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Il arriva peu à peu. La pente de basalte devint plus douce, plus longue. Jon était à présent comme dans la vallée, au pied de la montagne, mais une vallée de pierre, belle et vaste, étendue en une longue courbe jusqu'au commencement des nuages.

Le vent et la pluie avaient usé la pierre, l'avaient polie comme une meule. Par endroits, étincelaient des cristaux rouge sang, des stries vertes et bleues, des taches jaunes qui semblaient ondoyer dans la lumière. Plus haut, la vallée de pierre disparaissait dans les nuages; ils glissaient sur elle en laissant traîner der rière eux des filaments, des mèches, et quand ils fondaient Jon voyait à nouveau la ligne pure de la courbe de pierre.

Ensuite, Jon fut tout à fait au sommet de la montagne. Il ne s'en aperçut pas tout de suite, parce que cela s'était fait progressivement. Mais quand il regarda autour de lui, il vit ce grand cercle noir dont il était le centre, et il comprit qu'il était arrivé. Le sommet de la montagne était ce plateau de lave qui touchait le ciel. Là, le vent soufflait, non plus par rafales, mais continu et puissant, tendu sur la pierre comme une lame. Jon fit quelques pas, en titubant. Son cœur battait très fort dans sa poitrine, poussait son sang dans ses tempes et dans son cou. Pendant un instant, il suffoqua, parce que le vent appuyait sur ses narines et sur ses lèvres.

Jon chercha un abri. Le sommet de la montagne était nu, sans une herbe, sans un creux. La lave luisait durement, comme de l'asphalte, fêlée par endroits, là où la pluie creusait ses gouttières. Le vent arrachait un peu de poussière grise qui s'échappait de la carapace, en fumées brèves.

C'était ici que la lumière régnait. Elle l'avait appelé, quand il marchait au pied de la montagne, et c'est pour cela qu'il avait laissé sa bicyclette renversée sur le talus de mousse, au bord du chemin. La lumière du ciel tourbillonnait ici, complètement libre. Sans cesse elle jaillissait de l'espace et frappait la pierre, puis rebondissait jusqu'aux nuages. La lave noire était pénétrée de cette lumière, lourde, profonde comme la mer en été. C'était une lumière sans chaleur, venue du plus loin de l'espace, la lumière de tous les soleils et de tous les astres invisibles, et elle rallumait les anciennes braises, elle faisait renaître les feux qui avaient brûlé sur la terre des millions d'années auparavant. La flamme brillait dans la lave, à l'intérieur de la montagne, elle miroitait sous le souffle du vent froid. Jon voyait maintenant devant lui, sous la pierre dure, tous les courants mystérieux qui bougeaient. Les veines rouges rampaient, tels des serpents de feu; les bulles lentes figées au cœur de la matière luisaient comme les photogènes des animaux marins.

Le vent cessa soudain, comme un souffle qu'on retient. Alors Jon put marcher vers le centre de la plaine de lave. Il s'arrêta devant trois marques étranges. C'étaient trois cuvettes creusées dans la pierre. L'une des cuvettes était remplie d'eau de pluie, et les deux autres abritaient de la mousse et un arbuste maigre. Autour des cuvettes, il y avait des pierres noires éparses, et de la poudre de lave rouge qui roulait dans les rainures.

C'était le seul abri. Jon s'assit au bord de la cuvette qui contenait l'arbuste. Ici, le vent semblait ne jamais souffler très fort. La lave était douce et lisse, tiédie par la lumière du ciel. Jon s'appuya en arrière sur ses coudes, et il regarda les nuages.

