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Hors de soi, Martial repoussa sa femme…

– Malheureuse, fit-il, vous osez insulter la plus noble et la plus pure des femmes… Eh bien!… oui, je vais retrouver Marie-Anne… Adieu!…

Et il passa…

XXXV

Étroite était la saillie de rocher où avaient dû prendre pied en fuyant le baron d’Escorval et le caporal Bavois.

À son point le plus large, elle ne mesurait pas plus d’un mètre et demi.

Elle était extrêmement inégale, en outre, glissante, toute rugueuse, et coupée de fissures et de crevasses.

S’y tenir debout, en plein jour, avec le mur de la tour plate derrière soi, et devant un précipice, eût été considéré comme une grave imprudence.

À plus forte raison était-il périlleux de laisser glisser de là, en pleine nuit, un homme attaché à l’extrémité d’une longue corde.

Aussi, avant de hasarder la descente du baron, l’honnête Bavois avait-il pris toutes les précautions possibles pour n’être pas entraîné par le poids qu’il aurait à soutenir.

Sa pince de fer logée solidement dans une fente, servit à son pied de point d’appui, il s’assit solidement sur ses jarrets, le buste bien en arrière, et c’est seulement quand il fut bien sûr de sa position qu’il dit au baron:

– J’y suis, et ferme… laissez-vous couler, bourgeois!…

La corde rompant tout à coup, le baron tombant, l’effort devenant inutile, le brave caporal fut lancé violemment contre le mur de la tour, et rejeté en avant par le contre-coup.

Sans son inaltérable sang-froid, c’en était fait de lui…

Pendant plus d’une minute, tout le haut de son corps fut suspendu au-dessus de l’abîme où venait de rouler M. d’Escorval, et ses bras se crispèrent dans le vide.

Un mouvement brusque, et il était précipité.

Mais il eut cette puissance de volonté merveilleuse de ne tenter aucun effort violent. Prudemment, mais avec une énergie obstinée, il s’accrocha des genoux et du bout des pieds aux aspérités du roc, ses mains cherchèrent un point d’appui, il obliqua doucement, et enfin reprit plante…

Il était temps, car une crampe lui vint, si violente qu’il fut contraint de s’asseoir.

Que le baron se fut tué sur le coup, c’est ce dont il ne doutait pas… Mais cette catastrophe ne pouvait troubler l’intelligence de ce vieux soldat, qui, aux jours de bataille, avait eu tant de camarades emportés à ses côtés par le brutal.

Ce qui le confondait, c’était que la corde se fût rompue au raz de sa main… une corde si grosse, qu’on eût jugée, à la voir, solide assez pour supporter dix fois le poids du corps du baron.

Comme il ne pouvait, à cause de l’obscurité, voir le point de rupture, Bavois promena son doigt dessus, et à son inexprimable étonnement, il le trouva lisse…

Point de filaments, point de brins de chanvre, comme après un arrachement… la section était nette.

Le caporal comprit, comme Maurice avait compris en bas, et il lâcha son plus effroyable juron.

– Cent millions de tonnerres!… Les canailles ont coupé la corde!…

Et un souvenir qui ne remontait pas à quatre heures lui revenant:

– Voilà donc, pensa-t-il, la cause du bruit qu’avait entendu ce pauvre baron dans la chambre à côté!… Et moi qui lui disais: «Bast! c’est les rats!»

Cependant il songea qu’il avait un moyen simple de vérifier l’exactitude de ses conjectures. Il passa la corde sur la pince et tira dessus de toutes ses forces et par saccades… Elle se rompit en trois endroits.

Cette découverte consterna le vieux soldat.

– Vous voici dans de beaux draps, caporal, grommela-t-il.

Une partie de la corde était tombée avec le malheureux baron, et il était clair que tous les morceaux réunis ne suffiraient pas pour atteindre le bas du rocher.

De cette saillie isolée, il était impossible de gagner le terre-plein de la citadelle.

Avec ce rapide coup d’œil des gens d’exécution, l’honnête Bavois envisagea la situation sous toutes ses faces, et il la vit désespérée.

– Allons, murmura-t-il, vous êtes flambé, caporal, il n’y a pas à dire mon bel ami! Au jour, on arrive et on trouve vide la prison du baron… On met le nez à la fenêtre, et on vous aperçoit ici, comme un saint de pierre sur son piédestal… Naturellement, on vous repêche, on vous juge, on vous condamne, et on vous mène faire un tour dans les fossés de la citadelle… Portez armes!… Apprêtez armes!… Joue!… Feu!… Et voilà l’histoire.

Il s’arrêta court… Une idée lui venait vague encore, indécise, qu’il sentait devoir être une idée de salut.

Elle lui venait en regardant et en touchant la corde qui lui avait servi à descendre de la prison sur la saillie, et qui, solidement attachée aux barreaux, pendait le long du mur.

– Si vous aviez cette corde, qui pend là, inutile, caporal, reprit-il, vous l’ajouteriez aux morceaux de celle-ci, et vous vous laisseriez glisser jusqu’au bas du rocher… Monter la chercher est possible… mais comment redescendre sans qu’elle soit accrochée solidement là haut?…

Il chercha et trouva, et il poursuivit, se parlant à soi-même, comme s’il y eût eu deux Bavois en un seul; l’un prompt à la conception, l’autre un peu borné, à qui il était indispensable de tout expliquer par le menu.

– Attention au commandement, caporal, disait-il… Vous allez me raboutir les cinq morceaux de la corde coupée que voici, vous les attachez à votre ceinture et vous remontez à la prison à la force du poignet… Hein! que dites-vous?… Que l’ascension est raide et qu’un escalier avec tapis vaudrait mieux que cette ficelle qui pend! Vous n’êtes pas dégoûté, caporal!… Donc, vous grimpez, et vous voici dans la chambre. Qu’y faites-vous? Presque rien. Vous détachez la corde fixée à la fenêtre, vous la nouez à celle-ci, et le tout vous donne quatre-vingts bons pieds de chanvre tordu… Alors, au lieu d’assujettir cette longue corde à demeure, vous la passez à cheval autour d’un barreau intact, elle se trouve ainsi doublée, et une fois de retour ici, vous n’avez qu’à tirer un des bouts pour la dépasser là haut… Est-ce compris?

C’était si bien compris que vingt minutes plus tard le caporal était revenu sur l’étroite corniche, ayant accompli la difficile et audacieuse opération qu’il avait imaginée…

Non sans efforts inouïs, par exemple, non sans s’être mis les mains et les genoux en sang.

Mais il avait réussi à dépasser la corde, mais il était certain maintenant de s’échapper.

Il riait, oui, il riait de bon cœur, de ce rire muet qui lui était habituel.

L’anxiété, puis la joie lui avaient fait oublier M. d’Escorval; le souvenir qui lui en revint, lui fut douloureux comme un remords.

– Pauvre homme, murmura-t-il… Je sauverai ma vieille peau qui n’intéresse personne, je n’ai pas pu sauver sa vie… Sans doute à cette heure, ses amis l’ont emporté…

Il s’était penché au-dessus de l’abîme, en disant ces mots… il se demanda s’il n’était pas pris d’un éblouissement.

Tout au fond, il lui semblait distinguer une petite lumière qui allait et venait…

Qu’était-il donc arrivé?

Bien évidemment il avait fallu quelque raison d’une gravité extraordinaire, impossible à concevoir pour décider les amis du baron d’Escorval, des hommes intelligents, à allumer une lumière qui, vue des fenêtres de la citadelle, trahissait leur présence et les perdait.