notre grosse autruche ! La gorge roucoulante, la bajoue somptueuse, l’œil étincelant de satisfaction.

Je la comprime de questions (la presser ne serait point suffisant) mais elle ne cède pas. Il est des révélations qui se démontrent. Elles ne sont percutantes que lorsqu’on les voit s’accomplir ; là se mesure l’insuffisance du verbe et sa fragilité. Joindre le geste à la parole est une hérésie. On disjoint la parole du geste, nuance. La parole n’est que complémentaire, pas même ! Elle est superfétatoire. Voilà pourquoi un jour je me tairai et mimerai mes chefs-d’œuvre. J’en ferai des chansons de geste. Et on m’embastillera recta parce que par gestes j’exprimerai si fortement ce que je pense qu’on ne pourra plus me laisser en liberté. Je serai réputé insalubre. De nocivité publique ! Ils me fileront au trou de peur que je leur écroule le système.

Berthy me drive à la cave. Je l’ai déjà explorée, la cave, pourtant. Elle se divise en trois parties : la chaufferie, la buanderie, la cave à vins. C’est dans ce dernier compartiment que la Belle-fort-niqueuse me conduit.

Des casiers à boutanches, bien garnis. Les bons auteurs sont représentés : Cheval-Blanc, Château d’Yquem, Romanée, Fleury, Château-Chalon et toutim. Reliés plein pot ! Vénérables. Instrumentaux ! Du grand, du noble, du fringant. Prestigieux ! Ensoleillé ! Français ! Y a des Marseillaises qui se perdent ! Moi, la Marseillaise, je trouve qu’on la chante toujours à tort et souvent à travers. Je l’aime interprétée par les chœurs de l’Armée rouge. Avec « accent » popoff elle a de l’allure. Tiens, Machin l’interprétait pas mal, en soliste. Il flageolait un peu de la glotte, mais y avait de la ferveur dans le trémolo. Notre dernier baryton, les mecs ! Fallait l’entendre sur les places publiques. A la téloche on pouvait pas se rendre compte. C’était truqué. On repiquait en sousimpe la bande sonore du film de Renoir. Mais à cru, à vif, ç’avait de la force ! Les deux poings levés, le coude arrondi. On aurait plutôt cru qu’il allait se farcir l’Internationale.

« Tous en chœur », il recommandait avant d’entonner. Mon zobinoche, oui ! A part m’sieur le préfet que sa place était en jeu, nobody pour lui soutenir le jour de gloire. Les gens, eux, se rendaient bien compte de la gêne que ça représentait. Le peuple est p’t-être con, mais il reste conscient du ridicule. Un homme, à notre époque, il préfère sortir sa bébête sur la place du marché plutôt que de brailler la Marseillaise. A la rigueur, quand tu te fais fusiller, tu peux te permettre. D’abord t’es en petit comité, face à des militaires, et puis comme on te flingue aux aurores frileuses, ça réchauffe. Mais devant tout le monde et à propos de rien, te disloquer les ficelles comme quoi t’entends mugir les féroces soldats, alors là, y a de quoi se la couper au ras des frangines et s’en faire un pipeau ! Même avec un béret basque et un nombril de porte-fanion en forme de bénitier t’oses plus. Et vous vous figurez le président Pompidou élancer du timbre en public ? « Contre nous de la tyraniiiie ! » Il pourrait jamais. C’t un homme civilisé, cultivé, moderne, lui. Y s‘marrerait trop, ferait des couacs, crierait « pouce ! » en plein morcif, passerait à « Tiens, voilà Mathieu » (pas Mireille, le vrai). Faudra qu’un jour quand y me recevra à l’Elysée, je lui supplie de me la fredonner, pour voir, on ira se cacher dans les chiottes, que les huissiers nous entendent pas !

En plus des casiers chargés de merveilles, le local comporte deux tonneaux : un petit et un grand. Berthe me montre le plus dodu.

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39

J'allais placer là une comparaison marrante, mais elle serait trop dégueulasse. Après on se fait mal voir des cons et ça vous rend suspect auprès des gens intelligents, car le comble de l'intelligence, c'est d'être bien vu des cons.