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Oyant telles paroles de Robin Mielleux, commençoient les Trublions à faire vilaine grimace et chuchetoient entre eulx: «Est-ce Robin Mielleux, notre ami, qui parle de ceste façon? Il ne nous ame plus. Il nous trahit. Il serche à nous nuire, ou bien ses esprits sont esgarez.» Et les mieulx trublillonnans disoient: «Que prétend ce vieil tousseux? Pense-t-il que nous lairrerons nos bastons, gourdins, martins et matraques et les jolis petits bastons à feu que avons en poche? Que sommes nous en paix? Rien. Ne valons que par les coups que donnons. Veut-il que nous ne frappions plus? Veut-il que nous ne trublionnions plus?» Et s'éleva grande rumeur et murmures en l'assemblée, et estoit le concile des Trublions comme mer houleuse.

Lors le bon Robin Mielleux estendit ses petites mains jaunes sur les testes agitées, en façon de ung Neptune qui calme la tempeste, et ayant remis ainsi l'océan trublion en sa sereine et tranquille assiette, ou à peu près, reprit bien courtoisement:

«Vous suis ami, mes mignons, et bon conseiller. Entendez que veuil dire devant que vous fascher. Quand dis: Voulons apaisement, est clair que dis apaisement de nos ennemis, adversaires et de tous contrepensans, contredisans et contre-agissans. Est visible et apparent que dis apaisement de tous aultres que nous, apaisement de police et magistrature à nous opposée et contraire, apaisement des paisibles officiers civils investis de fonctions et pouvoir pour prévenir, contenir, réprimer et refréner trublionnage, apaisèment de justice et loi dont sommes menacés. Voulons que soyent ceux-là plongés dans profond et mortel apaisément; voulons pour quiconque n'est Trublion gouffre et abyme d'apaisement et repos sempiternel. Requiem aeternam dona eis, Domine. Voilà que nous voulons! Demandons pas apaisement nostre. Sommes pas apaisés. Quand chantons requiescat, est-ce pour nous? N'avons pas envie de dormir. Quand on est mort, c'est pour longtemps. Nos qui vivimus, donnons la paix à autrui, non en ce monde, ains dans l'autre. C'est la plus seure. Je veulx apaisèment. Suis-je une andouille? Connoissez vous point Robin Mielleux? Je ai, mes mignons, plus d'un tour en ma gibecière. Mes agnelets, estes vous donc moins avisés que marmots et grimauds d'escole qui, jouant ensemble aux barres ou chat-coupé, quand l'un d'eulx veut prendre l'autre en défaut, lui crie «Poulce» qui est trêve et suspension d'armes, et l'ayant ainsi démuni de toute défiance et défense, gaigne aisément sur luy et le fait quinaud?

»Ainsi fais-je, moi Robin Mielleux, procureur du Roy. Lorsque ai, comme souvent il se treuve, adversaires déifiants et éveillez en chambre du Conseil, leur dis:-Paix, paix, paix, messieurs. Pax vobiscum, et leur coule bien doulcement une potée de pouldre à canon et de vieux clous dessoubs leur banc, avec belle mèche dont tiens le bout. Puis, feignant dormir paisiblement, je allume la mèche au bon moment. Et s'ils ne sautent en l'air, ce n'est pas ma faute. C'est que pouldre estoit éventée. Ce sera pour une aultre fois.

