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— Votre mari a été assassiné à Sancerre, pendant la nuit du 25 au 26… C’est à moi que revient la tâche pénible de…

Le commissaire se tourna vers le portrait, questionna en désignant le premier communiant :

— Vous avez un fils ?

Un instant, Mme Gallet parut sur le point de perdre cette raideur qu’elle jugeait indispensable à sa dignité. Elle dit du bout des lèvres :

— Un fils, oui…

Puis aussitôt, la voix triomphante :

— Vous avez bien dit Sancerre, n’est-ce pas ?… Et nous sommes le 27… Dans ce cas, vous faites erreur… Attendez…

Elle passa dans la salle à manger, où Maigret aperçut la servante à quatre pattes. Lorsqu’elle revint, elle tendit une carte postale au visiteur.

— Cette carte est de mon mari… Elle porte la date du 26, c’est-à-dire d’hier, et le cachet de la poste de Rouen…

Elle avait peine à réprimer un sourire trahissant sa joie d’humilier la police qui se permettait de pénétrer chez elle.

— Il s’agit sans doute d’un autre Gallet, quoique je n’en connaisse pas…

Pour un peu, elle eût ouvert la porte, qu’elle ne pouvait s’empêcher de regarder.

— Le prénom de votre mari est Emile ? Et ses pièces d’identité lui donnent comme profession voyageur de commerce ?

— Il est l’agent de la Maison Niel et Cie pour toute la Normandie !

— Je crains, madame, que vous vous réjouissiez à tort… Je suis obligé de vous prier de m’accompagner à Sancerre… Pour vous comme pour moi…

— Mais puisque…

Elle secouait la carte, qui représentait le vieux marché de Rouen. La porte de la salle à manger n’avait pas été refermée et l’on voyait tantôt la croupe et les pieds de la bonne, tantôt sa tête et ses cheveux qui cachaient son visage. On entendait sur les planches le glissement du chiffon gras de cire.

— Croyez que je souhaite de tout cœur qu’il y ait erreur. Néanmoins, les papiers trouvés dans les poches du mort sont bien ceux de votre mari…

— On a pu les lui voler…

L’inquiétude, pourtant, commençait à percer dans sa voix, malgré elle. Elle suivit le regard que Maigret lançait au portrait, remarqua :

— Cette photo a été prise quand il était déjà au régime…

— Si vous voulez déjeuner, dit le commissaire, je viendrai vous prendre dans une heure, par exemple…

— Pas du tout… Si vous croyez que… qu’il le faut… Eugénie !… Mon manteau de soie noire, mon sac et mes gants…

Maigret ne prenait aucun intérêt à l’affaire, qui avait toutes les caractéristiques de l’affaire désagréable par excellence. Et, s’il gardait à la mémoire l’image de l’homme à barbiche - qui était au régime ! - et du gamin en costume de premier communiant, c’était à son insu.

Toutes ses démarches avaient des allures de corvée. Redescendre, dans une atmosphère de plus en plus étouffante, la fameuse allée centrale d’abord, sans pouvoir, cette fois, retirer son veston. Attendre trente-cinq minutes sur un banc de la gare de Melun, où il acheta un panier contenant des sandwiches, des fruits et une bouteille de bordeaux.

A trois heures de l’après-midi, il était installé, en face de Mme Gallet, dans un compartiment de première classe, et il roulait sur la grande ligne de Moulins, qui passe à Sancerre.

Les rideaux étaient fermés, les vitres baissées, mais ce n’était que de loin en loin qu’on recevait un petit souffle d’air frais.

Maigret avait tiré sa pipe de sa poche, puis il avait regardé sa compagne et il avait abandonné l’idée de fumer en sa présence.

Le train roulait depuis une bonne heure quand elle questionna d’une voix enfin plus humaine :

— Comment expliqueriez-vous cela ?

— Jusqu’ici, je ne puis rien expliquer, madame. Je ne sais rien. Comme je vous l’ai dit, le crime a été commis dans la nuit du 25 au 26, à l’Hôtel de la Loire.

