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«Vous trouverez le détail de cela et de diverses choses encore dans mon testament en votre faveur, déposé chez le notaire de Sairmeuse…

«Vous pouvez accepter sans craindre, car n’ayant point de parents je suis maître de mon bien.

«Si vous ne voulez pas rester dans le pays, le notaire vous trouvera aisément du tout une quarantaine de mille-francs…

«Mais vous ferez bien, surtout en cas de malheur, de rester dans notre contrée. La maison de la Borderie est commode à habiter, depuis que j’ai fait diviser le bas en trois pièces, et que j’ai fait réparer le fourneau de la cuisine.

«Au premier est une chambre qui a été arrangée par le plus fameux tapissier de Montaignac… qu’elle devienne la vôtre.

«J’avais voulu qu’on y mit tout ce qu’on connaît de plus beau, dans un temps où j’étais fou, et où je me disais que peut-être cette chambre serait la nôtre. Les droits de «main-morte» seront chers, mais j’ai un peu de comptant. En soulevant la pierre du foyer de la belle chambre, vous trouverez dans une cachette trois cent vingt-sept louis d’or et cent quarante écus de six livres…

«Si vous refusiez cette donation, c’est que vous voudriez me désespérer jusque dans la terre… Acceptez, sinon pour vous, du moins pour… je n’ose pas écrire cela, mais vous ne me comprenez que trop.

«Si Maurice n’est pas tué, et je tâcherai d’être toujours entre les balles et lui, il vous épousera… Alors, il vous faudra peut-être son consentement pour accepter ma donation. J’espère qu’il ne le refusera pas. On n’est pas jaloux de ceux qui sont morts!

«Il sait bien d’ailleurs que jamais vous n’avez eu un regard pour le pauvre paysan qui vous a tant aimée…

«Ne vous offensez pas de tout ce que je vous marque; je suis comme si j’étais à l’agonie, n’est-ce pas, et je n’en réchapperai pas, bien sûr…

«Allons… adieu, Marie-Anne.

«CHANLOUINEAU.»

Maurice, lui aussi, relut à deux reprises avant de la rendre, cette lettre où palpitait à chaque mot une passion sublime.

Il se recueillit un moment, et d’une voix étouffée:

– Vous ne pouvez refuser, prononça-t-il, ce serait mal!

Son émotion était telle, que se sentant impuissant à la dissimuler, il sortit.

Il était comme foudroyé par la grandeur d’âme de ce paysan qui, après lui avoir sauvé la vie à la Croix-d ’Arcy, avait arraché le baron d’Escorval aux exécuteurs, qui mourait pour n’avoir pu être aimé, qui jamais n’avait laissé échapper une plainte ni un reproche, et dont la protection s’étendait par delà le tombeau sur la femme qu’il avait adorée.

Se comparant à ce héros obscur, Maurice se trouvait petit, médiocre, indigne…

Qu’adviendrait-il, grand Dieu! si cette comparaison se présentait jamais à l’esprit de Marie-Anne!… Comment lutter, comment écarter ce souvenir écrasant, on ne se mesure pas contre une ombre…

Chanlouineau s’était trompé: on peut être jaloux des morts!…

Mais cette poignante jalousie, ces pensées douloureuses, Maurice sut les ensevelir au plus profond de son âme, et les jours qui suivirent, il se montra avec un visage calme dans la chambre de Marie-Anne.

Car elle ne se rétablissait toujours pas, l’infortunée…

Elle avait repris la pleine possession de son intelligence, mais les forces ne lui revenaient pas. Il lui était impossible de se lever, et Maurice ne pouvait songer à quitter Saliente, encore qu’il sentît que le terrain y brûlait sous les pieds.

Même, cette faiblesse persistante commençait à étonner la vieille garde-malade. Sa foi en ses herbes cueillies au clair de la lune en était presque ébranlée.

L’honnête caporal Bavois parla le premier de consulter «un major», s’il s’en trouvait un, toutefois, ajoutait-il «dans ce pays de sauvages.»

Oui, il se trouvait un médecin aux environs, et même un homme d’une expérience supérieure. Attaché autrefois à la cour si brillante du prince Eugène, il avait tout à coup quitté Milan et était venu cacher, en cette contrée perdue, un désespoir d’amour, prétendaient les uns, les déceptions de son ambition, assuraient les autres.

C’est à ce médecin que Maurice eut recours, non sans de longues indécisions, après une conférence avec Marie-Anne.

Il vint un matin, monté sur un petit bidet, et avant de se faire conduire à la chambre de la malade, il s’entretint assez longtemps avec Maurice, dans la cour de l’hôtellerie, tout en marchant.

C’était un de ces hommes auxquels on ne saurait assigner d’âge, qui semblent vieillis plutôt que vieux.

Il était grand, maigre et un peu voûté. Son passé, quel qu’il fût, avait creusé sur son front des rides profondes, et ses regards, quand il fixait son interlocuteur, étaient plus aigus et plus tranchants que des bistouris.

Il resta près d’un quart d’heure enfermé avec Marie-Anne, et quand il sortit, il attira Maurice à part.

– Cette jeune dame est enceinte, prononça-t-il.

Là était le secret des hésitations de Maurice. Il ne répondit pas, et alors le médecin ajouta:

– Cette jeune dame est-elle véritablement votre femme, monsieur… Dubois?

Il insistait d’une façon si étrange sur ce nom: Dubois; ses yeux avaient un éclat si insoutenable, que Maurice se sentit rougir jusqu’au blanc des yeux.

– Je ne m’explique pas votre question, monsieur!… dit-il avec un accent irrité.

Le médecin haussa légèrement les épaules.

– Je vous ferai des excuses, si vous le voulez, reprit-il… seulement, je vous ferai remarquer que vous êtes bien jeune pour un mari; que vous avez les mains bien douces pour un maquignon en tournée!… Quand on parle à la jeune dame de son mari, elle devient cramoisie!… L’homme qui vous accompagne a de terribles moustaches pour un fermier!… Après cela, vous me direz qu’il y a eu des troubles, de l’autre côté de la frontière, à Montaignac.

De pourpre qu’il était, Maurice était devenu blême.

Il se sentait découvert; il se voyait aux mains de ce médecin.

Que faire?… Nier! À quoi bon!

Il songea que s’abandonner est parfois la suprême prudence, que l’extrême confiance force souvent la discrétion… et d’une voix émue:

– Vous ne vous êtes pas trompé, monsieur, dit-il… L’homme qui m’accompagne et moi, sommes des réfugiés, sans doute condamnés à mort en France à cette heure.

Et sans laisser au docteur le temps de répondre, il lui dit quels terribles événements l’avaient amené à Saliente, et l’histoire navrante de ses amours. Il n’omit rien. Il ne cacha ni son nom, ni celui de Marie-Anne.

Le médecin, quand il eut terminé, lui serra la main…

– C’est bien quelque chose comme cela que je devinais, dit-il. Croyez-moi, monsieur… Dubois, ne vous attardez pas ici. Ce que j’ai vu, d’autres peuvent le voir. Et surtout ne prévenez pas votre hôtelier de votre départ. Il n’a pas été dupe de vos explications. L’intérêt seul lui a fermé la bouche. Il vous a vu de l’or, tant que vous en dépenserez chez lui, il se taira… s’il vous savait à la veille de lui échapper, il parlerait peut-être…

– Eh!… monsieur, comment partir?…