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Mais pour cela, précisément, elle hésitait à lui dire qu’il avait inutilement dompté les révoltes de son orgueil.

Elle se demandait avec épouvante à quelles extrémités le porteraient les rages de son amour-propre offensé et si elle n’allait pas trouver en lui un ennemi qui ferait échouer toutes ses tentatives.

– Vous ne répondez pas?… interrogea Martial dont l’anxiété était visible.

Elle sentait bien qu’il fallait répondre, en effet, parler, dire quelque chose, mais elle ne pouvait desserrer les lèvres…

– Je ne suis qu’une pauvre fille, monsieur le marquis, murmura-t-elle enfin… Je vous préparerais, si j’acceptais, des regrets éternels!…

– Jamais!…

– D’ailleurs, vous avez perdu le droit de disposer de vous-même. Vous avez donné votre parole. Mlle Blanche de Courtomieu est votre fiancée…

– Ah!… dites un mot, un seul, et ces engagements que je déteste sont rompus.

Elle se tut. Il était clair que son parti était pris irrévocablement et qu’elle refusait.

– Vous me haïssez donc? fit tristement Martial.

S’il lui eût été permis de dire toute la vérité, Marie-Anne eût répondu: «Oui.» Le marquis de Sairmeuse lui inspirait une aversion presque insurmontable.

– Je ne m’appartiens pas plus que vous ne vous appartenez, monsieur, prononça-t-elle.

Un éclair de haine, aussitôt éteint, brilla dans l’œil de Martial.

– Toujours Maurice!… dit-il.

– Toujours.

Elle s’attendait à une explosion de colère, il resta calme.

– Allons, reprit-il avec un sourire contraint, il faut que je me rende à l’évidence!… Il faut que je reconnaisse et que j’avoue que vous m’avez fait jouer, à la Rèche, un personnage affreusement ridicule… Jusqu’ici je doutais.

La pauvre fille baissa la tête, rouge de honte jusqu’à la racine des cheveux, mais elle n’essaya pas de nier.

– Je n’étais pas maîtresse de ma volonté, balbutia-t-elle, mon père commandait et menaçait, j’obéissais…

– Peu importe, interrompit-il, votre rôle n’a pas été celui d’une jeune fille…

Ce fut son seul reproche, et encore il le regretta; soit qu’il crût de sa dignité de ne pas laisser deviner la blessure saignante de son orgueil, soit que véritablement – ainsi qu’il le déclarait plus tard – il ne put prendre sur lui d’en vouloir à Marie-Anne.

– Maintenant, reprit-il, je m’explique votre présence ici. Vous venez demander la grâce de M. d’Escorval.

– Grâce! non; mais justice? Le baron est innocent…

Martial se rapprocha de Marie-Anne, et baissant la voix:

– Si le père est innocent, murmura-t-il, c’est donc le fils qui est coupable!…

Elle recula terrifiée. Il tenait le secret que les juges n’avaient pas su ou n’avaient pas voulu pénétrer. Mais lui, voyant son angoisse, en eut pitié.

– Raison de plus, dit-il, pour essayer de sauver le baron!… Son sang versé sur l’échafaud creuserait entre Maurice et vous un abîme que rien ne comblerait… Je joindrai mes efforts aux vôtres…

Rouge, embarrassée, Marie-Anne n’osa pas remercier Martial. Comment allait-elle reconnaître sa générosité? En le calomniant odieusement. Ah! mille fois, elle eût préférer affronter sa colère.

Sans nul doute, il allait donner d’utiles indications, quand un valet ouvrit la porte du salon, et M. le duc de Sairmeuse, toujours en grand uniforme, entra.

– Par ma foi!… s’écria-t-il dès le seuil, il faut avouer que ce Chupin est un limier incomparable, grâce à lui…

Il s’interrompit brusquement, il venait de reconnaître Marie-Anne.

– La fille de ce coquin de Lacheneur!… fit-il, de l’air le plus surpris, que veut-elle?

Le moment décisif était arrivé. La vie du baron allait dépendre de l’adresse et du courage de Marie-Anne. La conscience de sa terrible responsabilité lui rendit comme par magie tout son sang-froid et même quelque chose de plus.

– On m’a chargée de vous vendre une révélation, monsieur, dit-elle résolument.

Le duc l’examina curieusement, et c’est en riant du meilleur cœur qu’il se laissa tomber et s’étendit sur un canapé.

– Vendez, la belle, répondit-il, vendez!…

– Je ne puis traiter que si je suis seule avec vous, monsieur.

Sur un signe de son père, Martial se retira.

– Vous pouvez parler, maintenant… mam’selle, dit le duc.

Elle n’eut pas une seconde d’hésitation.

– Vous devez avoir lu, monsieur, commença-t-elle, la circulaire qui convoquait tous les conjurés!

– Certes!… j’en ai une douzaine d’exemplaires dans ma poche.

– Par qui pensez-vous qu’elle a été rédigée?

– Par le sieur Escorval, évidemment, ou par votre père…

– Vous vous trompez, monsieur, cette lettre est l’œuvre du marquis de Sairmeuse, votre fils…

Le duc de Sairmeuse se dressa, l’œil flamboyant, plus rouge que son pantalon garance.

– Jarnibieu!… s’écria-t-il, je vous engage, la fille, à brider votre langue!…

– La preuve existe de ce que j’avance!…

– Silence, coquine! sinon…

– La personne qui m’envoie, monsieur le duc, possède le brouillon de cette circulaire, écrit en entier de la main de M. Martial, et je dois vous dire…

Elle n’acheva pas. Le duc bondit jusqu’à la porte et d’une voix de tonnerre appela son fils.

Dès que Martial rentra.

– Répétez, dit le duc à Marie-Anne, répétez devant mon fils ce que vous venez de me dire.

Audacieusement, le front haut, d’une voix ferme, Marie-Anne répéta.

Elle s’attendait, de la part du marquis, à des dénégations indignées, à des reproches cruels, à des explications violentes. Point. Il écoutait d’un air nonchalant et même elle croyait lire dans ses yeux comme un encouragement à poursuivre et des promesses de protection.

Dès que Marie-Anne eut achevé:

– Eh bien!… demanda violemment M. de Sairmeuse à son fils.

– Avant tout, répondit Martial d’un ton léger, je voudrais voir un peu cette fameuse circulaire.

Le duc lui en tendit un exemplaire.

– Tenez!… lisez!…

Martial n’y jeta qu’un regard, il éclata de rire et s’écria:

– Bien joué!…

– Que dites-vous?…

– Je dis que Chanlouineau est un rusé compère… Qui diable! jamais se serait attendu à tant d’astuce, en voyant la face honnête de ce gros gars… Fiez-vous donc après à la mine des gens!…

De sa vie, le duc de Sairmeuse n’avait été soumis à une épreuve si rude.

– Chanlouineau ne mentait donc pas, dit-il à son fils d’une voix étranglée, vous étiez donc un des instigateurs de la rébellion…

La physionomie de Martial s’assombrit, et d’un ton de dédaigneuse hauteur:

– Voici quatre fois déjà, monsieur, fit-il, que vous m’adressez cette question, et quatre fois que je vous réponds: non. Cela devrait suffire. Si la fantaisie m’eût pris de me mêler de ce mouvement, je vous l’avouerais le plus ingénument du monde. Quelles raisons ai-je de me cacher de vous?…