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A cette époque-là il avait fait la connaissance du Gitan, du Cosaque et de leur vieil ami Dadi. C'étaient les noms qu'on leur avait donnés, ici dans notre ville, parce qu'on ne savait pas leurs vrais noms. Le Gitan n'était pas gitan, mais on l'appelait comme cela à cause de son teint basané, de ses cheveux très noirs et de son profil d'aigle; mais il devait sans doute son surnom au fait qu'il habitait dans une vieille Hotchkiss noire garée sur l'esplanade et qu'il gagnait sa vie en faisant des tours de prestidigitation. Le Cosaque, lui, c'était un homme étrange, de type mongol, qui était toujours coiffé d'un gros bonnet de fourrure qui lui donnait l'air d'un ours. Il jouait de l'accordéon devant les terrasses des cafés, la nuit surtout, parce que dans la journée il était complètement ivre.

Mais celui que Mondo préférait, c'était le vieux Dadi. Un jour qu'il marchait le long de la plage, il l'avait vu assis par terre sur une feuille de journal. Le vieil homme se chauffait au soleil sans faire attention aux gens qui passaient devant lui. Mondo avait été intrigué par une petite valise en carton bouilli jaune percée de trous que le vieux Dadi avait posée par terre, à côté de lui, sur une autre feuille de journal. Dadi avait l'air doux et tranquille, et Mondo n'avait pas du tout peur de lui. Il s'était approché pour regarder la valise jaune, et il avait demandé à Dadi:

«Qu'est-ce qu'il y a dans votre valise?»

L'homme avait ouvert un peu les yeux. Sans rien dire, il avait pris la valise sur ses genoux et il avait entrouvert le couvercle. Il souriait d'un air mystérieux en passant sa main sous le couvercle, puis en sortant un couple de colombes.

«Elles sont très belles», avait dit Mondo. «Com- ment s'appellent-elles?»

Dadi lissait les plumes des oiseaux, puis les approchait de ses joues.

«Lui, c'est Pilou, et elle, c'est Zoé.»

Il tenait les colombes dans ses mains, il les caressait très doucement contre son visage. Il regardait au loin, avec ses yeux humides et clairs qui ne voyaient pas bien.

Mondo avait caressé doucement la tête des colombes. La lumière du soleil les éblouissait, et elles voulaient rentrer dans leur valise. Dadi leur parlait à voix basse pour les calmer, puis il les enfermait de nouveau sous le couvercle.

«Elles sont très belles», avait répété Mondo. Et il était parti, tandis que l'homme fermait les yeux et continuait à dormir assis sur son journal.

Quand la nuit tombait, Mondo allait voir Dadi sur l'esplanade. Il travaillait avec le Gitan et le Cosaque pour la représentation publique, c'est-à-dire qu'il était assis un peu à l'écart avec sa valise jaune pendant que le Gitan jouait du banjo et que le Cosaque parlait avec sa grosse voix pour attirer les badauds. Le Gitan jouait vite, en regardant bouger ses doigts, et en chantonnant. Son visage sombre brillait dans la lumière des réverbères.

Mondo se mettait au premier rang des spectateurs, et il saluait Dadi. Maintenant, le Gitan commençait la représentation. Debout devant les spectateurs, il sortait des mouchoirs de toutes les couleurs de son poing fermé, avec une rapidité incroyable. Les mouchoirs légers tombaient par terre, et Mondo devait les ramasser au fur et à mesure. C'était son travail. Puis le Gitan sortait toutes sortes d'objets bizarres de sa main, des clés, des bagues, des crayons, des images, des balles de ping-pong et même des cigarettes allumées qu'il distribuait aux gens. Il faisait cela si vite qu'on n'avait pas le temps de voir bouger ses mains. Les gens riaient et applaudissaient, et les pièces de monnaie commençaient à tomber par terre.

«Petit, aide-nous à ramasser les pièces», disait le Cosaque.

Les mains du Gitan prenaient un œuf, l'enveloppaient dans un mouchoir rouge, puis s'arrêtaient une seconde.

«At… tention!»

Les mains frappaient l'une contre l'autre. Quand elles dénouaient le mouchoir, l'œuf avait disparu. Les gens applaudissaient encore plus fort, et Mondo ramassait d'autres pièces qu'il mettait dans une boîte de fer.

