Выбрать главу

Enfin il n’avait pas encore eu le temps d’examiner la chambre du crime ni les vêtements du mort qui avaient été déposés dans cette chambre après l’autopsie.

Au début, cela avait eu l’air d’une affaire de rien du tout. Un homme, qui avait toutes les apparences d’un bon petit-bourgeois, était tué par un inconnu dans une chambre d’hôtel.

Or, chaque renseignement qui arrivait compliquait le problème au lieu de le simplifier.

— Est-ce qu’il faut la faire entrer chez vous, commissaire ? cria une voix dans la cour. C’est la mère Canut…

Une forte et digne commère, qui avait dû se faire plus propre que d’habitude pour la circonstance, entra en cherchant tout de suite Maigret d’un regard méfiant de campagnarde.

— Vous avez quelque chose à me dire ? A propos de M. Clément ?

— A propos du monsieur qui est mort, et qui a eu son portrait sur le journal. C’est vrai que vous donnez cinquante francs ?

— Si vous l’avez vu le samedi 25 juin, oui !

— Et si je l’ai vu deux fois ?

— Ma foi, peut-être bien en aurez-vous cent ! Parlez…

— D’abord, il faut que vous promettiez de ne rien dire à mon homme. Ce n’est pas tant qu’il tienne au patron qu’à cause des cent francs qu’il irait boire… Bien sûr que j’aime quand même mieux que M. Tiburce ne sache pas que j’ai parlé… Car c’est avec lui que j’ai vu le monsieur qu’on a tué… La première fois, le matin autour de onze heures… Ils se promenaient tous les deux dans le parc…

— Vous êtes sûre de l’avoir reconnu ?

— Comme je vous reconnaîtrais… Il n’y en a pas tant comme lui… Ils ont peut-être causé ainsi pendant une heure… Puis, l’après-midi, par la fenêtre du salon, je les ai aperçus qui avaient l’air de se disputer…

— Quelle heure était-il ?

— Ça venait de sonner cinq heures… Cela fait bien deux fois, n’est-ce pas ?

Et elle ne quitta pas des yeux la main de Maigret qui prenait un billet de cent francs dans son portefeuille, soupira comme si elle eût regretté de n’avoir pas, ce samedi-là, suivi M. Clément à la piste.

— Je crois bien que je l’ai revu une troisième fois… dit-elle avec hésitation. Mais sans doute que ça ne compte pas… Quelques minutes après, M. Tiburce le reconduisit jusqu’à la grille…

— Ça ne compte pas, en effet ! trancha Maigret en la poussant vers la porte.

Il alluma une pipe, mit son chapeau sur sa tête et, dans le café, s’arrêta en face de M. Tardivon.

— Il y a longtemps que M. de Saint-Hilaire habite le petit château ?

— Une vingtaine d’années.

— Quel homme est-ce ?

— Un homme bien sympathique ! Un petit gros, joyeux garçon ! Et simple ! Quand j’ai des locataires, l’été, on ne le voit guère, parce que, quand même, il est d’un autre milieu… Mais, à la saison de la chasse, il entre souvent ici…

— Il a de la famille ?

— Il est veuf !… Nous, on l’appelle presque toujours M. Tiburce, parce que c’est un prénom pas commun… C’est à lui qu’appartiennent toutes les vignes que vous pouvez voir sur le coteau… Il s’en occupe lui-même, va de temps en temps faire une bombe à Paris et revient chausser ses souliers à clous… Qu’est-ce que la mère Canut a pu vous raconter ?

— Vous croyez qu’il est chez lui ?

— Il y a des chances. Je n’ai pas vu passer son auto aujourd’hui…

Maigret gagna la grille et sonna, non sans remarquer que, la Loire faisant un coude à partir de l’hôtel et la villa étant la dernière propriété du pays, on pouvait y entrer et en sortir à toute heure sans être vu.

Au-delà de la poterne, le mur d’enceinte se prolongeait encore sur une longueur de trois ou quatre cents mètres, après quoi il n’y avait plus que du taillis.

Un homme à moustaches tombantes, en tablier de jardinier, vint ouvrir, et, comme il sentait l’alcool, le commissaire conclut que c’était vraisemblablement le mari de Mme Canut.

