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X

Le collaborateur

— Ouvrez la fenêtre…

— Mais vous venez de me prier…

Et Tiburce de Saint-Hilaire sourit, comme pour dire : « Enfin ! Je suis à vos ordres… Cependant je m’explique mal… »

Maigret, lui, ne souriait pas. Et, si l’on eût observé son visage, on y eût sans doute relevé l’ennui comme expression dominante.

Il était bourru dans ses gestes, dans le ton de sa voix. Il marchait à pas saccadés et, par saccades aussi, il redressait la tête, la baissait, prenait un objet à une place pour le déposer à une autre, sans raison.

— Puisque l’enquête vous passionne, je vous prends comme collaborateur… Par conséquent, je ne mettrai pas de gants et je vous traiterai comme un de mes inspecteurs… Appelez le patron !

Saint-Hilaire ouvrit docilement la porte, cria :

— Tardivon !… Hé ! Tardivon…

Quand le propriétaire de l’hôtel arriva, Maigret, assis sur le rebord de la fenêtre, fixait le plancher.

— Une simple question, monsieur Tardivon… Est-ce que Gallet était gaucher ?… Essayez de vous souvenir…

— Je n’ai jamais fait attention… Il est vrai que… Est-ce qu’un gaucher serre la main de quelqu’un de la main gauche ?

— Bien entendu !…

— Alors, il ne l’était pas, car ce détail doit frapper… Or les clients ont l’habitude de me serrer la main…

— Allez questionner les serveuses… Elles ont peut-être noté ce détail…

Pendant qu’il était dehors, Saint-Hilaire demanda :

— Vous attachez une grande importance à cette question de…

Mais le commissaire, sans répondre, gagna le corridor, cria à l’hôtelier :

— Par la même occasion, vous me demanderez M. Padailhan, contrôleur des contributions indirectes à Nevers… Je crois qu’il a le téléphone…

Il revint sur ses pas sans un regard à son compagnon, tourna un moment autour des vêtements étendus par terre.

— Maintenant, au travail !… Voyons… Emile Gallet n’était pas gaucher !… Nous verrons tout à l’heure si ce détail peut nous servir…

» Ou plutôt… Prenez ce couteau… C’est celui qui a servi au crime… Non ! Donnez-le-moi, car voilà qu’une fois de plus vous vous servez de la main gauche…

» Là !… Supposons maintenant qu’attaqué je doive me défendre ! Et je ne suis pas gaucher, retenons-le !… Bien entendu, je tiens le manche du poignard dans la main droite…

» Venez ici… C’est sur vous que je bondis… Vous êtes plus fort que moi… Vous me saisissez le poignet… Saisissez !… Bien !… Il est évident que c’est la main qui tient l’arme que vous immobilisez !…

» Cela suffit… Regardez cette photo… C’est celle du cadavre, prise par l’Identité judiciaire… Or, que voyons-nous ? Que c’est au poignet de la main gauche qu’Emile Gallet portait des ecchymoses…

» Qu’est-ce qu’il y a, Tardivon ?… Déjà Nevers ?… Non ?… Vous dites que les serveuses sont d’accord pour affirmer que Gallet n’était pas gaucher ?… Merci !… Pouvez aller…

» A nous deux, monsieur de Saint-Hilaire… Comment allez-vous expliquer ceci, vous ?

» Gallet n’était pas gaucher et c’est pourtant de la main gauche qu’il tenait son arme !… Et l’examen des lieux prouve qu’il n’avait rien dans la main droite…

» Je ne vois qu’une solution au problème… Regardez… Je veux m’enfoncer cette lame dans le cœur… Qu’est-ce que je fais ?… Suivez mes moindres gestes…

» Je saisis le manche de la main gauche !… Car cette main ne va me servir qu’à maintenir le couteau dans la bonne direction… Ma main droite est la plus forte… C’est de celle-là que j’use pour faire pression sur la gauche… Tenez !… Ce mouvement-ci… Je tiens mon poignet gauche dans les doigts de ma main droite… Je serre très fort, parce que je suis fiévreux et qu’il s’agit de résister à la douleur… Si bien que je me fais à moi-même des ecchymoses…

Il rejeta le couteau sur la table, d’un geste désinvolte.

