Tant bien que mal elle avait réparé le désordre de son costume. Elle était affreusement pâle encore, mais sa démarche était ferme.
– Je vais me retirer, madame, dit-elle à la baronne. Maîtresse de moi-même, je n’eusse pas accepté une hospitalité qui pouvait attirer tant de malheurs sur votre maison… Hélas!… il ne vous en coûte déjà que trop de larmes et trop de deuils, de m’avoir connue… Comprenez-vous, maintenant, pourquoi je voulais vous fuir?… Un pressentiment me disait que ma famille serait fatale à la vôtre…
– Malheureuse enfant!… s’écria Mme d’Escorval, où voulez-vous aller!…
Marie-Anne leva ses beaux yeux vers le ciel, où elle plaçait toutes ses espérances.
– Je l’ignore, madame, répondit-elle; mais le devoir commande… Je dois savoir ce que sont devenus mon père et mon frère et partager leur sort…
– Quoi!… s’écria Maurice, toujours cette pensée de mort!… Vous savez bien, cependant, que vous n’avez plus le droit de disposer de votre vie!…
Il s’arrêta, il avait failli laisser échapper un secret qui n’était pas le sien… Mais une inspiration lui venant, il se jeta aux pieds de Mme d’Escorvaclass="underline"
– O ma mère, lui dit-il, mère chérie, la laisserons-nous s’éloigner?… Je puis périr en essayant de sauver mon père… Elle serait ta fille alors, elle que j’ai tant aimée, tu reporterais sur elle tes tendresses divines…
Marie-Anne resta.
XXV
Le secret que les approches de la mort avaient arraché à Marie-Anne au fort de la fusillade de la Croix-d ’Arcy, Mme d’Escorval l’ignorait quand elle joignait sa voix aux prières de son fils pour retenir la malheureuse jeune fille.
Mais cette circonstance n’inquiétait pas Maurice.
Sa foi en sa mère était absolue, complète; il était sûr qu’elle pardonnerait quand elle apprendrait la vérité.
Les femmes aimantes, chastes épouses et mères sans reproche, gardent au fond du cœur des trésors d’indulgence pour les entraînements de la passion.
Elles peuvent mépriser et braver les préjugés hypocrites, celles dont la vertu immaculée n’eut jamais besoin des honteuses transactions du monde.
Et d’ailleurs, est-il une mère qui, secrètement, n’excuse la jeune fille qui n’a pu se défendre de l’amour de son fils, à elle, de ce fils que son imagination pare de séductions irrésistibles!…
Toutes ces réflexions avaient traversé l’esprit de Maurice, et plus tranquille sur le sort de Marie-Anne, il ne songea qu’à son père.
Le jour venait… Maurice déclara qu’il allait endosser un déguisement et se rendre à Montaignac.
À ces mots, Mme d’Escorval se détourna, cachant son visage dans les coussins du canapé pour y étouffer ses sanglots.
Elle tremblait pour la vie de son mari, et voici que son fils se précipitait au-devant du danger… Peut-être; avant le coucher de ce soleil qui se levait, n’aurait-elle ni mari ni fils.
Et pourtant elle ne dit pas: «Non, je ne veux pas!» Maurice ne remplissait-il pas un devoir sacré!… Elle l’eût aimé moins, si elle l’eût cru capable d’une lâche hésitation. Elle eût séché ses larmes s’il l’eût fallu, pour lui dire: «Pars!»
Tout d’ailleurs n’était-il pas préférable aux horreurs de cette incertitude où on se débattait depuis des heures!…
Maurice gagnait déjà la porte pour monter revêtir un travestissement, l’abbé Midon lui fit signe de rester.
– Il faut, en effet, courir à Montaignac, lui dit-il, mais vous déguiser serait une folie. Infailliblement vous seriez reconnu, et indubitablement on vous appliquerait l’axiome que vous savez: «Tu te caches, donc tu es coupable.» Vous devez marcher ouvertement, la tête haute, exagérant l’assurance de l’innocence… Allez droit au duc de Sairmeuse et au marquis de Courtomieu, criez à l’injustice!… Mais je veux vous accompagner, nous irons en voiture à deux chevaux.
Maurice paraissait indécis.