»Mes bons amis, prenez exemple et modelle de vos chefs, maistres et dynastes. Voyez vous point que Tintinnabule se tient coi? Pour l'heure, il ne tintinnabule plus. Il guette occasion favorable pour retintinnabuler. Est-il apaisé? Vous ne le pensez point. Et le jeune Trublio, veut-il apaisement? Non. Il attend. Entendez bien. Est à vous utile, profitable et nécessaire, que paroissiez avoir favorable, benigne, lenifiante et detergente volonté de apaisement. Que vous en coûte? Rien. Et vous en tirerez grant prouffict. Faut que» vous, inapaisés, sembliez apaisés, et que les aultres (ceulx qui ne trublionnent point, je veuil dire), qui de vray sont apaisés, semblent inapaisés, courroucés, hargneux, enraigés, tout opposés, contraires et hostiles à bel apaisement, tant souhaitable, aimable et désirable. Ainsi sera manifeste que avez grand zèle et amour du bien et paix publics, et que, à contre poil, vos opposans ont maligne envie de troubler et détruire la ville et environs. Et ne dictes point que c'est difficile. En sera comme vouldrez. Ferez voir couleurs au simple public, ainsi qu'il vous plaira. Le public croira ce que vous direz. Avez son oreille. Si dictes: Veux apaisement, croira tout de suite que voulez apaisement. Dites le, pour lui faire plaisir. Cela ne couste rien. Et cependant, vos ennemis et adversaires qui premiers ont bêlé bien piteusement: Apaisement, apaisement (car ils ont été doulx comme moutons, on n'y peut contredire), vous sera loisible de leur escarbouiller la cervelle et de dire:-Vouloient pas apaisement: les avons desconfits. Voulons apaisement, ferons apaisement quand serons seuls maistres. Est louable faire pacifiquement guerre. Criez: Paix! paix! et assommez. Voilà qui est chrétien. Paix! paix! cet homme est mort! Paix, paix! j'en ai crevé trois. L'intention estoit pacifique et serez jugés sur vos intentions. Allez, dites: Apaisement! et tapez dur. Les cloches des moustiers sonneront à toute volée pour vous qui estes pacifiques, et serez poursuivis de louanges très belles par les bourgeois paisibles qui, voyant vos victimes estendues, le ventre ouvert, sur les pavés des rues, diront: Voilà qui est bien faict! C'est pour apaisement. Vive apaisement! Sans apaisement on ne sçauroit vivre à l'aise.»

XXVII

Madame la comtesse de Bonmont connaissait l'Exposition pour y avoir dîné plusieurs fois. Ce soir-là, c'est à «la Belle Chocolatière», restaurant suisse, situé, comme on sait, au bord de la Seine, que dînait madame de Bonmont avec l'élite guerrière du nationalisme, Joseph Lacrisse, Henri Léon, Jacques de Cadde, Gustave Dellion, Hugues Chassons des Aigues, et madame de Gromance qui, comme le remarqua Henri Léon, ressemblait beaucoup à la jolie servante du pastel de Liotard, dont une copie très agrandie servait d'enseigne au cabaret. Madame de Bonmont était douce et tendre. C'est l'amour, l'inexorable amour, qui l'avait mise au sein des guerriers. Elle y portait une âme faite comme l'Antigone de Sophocle, non pour la haine, mais pour la sympathie. Elle plaignait les victimes. Jamont était la plus touchante qu'elle eût su découvrir et la retraite prématurée de ce général lui tirait des larmes. Elle pensait lui broder un coussin de tapisserie sur lequel il reposât sa gloire. Elle faisait volontiers de ces présents, dont tout le prix était dans le sentiment. Son amour, agrandi d'admiration, pour le conseiller municipal Joseph Lacrisse, lui laissait des loisirs qu'elle employait à s'attendrir sur les malheurs de l'armée nationale et à manger des pâtisseries. Elle engraissait beaucoup et devenait une dame respectable. La jeune madame de Gromance formait des pensées moins généreuses. Elle avait aimé et trompé Gustave Dellion, et puis elle ne l'avait plus aimé. Mais Gustave, en lui ôtant son manteau clair à fleurs roses sur la terrasse de la «Belle Chocolatière», lui murmura dans l'oreille les noms de «sale rosse» et de «vadrouille», sous les yeux baissés du maître d'hôtel respectueux. Elle ne laissa paraître aucun trouble sur son visage. Mais au dedans d'elle-même elle le trouvait gentil, et elle sentit qu'elle allait l'aimer encore. De son côté, Gustave, pensif, comprit qu'il avait prononcé, pour la première fois de sa vie, une parole d'amour. Et gravement, il alla s'asseoir à table à côté de Clotilde. Le dîner, qui était le dernier de la saison, ne fut *fut point joyeux. La mélancolie des adieux se fit sentir, et une certaine tristesse nationaliste. Sans doute, on espérait encore, que dis-je, on nourrissait encore des espérances infinies. Mais il est douloureux, quand on a tout, le nombre et l'argent, d'attendre de l'avenir, du vague et lointain avenir, le contentement des longs désirs et des ambitions pressantes. Seul, Joseph Lacrisse gardait quelque sérénité, pensant avoir assez fait pour son roi en se faisant élire conseiller municipal par les républicains nationalistes des Grandes-Écuries.