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– Dans deux jours la jeune dame sera sur pied, interrompit le docteur.

Il parut se recueillir, ses yeux se voilèrent comme si la situation de Maurice lui eût rappelé de cruels souvenirs, et d’une voix profonde il ajouta:

– Et croyez-moi… Au prochain village arrêtez-vous et donnez votre nom à Mlle Lacheneur.

Une telle surprise se peignit sur les traits de Maurice, que le médecin dut supposer qu’il s’expliquait mal.

– Je veux dire, insista-t-il, avec une certaine amertume, qu’un honnête homme ne peut hésiter à épouser au plus tôt cette malheureuse jeune fille.

Le conseil avait paru presque ridicule à Maurice; la leçon l’irrita.

– Eh! monsieur, s’écria-t-il, avez-vous réfléchi à ce que vous me conseillez! Comment voulez-vous que moi, proscrit, condamné à mort peut-être, je me procure les pièces qu’on exige pour un mariage!…

Le médecin hochait la tête.

– Permettez!… Vous n’êtes plus en France, monsieur d’Escorval, vous êtes en Piémont…

– Raison de plus…

– Non, parce qu’en ce pays on se marie encore, on peut se marier du moins, sans toutes les formalités qui vous préoccupent.

Maurice était devenu attentif.

– Est-ce possible!… exclama-t-il.

– Oui!… qu’un prêtre se trouve, qui consente à votre union, à vous inscrire sur le registre de sa paroisse et à vous donner un certificat, et vous serez unis si indissolublement, Mlle Lacheneur et vous, que jamais la cour de Rome ne vous accorderait le divorce…

Suspecter la vérité de ces affirmations était difficile, et cependant Maurice doutait encore.

– Ainsi, monsieur, fit-il, tout hésitant, je trouverais un prêtre qui consentirait…

Le médecin se taisait, on eût dit qu’il se reprochait de s’être tant avancé, et de s’occuper ainsi d’une affaire qui n’était pas sienne.

Puis, tout à coup, d’un ton brusque, il reprit:

– Ecoutez-moi bien, monsieur d’Escorval. Je vais me retirer; mais avant j’aurai soin de recommander à la malade beaucoup d’exercice… Je le lui ordonnerai devant vos hôtes. En conséquence, après-demain, mercredi, vous louerez des mules et vous partirez, Mlle Lacheneur, le vieux soldat et vous, comme pour vous promener… Vous pousserez jusqu’à Vigano, à trois lieues d’ici, c’est là que je demeure… Je vous conduirai à un prêtre qui est mon ami, et qui, sur ma recommandation, fera ce que vous lui demanderez… Réfléchissez. Dois-je vous attendre mercredi?…

– Oh! oui, monsieur, oui!… Et comment vous remercier?…

– En ne me remerciant pas!… Allons, voici l’hôtelier, redevenez M. Dubois.

Maurice était ivre de joie. Il comprenait fort bien toute l’irrégularité d’un tel mariage, mais il était persuadé qu’il rassurerait la conscience troublée de Marie-Anne. Pauvre fille!… Le sentiment de sa faute la tuait.

Il ne lui parla de rien; cependant redoutant un événement imprévu qui peut-être anéantirait ses projets.

– La bercer d’espérances qui ne se réaliseraient pas serait cruel, pensait-il.

Mais le vieux médecin ne s’était pas avancé à la légère, et tout devait se passer comme il l’avait promis.

Un prêtre de Vigano bénit le mariage de Maurice d’Escorval et de Marie-Anne Lacheneur, et après les avoir inscrits sur le registre de son église, leur délivra un certificat que signèrent comme témoins le médecin et le caporal Bavois…

Le soir même, les mules étaient renvoyées à Saliente, et les fugitifs qui avaient à redouter les bavardages de l’hôtelier se remettaient en route.

L’abbé Midon, au moment de quitter Maurice, lui avait expressément recommandé de gagner Turin le plus tôt possible.

– C’est une grande ville, lui avait-il dit, vous y serez perdu comme dans la foule. J’y ai de plus un ami, dont voici le nom et l’adresse; vous irez le voir, et j’espère, par lui, vous faire passer des nouvelles de votre père.

C’est donc vers Turin que Maurice, Marie-Anne et le caporal Bavois se dirigeaient.

Mais ils n’avançaient que lentement, obligés qu’ils étaient d’éviter les routes fréquentées et de renoncer aux moyens ordinaires de transport.

Selon le hasard des localités, ils louaient une mauvaise charrette, des chevaux le plus souvent, et du lever du soleil à la nuit, ils marchaient.

Ces fatigues qui, en apparence, eussent dû achever Marie-Anne, la remirent… Après cinq ou six jours, les forces lui revenaient et le sang remontait à ses joues pâlies.

– Le sort se lasserait-il donc? lui disait Maurice. Qui sait quelles récompenses nous garde l’avenir!…

Non, le sort ne se lassait pas, ce n’était qu’un répit de la destinée…

Par une belle matinée d’avril, les proscrits s’étaient arrêtés, pour déjeuner, dans une auberge à l’entrée d’un gros bourg…

Maurice, le repas fini, venait de quitter la table pour payer l’hôtesse, quand un cri déchirant le ramena…

Marie-Anne, pâle et les yeux égarés agitait un journal, et d’une voix rauque disait:

– La!… Maurice… Regarde!

C’était un journal français, vieux de quinze jours, oublié sans doute par quelque voyageur, et qui depuis traînait sur les tables…

Maurice le prit et lut:

«Hier, a été exécuté Lacheneur, le chef des révoltés de Montaignac. Ce misérable perturbateur a conservé jusque sur l’échafaud l’audace coupable dont il avait donné tant de preuves…»

Tout le reste de l’article, écrit sous l’empire des idées de M. de Sairmeuse et du marquis de Courtomieu, était sur ce ton.

– Mon père a été exécuté! reprit Marie-Anne d’un air sombre, et je n’étais pas là, moi, sa fille, pour recueillir sa volonté suprême et son dernier regard…

Elle se leva, et d’un ton bref et impérieux:

– Je n’irai pas plus loin, déclara-t-elle; il faut revenir sur nos pas, à l’instant, sans perdre une minute! je veux rentrer en France…

Rentrer en France… s’exposer à des périls mortels!… À quoi bon!… Le malheur affreux n’était-il pas irréparable?…

C’est ce que fit remarquer le caporal Bavois; bien timidement, par exemple!… Il tremblait, ce vieux soldat, qu’on ne le soupçonnât d’avoir peur…

Mais Maurice ne l’écouta pas.

Il frissonnait!… Il lui semblait que le baron d’Escorval avait dû être atteint et frappé en même temps que M. Lacheneur.

– Oui, partons, s’écria-t-il, rentrons!…

Et comme il ne devait plus être question de prudence, jusqu’au moment où ils fouleraient le sol français, ils se procurèrent une voiture pour les conduire, par la grande route, jusqu’au point le plus rapproché de la frontière.

Mais une grave question, terrible, contenant tout leur avenir, préoccupait Maurice et Marie-Anne pendant que les chevaux les emportaient.

Marie-Anne avouerait-elle sa grossesse?

Elle le voulait, disant que qui a commis la faute doit se résigner au châtiment et à l’humiliation…

Maurice frémissait à l’idée seule des mépris qui attendent une pauvre jeune fille séduite, la suppliait, la conjurait, les larmes aux yeux, de dissimuler, de se cacher…