Un serment comme celui de Balstain, et de la part d’un tel homme, c’était, il ne pouvait se le dissimuler, sinon un arrêt de mort, du moins la certitude d’une tentative prochaine d’assassinat…
Cela le tourmentait tellement, que jamais il ne voulut laisser le détachement coucher à Saint-Pavin, comme c’était convenu. Il lui tardait de s’éloigner.
Quand les soldats eurent soupé, et longuement, Chupin envoya chercher une charrette, où le prisonnier fut garrotté, et on partit.
Deux heures après minuit venaient de sonner quand Lacheneur fut écroué à la citadelle de Montaignac.
Nul ne semblait s’y douter qu’en ce moment même, M. d’Escorval et le caporal Bavois travaillaient à leur évasion.
XXXII
Seul dans son cachot, après le départ de Marie-Anne, Chanlouineau s’abandonnait au plus affreux désespoir.
Il venait de donner plus que sa vie à cette femme tant aimée.
N’avait-il pas risqué son honneur en simulant, pour obtenir une entrevue, les plus ignobles défaillances de la peur.
Tant qu’il l’avait attendue, tant qu’elle avait été là, il ne songeait qu’au succès de sa ruse… Mais maintenant il ne prévoyait que trop ce que diraient les gardiens.
– Ce Chanlouineau, raconteraient-ils sans doute, n’était après tout qu’un misérable fanfaron… Nous l’avons entendu implorer sa grâce à genoux, promettant de livrer et de faire prendre ses complices.
La pensée que sa mémoire pouvait être flétrie de ces imputations de lâcheté et de trahison, le rendait fou de douleur.
Il souhaitait la mort, qui allait, pensait-il, lui offrir un moyen de réhabilitation.
– On verra bien, disait-il avec rage; on verra bien demain, en face du peloton d’exécution, si je pâlis et si je tremble!…
Il était dans ces dispositions, quand sa porte s’ouvrit livrant passage au marquis de Courtomieu, qui, après avoir vu lui échapper Mlle Lacheneur, venait s’informer des résultats de sa visite.
– Eh bien! mon brave garçon, commença-t-il de son ton doucereux.
– Sortez! cria Chanlouineau exaspéré, sortez, sinon!…
Sans attendre la fin de la phrase, le marquis s’esquiva prestement, effrayé et surtout fort surpris du changement.
– Quel redoutable et féroce scélérat! dit-il au gardien, il serait peut-être prudent de lui mettre la camisole de force…
Ah!… il n’en était pas besoin. L’héroïque paysan venait de se laisser tomber sur la paille de son cachot, brisé par cette horrible fièvre de l’angoisse qui vieillit un homme en une nuit.
Marie-Anne saurait-elle du moins tirer parti de l’arme qu’il venait de mettre entre ses mains?…
S’il l’espérait, c’est qu’il songeait qu’elle aurait pour conseil et pour guide un homme dont l’expérience lui inspirait une confiance absolue: l’abbé Midon.
– Martial aura peur de la lettre, se répétait-il, certainement il aura peur…
En cela, Chanlouineau se trompait absolument. Son intelligence était certes au-dessus de sa condition, mais elle n’était pas assez raffinée pour pénétrer un caractère tel que celui du jeune marquis de Sairmeuse.
Ce brouillon, écrit par lui en un moment d’abandon et d’aveuglement, fut presque sans influence sur les déterminations de Martial.
Il parut s’en effrayer prodigieusement pour en épouvanter son père, mais au fond il considérait la menace comme puérile.
Marie-Anne, sans la lettre, eût obtenu de lui la même assistance.
D’autres causes eussent décidé Martiaclass="underline" la difficulté et le danger de l’entreprise, les risques à courir, les préjugés à braver.
Déjà, à cette époque, il n’y avait que l’impossible capable de tenter cet esprit aventureux et blasé, et cependant avide d’émotions.
Sauver la vie du baron d’Escorval, un ennemi, presque sur les marches de l’échafaud, lui sembla beau… Assurer en le sauvant le bonheur d’une femme qu’il adorait et qui lui préférait un autre homme, lui parut digne de lui…
Quelle occasion, d’ailleurs, pour l’exercice des facultés de son sang-froid, de diplomatie et de finesse qu’il s’accordait!…
Il fallait jouer son père, c’était aisé; il le joua.
Il fallait jouer le marquis de Courtomieu, c’était difficile; il crut l’avoir joué.
Mais le malheureux Chanlouineau ne pouvait concevoir de telles contradictions, et il se consumait d’anxiété.
C’est avec joie qu’il eût consenti à subir la torture avant de recevoir le coup de la mort, pour pouvoir suivre toutes les démarches de Marie-Anne.
Que faisait-elle?… Comment savoir?…
Dix fois, pendant la soirée, sous toutes sortes de prétextes, il appela ses gardiens et s’efforça de les faire causer. Sa raison lui disait bien que ces gens n’étaient pas plus instruits que lui-même, qu’on ne les mettrait pas dans la confidence quoi qu’on résolût… n’importe!…
La retraite battit… puis l’appel du soir… puis l’extinction des feux…
Après, rien, le silence…
L’oreille au guichet de sa prison, concentrant toute son âme en un effort surhumain d’attention, Chanlouineau écoutait.
Il lui semblait que si de façon ou d’autre le baron d’Escorval recouvrait sa liberté, il en serait averti par quelque signe… Ceux qu’il sauvait lui devaient bien, pensait-il, cette marque de reconnaissance…
Un peu après deux heures, il tressaillit… Il se faisait un grand mouvement dans les corridors, on courait, on s’appelait, on agitait des trousseaux de clefs, des portes s’ouvraient et se refermaient…
Le corridor s’éclairant, il regarda, et à la lueur douteuse des lanternes, il crut voir passer, comme une ombre pâle, Lacheneur, entraîné par des soldats.
Lacheneur!… Était-ce possible!… Il voulut douter de ses sens, il se disait que ce ne pouvait être là qu’une vision de la fièvre qui brûlait son cerveau.
Un peu plus tard il entendit un cri déchirant… Mais qu’avait de surprenant un cri dans une prison où vingt et un condamnés à mort suaient l’agonie de cette effroyable nuit qui précède l’exécution…
Enfin le jour glissa livide et morne le long de la hotte de la fenêtre. Chanlouineau désespéra.
– C’est fini, murmura-t-il, la lettre a été inutile!…
Pauvre généreux garçon… Son cœur eût bondi de joie s’il eût pu jeter un coup d’œil dans la cour de la citadelle…
Il y avait plus d’une heure qu’on avait sonné le réveil, les cavaliers achevaient le pansage du matin, quand deux femmes de la campagne, de celles qui apportent au marché leur beurre et leurs œufs, se présentèrent au poste.
Elles racontaient que passant le long des rochers à pic de la tour plate, elles venaient d’apercevoir une longue corde qui pendait.
Une corde!… Un des condamnés s’était donc évadé!…
On courut à la chambre du baron d’Escorval… elle était vide.
Le baron s’était enfui, entraînant l’homme qui lui avait été donné pour gardien, le caporal Bavois, des grenadiers.