» Nous sommes en période de vacances… Au surplus, les parquets de province ne sont pas toujours pressés… La Police judiciaire n’a été avertie que ce matin…

» Votre mari avait-il l’habitude de vous envoyer des cartes postales ?

— Chaque fois qu’il était absent.

— Il voyageait beaucoup ?

— Trois semaines par mois environ. Il allait à Rouen, où il descendait à l’Hôtel de la Poste… Depuis vingt ans !… De là, il rayonnait dans toute la Normandie, mais il s’arrangeait autant que possible pour rentrer le soir à Rouen.

— Vous n’avez qu’un fils ?

— Un fils, oui ! Il s’occupe de banque, à Paris…

— Il ne vit pas avec vous à Saint-Fargeau ?

— C’est trop loin pour qu’il revienne chaque jour. Il passe tous les dimanches avec nous…

— Puis-je vous conseiller de manger quelque chose ?

— Merci ! laissa-t-elle tomber du même ton qu’elle eût relevé une impertinence.

Et, en effet, il la voyait mal grignotant un sandwich comme la première venue, buvant du vin tiédi dans le gobelet de papier huilé de la compagnie.

On sentait que pour elle la dignité n’était pas un vain mot. Elle n’avait jamais dû être jolie, mais elle avait des traits réguliers et, moins figée, elle n’eût pas été sans charme, grâce à une certaine mélancolie qu’exprimait sa physionomie et que soulignait sa façon de tenir la tête penchée de côté.

— Pourquoi aurait-on tué mon mari ?

— Vous ne lui connaissez pas d’ennemi ?

— Ni ennemi ni ami ! Nous vivons à l’écart, comme tous ceux qui ont connu une autre époque que l’époque brutale et vulgaire d’après guerre…

— Ah !…

Le voyage était interminable. A plusieurs reprises, Maigret alla dans le couloir tirer quelques bouffées de sa pipe. Son faux col s’était amolli sous l’action de la chaleur et de sa transpiration abondante. Il enviait Mme Gallet qui ne s’apercevait même pas des trente-trois ou trente-quatre degrés à l’ombre et qui gardait exactement la pose qu’elle avait adoptée au départ, comme pour un déplacement en autobus, le sac posé sur les genoux, les mains sur le sac, la tête un tant soit peu tournée vers la portière.

— Comment ce… cet homme a-t-il été tué ?

— Le télégramme ne le dit pas… Je crois comprendre qu’on l’a trouvé mort le matin…

Mme Gallet eut un haut-le-corps, fut un moment, la bouche entrouverte, à chercher sa respiration.

— C’est impossible que ce soit mon mari… Cette carte est une preuve, n’est-ce pas ?… Je n’aurais même pas dû me déranger…

Sans savoir au juste pourquoi, Maigret regretta de n’avoir pas pris la photographie sur le piano, car déjà il avait de la peine à reconstituer dans sa mémoire le haut du visage. Par contre, il revoyait nettement la bouche trop longue, la barbiche drue, les épaules mal taillées de la jaquette.

Il était sept heures du soir quand le train s’arrêta en gare de Tracy-Sancerre, et il fallut parcourir encore un kilomètre sur la grand-route, traverser le pont suspendu qui enjambe la Loire.

Celle-ci n’offrait pas le spectacle majestueux d’une rivière, mais le spectacle d’une infinité de ruisseaux d’eau vive courant entre des bancs de sable couleur de blé trop mûr.

Sur un de ces îlets, un personnage en complet de nankin péchait à la ligne. On aperçut l’Hôtel de la Loire, dont la façade jaune se dressait le long du quai.

Les rayons du soleil étaient plus obliques, mais l’air, épaissi par la vapeur d’eau, restait irrespirable.

C’était maintenant Mme Gallet qui menait la marche et, en voyant à proximité de l’hôtel un homme qui faisait les cent pas et qui devait être un collègue, Maigret se renfrogna à l’idée que le couple qu’il formait avec sa compagne était d’un ridicule achevé.