Il n'avait jamais vu les nuages d'aussi près. Jon aimait bien les nuages. En bas, dans la vallée, il les avait regardés souvent, couché sur le dos derrière le mur de la ferme. Ou bien caché dans une crique du lac, il était resté longtemps la tête renversée en arrière jusqu'à ce qu'il sente les tendons de son cou durcis comme des cordes. Mais ici, au sommet de la montagne, ce n'était pas pareil. Les nuages arrivaient vite, au ras de la plaine de lave, ouvrant leurs ailes immenses. Ils avalaient l'air et la pierre, sans bruit, sans effort, ils écartaient leurs membranes démesurément. Quand ils passaient sur le sommet de la montagne, tout devenait blanc et phosphorescent, et la pierre noire se couvrait de perles. Les nuages passaient sans ombre. Au contraire, la lumière brillait avec plus de force, elle rendait tout couleur de neige et d'écume. Jon regardait ses mains blanches, ses ongles pareils à des pièces de métal. Il renversait la tête et il ouvrait sa bouche pour boire les fines gouttes mêlées à la lumière éblouissante. Ses yeux grands ouverts regardaient la lueur d'argent qui emplissait l'espace. Alors il n'y avait plus de montagne, plus de vallées de mousse, ni de villages, plus rien; plus rien, mais le corps du nuage qui fuyait vers le sud, qui comblait chaque trou, chaque rainure. La vapeur fraîche tournait longtemps sur le sommet de la montagne, aveuglait le monde. Puis, très vite, comme elle était venue, la nuée s'en allait, roulait vers l'autre bout du ciel.

Jon était heureux d'être arrivé ici, près des nuages. Il aimait leur pays, si haut, si loin des vallées et des routes des hommes. Le ciel se faisait et se défaisait sans cesse, autour du cercle de lave, la lumière du soleil intermittent bougeait comme les faisceaux des phares. Peut-être qu'il n'y avait rien d'autre, réellement. Peut-être que maintenant, tout bougerait sans cesse, en fumant, larges tourbillons, nœuds coulants, voiles, ailes, fleuves pâles. La lave noire glissait aussi, elle s'épandait et coulait vers le bas, la lave froide très lente qui débordait des lèvres du volcan.

Quand les nuages s'en allaient, Jon regardait leurs dos ronds qui couraient dans le ciel. Alors l'atmosphère reparaissait, très bleue, vibrante de la lumière du soleil et les blocs de lave durcissaient de nouveau.

Jon se mit à plat ventre et toucha la lave. Tout à coup, il vit un caillou bizarre, posé au bord de la cuvette remplie d'eau de pluie. Il s'approcha à quatre pattes pour l'examiner. C'était un bloc de lave noire, sans doute détaché de la masse par l'érosion. Jon voulut le retourner, mais sans y parvenir. Il était soudé au sol par un poids énorme qui ne correspondait pas à sa taille.

Alors Jon sentit le même frisson que tout à l'heure, quand il escaladait les blocs du ravin. Le caillou avait exactement la forme de la montagne. Il n'y avait pas de doute possible: c'était la même base large, anguleuse, et le même sommet hémisphérique. Jon se pencha plus près, et il distingua clairement la faille par où il était monté. Sur le caillou, cela formait juste une fissure, mais dentelée comme les marches de l'escalier géant qu'il avait escaladé.

Jon approcha son visage de la pierre noire, jusqu'à ce que sa vue devienne trouble. Le bloc de lave grandissait, emplissait tout son regard, s'étendait autour de lui. Jon sentait peu à peu qu'il perdait son corps, et son poids. Maintenant il flottait, couché sur le dos gris des nuages, et la lumière le traversait de part en part. Il voyait au-dessous de lui les grandes plaques de lave brillantes d'eau et de soleil, les taches rouillées du lichen, les ronds bleus des lacs. Lentement, il glissait au-dessus de la terre, car il était devenu semblable à un nuage, léger et qui changeait de forme. Il était une fumée grise, une vapeur, qui s'accrochait aux rochers et déposait ses gouttes fines.

Jon ne quittait plus la pierre du regard. Il était heureux comme cela, il caressait longuement la surface lisse avec ses mains ouvertes. La pierre vibrait sous ses doigts comme une peau. Il sentait chaque bosse, chaque fissure, chaque marque polie par le temps, et la douce chaleur de la lumière faisait un tapis léger, pareil à la poussière.