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— Vous permettez que je l’emporte ? intervint Maigret en se tournant vers la veuve, je puis en avoir besoin…

Il sentit que Henry le suivait des yeux avec un mépris accentué.

— S’il le faut… J’ai très peu de photographies de lui…

— Je vous promets de vous la rendre…

Il ne se décidait pas à partir. Au moment où les ouvriers transportaient sans ménagement un vase énorme, en faux sèvres, Mme Gallet se précipita :

— Attention !… Vous allez heurter le chambranle…

Et c’était toujours le même mélange de douleur et de grotesque, de drame et de petitesse qui pesait aux épaules de Maigret, dans cette maison désolée où il croyait voir errer, silencieux, les yeux plombés par la maladie de foie, la poitrine creuse, la jaquette mal coupée, Emile Gallet qu’il n’avait pas connu vivant.

Il avait glissé le portrait dans le dossier rose. Il hésita.

— Veuillez encore m’excuser, madame… Je m’en vais… Je serais heureux que votre fils m’accompagne un bout de chemin…

Mme Gallet regarda Henry avec une angoisse mal réprimée. Elle devait sentir aussi, elle, malgré ses allures dignes, ses gestes mesurés, son triple rang de pierres noires au cou, qu’il y avait quelque chose

Mais le jeune homme, indifférent, alla décrocher son chapeau à ruban de crêpe d’une patère.

Ce départ ressemblait à une fuite. Le dossier était lourd. Ce n’était qu’une chemise de carton d’où les papiers menaçaient de s’échapper.

— Vous ne voulez pas un journal pour l’envelopper ? questionna Mme Gallet.

Maigret était déjà dehors. La servante se dirigeait vers la salle à manger avec une nappe et des couteaux. Henry marchait vers la gare, long, silencieux, le regard insaisissable.

Quand les deux hommes furent à trois cents mètres de la maison et alors que les tapissiers mettaient le moteur de la camionnette en marche, le commissaire prononça :

— Je n’ai que deux renseignements à vous demander : l’adresse d’Eléonore Boursang à Paris… La vôtre et celle de la maison où vous travaillez.

Il prit un crayon dans sa poche et écrivit sur la couverture rose qu’il avait à la main :

Eléonore Boursang : 27, rue de Turenne. Banque Sovrinos : 117, boulevard Beaumarchais… Henry Gallet : Hôtel Bellevue, 19, rue de la Roquette…

— C’est tout ? questionna le jeune homme.

— Je vous remercie ! Oui…

— Dans ce cas, j’espère que, maintenant, vous allez vous occuper de l’assassin…

Il n’essaya pas de juger de l’effet produit. Il toucha le bord de son chapeau et se mit à remonter l’avenue centrale du lotissement.

La camionnette dépassa Maigret un peu avant son arrivée à la gare.

Le dernier élément recueilli ce jour-là le fut par l’effet du hasard. Maigret arriva à la gare une heure avant le passage du train. Il se trouva seul dans la salle d’attente déserte, au milieu d’un nuage de mouches.

Il vit arriver en vélo un facteur, au cou violet d’apoplectique, qui rangea ses sacs sur une table servant aux bagages.

— C’est vous qui desservez les Marguerites ? questionna le commissaire, que le facteur n’avait pas vu.

L’homme se retourna tout d’une pièce.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Police ! C’est un renseignement que je vous demande. Vous aviez beaucoup de courrier, pour M. Gallet ?

— Beaucoup, non ! Des lettres de la maison où ce pauvre monsieur travaillait et qui venaient à date fixe. Puis des journaux.

— Quels journaux ?

— Des journaux de province… Surtout du Berry et du Cher… Puis des revues : La Vie à la Campagne, Chasse et Pêche, La Vie de Château

Le commissaire nota que son interlocuteur évitait son regard.

— Il y a un bureau de poste restante à Saint-Fargeau ?

— Que voulez-vous dire ?

— M. Gallet ne recevait pas d’autres lettres ?

Le facteur se troubla soudain.

— Du moment que vous savez et qu’il est mort… balbutia-t-il. Sans compter que je n’ai même pas enfreint le règlement… Il m’avait seulement demandé de ne pas jeter dans la boîte certaines lettres et de les garder jusqu’à son retour, quand il était en voyage…

— Quelles lettres ?

— Oh ! il n’y en avait pas des tas… A peine une tous les deux ou trois mois… Des enveloppes bleues, bon marché… L’adresse était écrite à la machine…

— Elles ne portaient pas l’adresse de l’expéditeur ?

— L’adresse, non !… Mais je ne pouvais pas me tromper car, au dos, il était écrit, à la machine aussi : Ex. : M. Jacob… Est-ce que j’ai mal fait ?

— D’où venaient ces lettres ?

— De Paris…

— Vous ignorez l’arrondissement ?

— J’ai regardé… Mais ça changeait chaque fois…

— Quand la dernière est-elle arrivée ?

— Attendez… Nous sommes le 29, n’est-ce pas ?… Mercredi… Alors, c’était jeudi soir… Mais je n’ai vu M. Gallet que vendredi matin, alors qu’il partait à la pêche…

— Et il est allé à la pêche ?

— Non ! Il est rentré chez lui, après m’avoir donné cinq francs, comme d’habitude… Cela m’a fait quelque chose quand j’ai appris qu’on l’avait tué… Vous croyez que la lettre…

— Il est parti le jour même ?

— Oui… Attention !… C’est le train de Melun que vous attendez ? Ça vient de sonner au passage à niveau… Est-ce que vous allez être obligé d’en parler ?…

Maigret n’eut que le temps de courir sur le quai et de sauter dans l’unique wagon de première classe.

IV

L’escroc des légitimistes

En arrivant pour la seconde fois à l’Hôtel de la Loire, Maigret répondit sans chaleur à M. Tardivon qui l’accueillait avec des airs confidentiels, le conduisait à sa chambre et lui montrait de grandes enveloppes jaunes arrivées à son adresse.

Il y avait là le rapport du médecin légiste, les procès-verbaux de la gendarmerie et de la police de Nevers.

La police de Rouen, de son côté, avait envoyé des renseignements complémentaires sur la caissière Irma Strauss.

— Ce n’est pas tout, exulta l’hôtelier. Le brigadier de gendarmerie est venu pour vous voir. Il demande que vous lui téléphoniez dès votre arrivée… Enfin il y a une femme qui s’est présentée trois fois, sans doute à la suite du boniment du tambour de ville…

— Quelle femme ?

— La mère Canut, la femme du jardinier d’en face… Je vous ai parlé du petit château, vous vous en souvenez ?

— Elle n’a rien dit ?

— Pas si bête ! Du moment qu’il y a une récompense à la clé, ce n’est pas elle qui se laisserait souffler le renseignement, pour autant qu’elle sache quelque chose…

Maigret avait déposé sur la table le dossier rose, ainsi que la photographie de Gallet.

— Faites chercher cette femme et demandez-moi la gendarmerie à l’appareil…

Un peu plus tard, il avait au bout du fil le brigadier, qui lui annonçait que, selon les instructions reçues, il avait ramassé tous les vagabonds à dix lieues à la ronde et qu’il les tenait à sa disposition.

— Il y en a d’intéressants ?

— Ce sont des vagabonds, se contenta de répondre le gendarme.

Pendant trois ou quatre minutes, Maigret resta seul dans sa chambre, en face du monceau de papiers. Et il en attendait d’autres ! Il avait télégraphié à Paris pour demander des renseignements sur Henry Gallet et sur sa maîtresse. A tout hasard, il avait alerté Orléans afin de savoir s’il existait dans la ville un M. Clément.