Quand il n'y avait plus de pièces, Mondo s'asseyait sur ses talons et regardait à nouveau les mains du Gitan. Elles bougeaient vite, comme si elles étaient indépendantes. Le Gitan sortait d'autres œufs de sa main fermée, puis les faisait disparaître entre ses mains, d'un coup. A chaque fois qu'un œuf allait disparaître, il regardait Mondo en faisant un clin d'œil.

«Hop! Hop!»

Mais ce que le Gitan savait faire de plus beau, c'est quand il prenait deux œufs très blancs qui venaient dans ses mains sans qu'on comprenne comment; il les enveloppait dans deux grands mouchoirs rouge et jaune, puis il levait ses bras en l'air et restait un moment sans bouger. Tout le monde le regardait alors en retenant son souffle.

«At… tention!»

Le Gitan baissait les bras en dépliant les mouchoirs, et deux colombes blanches sortaient des mouchoirs et volaient au-dessus de sa tête avant d'aller se percher sur les épaules du vieux Dadi.

Les gens criaient:

«Oh!»

et ils applaudissaient très fort et jetaient une grosse pluie de pièces.

Quand la représentation était finie, le Gitan allait acheter des sandwiches et de la bière, et tout le monde allait s'asseoir sur le marchepied de la vieille Hotchkiss noire.

«Tu m'as bien aidé, petit», disait le Gitan à Mondo.

Le Cosaque buvait la bière et s'exclamait très fort:

«C'est ton fils, Gitan?»

«Non, c'est mon ami Mondo.»

«Alors, à ta santé, mon ami Mondo!»

Il était déjà un peu ivre.

«Est-ce que tu sais jouer de la musique?»

«Non monsieur», disait Mondo.

Le Cosaque éclatait de rire.

«Non monsieur! Non monsieur!» Il répétait ça en criant, mais Mondo ne comprenait pas ce qui le faisait rire.

Ensuite le Cosaque prenait son petit accordéon et il commençait à jouer. Ce n'était pas vraiment de la musique qu'il faisait, c'était une suite de sons étranges et monotones, qui descendaient et montaient, tantôt vite, tantôt doucement. Le Cosaque jouait en frappant du pied sur le sol, et il chantait avec sa voix grave en répétant tout le temps les mêmes syllabes.

«Ay, ay, yaya, yaya, ayaya, yaya, ayaya, yaya, ay, ay!» Il chantait et jouait de l'accordéon, en se balançant, et Mondo pensait qu'il avait vraiment l'air d'un gros ours.

Les gens qui passaient s'arrêtaient un instant pour le regarder, ils riaient un peu et continuaient leur chemin.

Plus tard, quand la nuit était tout à fait noire, le Cosaque cessait de jouer, et il s'asseyait sur le marche-pied de la Hotchkiss à côté du Gitan. Ils allumaient des cigarettes de tabac noir qui sentait fort et ils parlaient en buvant d'autres canettes de bière. Ils parlaient de choses lointaines que Mondo ne comprenait pas bien, des souvenirs de guerre et de voyage. Quelquefois le vieux Dadi parlait aussi, et Mondo écoutait ses paroles, parce qu'il était surtout question d'oiseaux, de colombes et de pigeons voyageurs. Dadi racontait avec sa voix douce, un peu essoufflée, les histoires de ces oiseaux qui volaient longtemps au-dessus de la campagne, quand la terre glissait sous eux avec ses rivières en méandres, les petits arbres plantés le long des routes pareilles à des rubans noirs, les maisons aux toits rouges et gris, les fermes entourées de champs de toutes les couleurs, les prairies, les collines, les montagnes qui ressemblaient à des tas de cailloux. Le petit homme racontait aussi comment les oiseaux revenaient toujours vers leur maison, en lisant sur le paysage comme sur une carte, ou bien en naviguant aux étoiles, comme les marins et les aviateurs. Les maisons des oiseaux étaient semblables à des tours, mais il n'y avait pas de porte, simplement des fenêtres étroites juste sous le toit. Quand il faisait chaud, on entendait les roucoulements qui montaient des tours, et on savait que les oiseaux étaient revenus.