– Suis les conseils de M. le curé, mon fils, dit Mme d’Escorval, il sait mieux que nous ce que nous devons faire.
– J’obéirai, mère!
L’abbé n’avait pas attendu cet assentiment pour courir donner l’ordre d’atteler. Mme d’Escorval sortit pour écrire quelques lignes à une amie dont le mari jouissait d’une certaine influence à Montaignac. Maurice et son amie restèrent seuls.
C’était, depuis l’aveu de Marie-Anne, leur première minute de solitude et de liberté.
Ils étaient debout, à deux pas l’un de l’autre, les yeux encore brillants de pleurs répandus, et ils restèrent ainsi un instant, immobiles, pâles, oppressés, trop émus pour pouvoir traduire leur sensation.
À la fin, Maurice s’avança, entourant de son bras la taille de son amie.
– Marie-Anne, murmura-t-il, chère adorée, je ne savais pas qu’on pouvait aimer plus que je ne vous aimais hier… Et vous, vous avez souhaité la mort, quand de votre vie une autre vie précieuse dépend!…
Elle hocha tristement la tête.
– J’étais terrifiée, balbutia-t-elle… L’avenir de honte que je voyais, que je vois, hélas! se dresser devant moi m’épouvantait jusqu’à égarer ma raison… Maintenant, je suis résignée… j’accepterai sans révolte la punition de l’horrible faute… je m’humilierai sous les outrages qui m’attendent!…
– Des outrages, à vous!… Ah! malheur à qui oserait!… Mais ne serez-vous pas ma femme devant les hommes comme vous l’êtes devant Dieu!… Le malheur à la fin se lassera!…
– Non, Maurice, non!… il ne se lassera pas.
– Ah!… c’est toi qui es sans pitié!… Je ne le vois que trop, tu me maudis, tu maudis le jour où nos regards se sont rencontrés pour la première fois!… Avoue-le… dis-le…
Marie-Anne se redressa.
– Je mentirais, répondit-elle, si je disais cela… Mon lâche cœur n’a pas ce courage. Je souffre, je suis humiliée et brisée, mais je ne regrette rien, puisque…
Elle n’acheva pas; il l’attira à lui, leurs visages se rapprochèrent, et leurs lèvres et leurs larmes se confondirent en un baiser…
– Tu m’aimes, s’écria Maurice, tu m’aimes!… Nous triompherons, je saurai sauver mon père et le tien, je sauverai ton frère!
Dans la cour, les chevaux piaffaient. L’abbé Midon criait: «Eh bien! partons-nous?» Mme d’Escorval reparut avec une lettre, qu’elle remit à Maurice.
Longtemps elle tint embrassé dans une étreinte convulsive ce fils qu’elle tremblait de ne plus revoir, puis rassemblant toute son énergie, elle le repoussa en prononçant ce seul mot:
– Va!…
Il sortit… et lorsque s’éteignit, sur la route, le roulement de la voiture qui l’emportait, Mme d’Escorval et Marie-Anne se laissèrent tomber à genoux, implorant la miséricorde du Dieu des causes justes.
Elles ne pouvaient que prier. Le curé de Sairmeuse agissait, ou plutôt il poursuivait l’exécution du plan de salut qu’il avait conçu.
Ce plan, d’une simplicité terrible, comme la situation, il l’expliquait à Maurice pendant que galopaient les chevaux rudement menés.
– Si en vous livrant vous deviez sauver votre père, disait-il, je vous crierais: Livrez-vous, et confessez la vérité, c’est votre devoir strict… Mais ce sacrifice serait plus qu’inutile, il serait dangereux. Jamais l’accusation ne consentirait à vous séparer de votre père. On vous garderait, mais on ne le lâcherait pas, et vous seriez indubitablement condamnés tous les deux… Laissons donc – je ne dirai pas la justice, ce serait un blasphème – mais les hommes de sang qui s’intitulent juges, s’égarer sur son compte et lui attribuer tout ce que vous avez fait… Au moment du procès, nous arriverons avec les plus éclatants témoignages d’innocence, avec des alibi tellement indiscutables que force sera de l’acquitter… Et je connais assez les gens de notre pays pour être sûr que pas un des accusés ne révélera notre manœuvre…