— Bien entendu, pour admettre cette reconstitution des faits, il faudrait admettre aussi que Gallet s’est tué lui-même… Et il n’avait pas le bras assez long pour brandir un revolver à sept mètres de son visage, pas vrai ?…

» Au temps ! comme on dit à l’armée. Cherchons autre chose !…

Saint-Hilaire gardait le même sourire un peu étriqué sur ses lèvres. Mais ses prunelles, plus grandes que d’habitude, devenaient d’une mobilité anormale pour ne pas quitter un instant Maigret qui allait et venait sans cesse, esquissait cinquante gestes inutiles pour un geste utile, prenait le dossier rose, l’ouvrait, le refermait, le glissait sous un dossier vert et allait soudain changer la place d’une des chaussures du mort.

— Venez avec moi… Oui, enjambez… Nous voici dans le chemin des orties… Imaginons que nous sommes le samedi soir, qu’il fait nuit et qu’on entend les bruits de la fête et du tir… Peut-être même voit-on dans le ciel les lueurs mouvantes du manège de chevaux de bois…

» Emile Gallet, qui a retiré sa jaquette, se hisse au sommet de ce mur, ce qui n’est pas un exercice facile pour un homme de son âge, miné par la maladie…

» Suivez-moi !…

Il l’entraîna jusqu’à la grille, qu’il ouvrit et referma.

— Donnez-moi la clé… Bien ! Cette grille était fermée et la clé se trouvait comme d’habitude dans le creux qu’on voit entre deux pierres… C’est votre jardinier lui-même qui me l’a dit…

» Et nous entrons chez vous… N’oublions pas qu’il fait noir… Remarquez que nous ne faisons que chercher le sens de certains indices, ou plutôt que nous essayons d’accorder des indices contradictoires…

» Par ici, s’il vous plaît !… Imaginons, dans le parc, un personnage qu’inquiètent les faits et gestes d’Emile Gallet… Il doit en exister quelques-uns… Gallet est un escroc… Dieu sait ce qu’il a encore sur la conscience !…

» De ce côté du mur, donc, un homme, comme vous et moi, qui a remarqué que dans la soirée Gallet était nerveux et qui sait peut-être que sa situation est désespérée…

» Notre homme, que nous appellerons X comme en algèbre, va et vient le long du mur et voit tout à coup la silhouette d’Emile Gallet, alias M. Clément, se dresser sur le faîte, sans jaquette.

» Est-ce que, de la villa, on peut apercevoir cette partie de la clôture ?

— Non… Je ne comprends pas où vous voulez…

— … En venir ?… Nulle part !… Nous poursuivons l’enquête, quitte à changer cent fois d’hypothèse s’il le faut… Tenez ! J’en change déjà !… X ne se promène pas… Il a vu les barriques vides et, plutôt que de grimper sur le mur pour savoir ce qui se passe de l’autre côté, il a traîné une de ces barriques qui lui sert de piédestal.

» C’est à ce moment que la silhouette d’Emile Gallet se découpe sur le ciel…

» Les deux hommes ne parlent pas. Car, s’ils avaient eu quelque chose à dire, ils se seraient rapprochés… Pour s’entendre, à une distance de dix mètres, il faut parler fort… Et des gens qui se rencontrent dans des circonstances aussi anormales, l’un sur une barrique, l’autre en équilibre sur un mur, n’ont pas envie d’attirer l’attention…

» D’ailleurs, X est dans l’ombre. Emile Gallet ne le voit pas, redescend de son perchoir, rentre chez lui et…

» Ici, cela devient plus difficile… A moins de supposer que c’est X qui a tiré…

— Que voulez-vous dire ?

Maigret, qui était monté sur la barrique, en descendit lourdement.

— Donnez-moi du feu !… Bon !… Encore votre main gauche !… Nous allons maintenant, sans nous inquiéter de savoir qui a tiré, suivre le chemin que notre X a parcouru… Venez… Il prend la clé à sa place… Il ouvre la grille… Auparavant, pourtant, il est allé quelque part chercher des gants de caoutchouc… Il faudra que vous demandiez à votre cuisinière s’il lui arrive d’en porter pour éplucher ses légumes et s’ils n’ont pas disparu… Est-elle coquette ?…