— Ton maître est ici ?

Au même moment, Maigret aperçut un personnage en manches de chemise qui examinait une arroseuse mécanique. Le regard du jardinier lui prouva que c’était bien Tiburce de Saint-Hilaire qui, d’ailleurs, abandonnant l’instrument, se tourna vers le visiteur et attendit.

Comme Canut avait l’air pour le moins emprunté, il finit par s’approcher, après avoir ramassé sa veste posée sur le gazon.

— C’est moi que vous désirez voir ?

— Commissaire Maigret, de la Police judiciaire… Voulez-vous être assez aimable pour m’accorder un moment d’entretien ?

— Toujours ce crime ? grommela le châtelain avec un mouvement du menton dans la direction de l’Hôtel de la Loire. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?… Venez par ici ! Je ne vous invite pas à entrer au salon, car le soleil a lapé sur les murs toute la journée… Nous serons mieux sous cette tonnelle… Baptiste !… Des verres et une bouteille de mousseux !… La rangée du fond…

Il était bien tel que l’hôtelier l’avait décrit : petit, grassouillet, rougeaud, avec des mains courtes et peu soignées, un complet kaki comme en vend en série, pour la chasse et la pêche, la Manufacture de Saint-Etienne.

— Vous connaissiez M. Clément ? questionna Maigret en s’asseyant dans un des fauteuils de fer.

— D’après le journal, ce ne serait pas son vrai nom, mais il s’appellerait… comment donc ?… Grelet ?… Gellet ?…

— Gallet, oui ! Peu importe ! Vous étiez en affaires avec lui ?

Maigret eût juré à cet instant que son interlocuteur n’était pas très à son aise. Et d’ailleurs Saint-Hilaire éprouva le besoin de se pencher hors de la tonnelle, de murmurer :

— Cet imbécile de Baptiste est capable de prendre du demi-sec !… Et vous devez préférer boire sec, comme moi… C’est du vin de la propriété, traité selon la méthode champenoise… A propos de ce M. Clément – autant continuer à l’appeler ainsi – que vous dirais-je ? Prétendre que j’étais en affaires avec lui serait exagéré ! Dire que je ne l’ai jamais vu ne serait pas exact non plus…

Et tandis qu’il parlait, Maigret pensait à un autre interrogatoire : celui de Henry Gallet. Les deux hommes avaient une attitude toute différente. Le fils de la victime ne faisait rien pour se rendre sympathique et il se souciait assez peu de la bizarrerie de son attitude. Il attendait les questions d’un air soupçonneux, prenait son temps, pesait ses mots.

Tiburce, lui, bavardait d’abondance, souriait, agitait les mains, allait et venait, se faisait aussi bonhomme qu’il pouvait.

Mais, chez l’un comme chez l’autre, il y avait une même angoisse latente, la peur, peut-être, de ne pas pouvoir cacher quelque chose.

— Vous savez… Nous, châtelains, nous en recevons de toutes les sortes !… Et je ne parle pas seulement des vagabonds, des voyageurs de commerce, des marchands ambulants… Pour en revenir à ce M. Clément… Voici le vin ! Ça va. Baptiste !… Tu peux filer… Je viendrai tout à l’heure voir l’arroseuse !… Surtout, ne t’avise pas d’y toucher…

Tout en parlant, il retirait lentement le bouchon, remplissait les verres sans perdre une goutte de mousse.

— Bref, il est venu une fois ici il y a déjà longtemps… Sans doute savez-vous que les Saint-Hilaire sont une très vieille famille, dont je reste à l’heure actuelle le dernier rejeton… Encore est-ce miracle que je ne sois pas scribe dans quelque bureau de Paris ou d’ailleurs… Si je n’avais pas hérité d’un cousin, qui a fait fortune en Asie !… Bref, je voulais vous dire que mon nom figure dans tous les annuaires de la noblesse…

» Mon père, voilà une quarantaine d’années, s’est fait remarquer par ses opinions légitimistes…

» Moi, vous savez !…

Il sourit, but son vin mousseux en faisant claquer la langue d’une façon fort démocratique, attendit que Maigret eût vidé son verre pour le remplir à nouveau.