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– Vous?…

– Oui, moi!… Il faut que je le voie, que je lui parle, que je me justifie… Marchons!

Mais Jean Lacheneur ne bougea pas.

– Ce que vous me demandez est impossible, prononça-t-il.

– Pourquoi?

– Parce que Maurice est poursuivi. S’il était pris, il serait traduit devant la Cour prévôtale et sans doute condamné a mort. Il se cache, il a trouvé une retraite sûre, je n’ai pas le droit de la faire connaître.

En fait de retraite sûre, Maurice n’avait alors que le bois voisin, où, en compagnie du caporal Bavois, il attendait le retour de Jean.

Mais Jean n’avait pu résister à la tentation de prononcer cette réponse, plus insultante que s’il eût dit simplement:

– Nous craignons les délateurs!…

La preuve que Martial n’était pas soi, c’est que lui si fier, si violent, il ne releva pas l’outrage.

– Vous vous défiez de moi!… fit-il tristement.

Jean Lacheneur se tut, nouvelle offense.

– Cependant, insista Martial, après ce que vous venez de voir et d’entendre, vous ne pouvez plus me soupçonner d’avoir coupé les cordes que j’ai portées au baron d’Escorval.

– Non… Je suis persuadé que vous êtes innocent de cette atroce lâcheté.

– Vous avez vu comment j’ai puni celui qui a osé compromettre l’honneur du nom de Sairmeuse… Et celui-là, cependant, est le père de la jeune fille que j’ai épousée aujourd’hui même…

– J’ai vu!… mais je vous répondrai quand même: impossible!

Véritablement, Jean était stupéfait de la patience, – il faut dire plus, – de l’humble résignation de Martial.

Au lieu de se révolter, Martial tira de sa poche le papier qu’il était allé prendre à son appartement, et le tendant à Jean:

– Ceux qui m’infligent cette honte qu’on doute de ma parole, seront châtiés, dit-il d’une voix sourde… Vous ne croyez pas à ma sincérité, Jean, en voici une preuve que je comptais remettre a Maurice et qui vous rassurera…

– Qu’est-ce que cette preuve?…

– Le brouillon écrit de ma main, en échange duquel mon père a favorisé l’évasion du baron d’Escorval… Un inexplicable pressentiment m’a empêché de brûler cette pièce compromettante… je m’en réjouis aujourd’hui. Reprenez cette lettre, elle me remet à votre discrétion.

Tout autre que Jean Lacheneur eût été touché de cette grandeur d’âme, que d’aucuns eussent taxée d’héroïque niaiserie.

Jean demeura implacable. Il avait au cœur une de ces haines que rien ne désarme, qui circulent dans les veines comme le sang, que nulles satisfactions n’assouvissent, qui loin de s’affaiblir avec les années, grandissent et deviennent plus terribles.

Il eût tout sacrifié, il sacrifia tout en ce moment, le malheureux! à l’ineffable jouissance de voir à ses pieds ce fier marquis qu’il exécrait.

– Bien, dit-il, je remettrai cela à Maurice.

– C’est un gage d’alliance, ce me semble?

Jean Lacheneur eut un geste terrible d’ironie et de menace.

– Un gage d’alliance! s’écria-t-il, comme vous y allez, monsieur le marquis!… Avez-vous donc oublié tout le sang qui a coulé entre nous? Vous n’avez pas coupé les cordes, soit!… Mais qui donc a condamné à mort le baron d’Escorval innocent? N’est-ce pas le duc de Sairmeuse? Une alliance!… Vous oubliez donc que vous et les vôtres vous avez conduit mon père à l’échafaud!… Comment avez-vous remercié cet homme dont l’héroïque probité vous a rendu une fortune!… Vous avez essayé de séduire sa fille, ma pauvre Marie-Anne… Vous ne l’avez pas séduite, mais vous l’avez bien perdue de réputation.

– J’ai offert mon nom et ma fortune à votre sœur.

– Je l’eusse tuée de ma main si elle eût accepté!… C’est que je n’oublie pas, moi, et je vous le prouverai… Si jamais quelque grand malheur atteint la noble famille de Sairmeuse, pensez à Jean Lacheneur… Sa main y sera pour quelque chose…

Il s’emportait, il s’oubliait; une violente secousse de sa volonté lui rendit sa froideur, et d’un ton posé il ajouta:

– Et si vous tenez tant à voir Maurice, soyez demain à la lande de la Rèche à midi, il y sera. Au revoir!…

Ayant dit, il se jeta brusquement de côté, franchit d’un bond le talus de l’avenue, et disparut dans les ténèbres…

– Jean!… cria Martial d’une voix presque suppliante; Jean! revenez; écoutez-moi!

Pas de réponse…

Et bientôt, le bruit des souliers ferrés du frère de Marie-Anne s’éteignit sur la terre labourée…

Une sorte d’étourdissement, comme après une chute, s’était emparé du jeune marquis de Sairmeuse, et il restait debout à la même place au milieu de l’avenue, immobile, sans projets et sans pensées…

Un cheval qui passait à fond de train, lancé du côté de Montaignac, et qui en passant faillit l’écraser, le tira de cet anéantissement.

Il tressaillit comme un homme éveillé en sursaut, et la conscience de ses actes qu’il avait perdue en lisant la provocation de Maurice lui revint.

Maintenant, il pouvait juger sa conduite, comme l’ivrogne qui, l’ivresse dissipée, constate avec épouvante ses extravagances.

Etait-ce vraiment lui, Martial, le flegmatique railleur, l’homme qui vantait son sang-froid et son insensibilité parfaite, qui s’était laissé emporter ainsi!

Hélas! oui. Et quand Blanche de Courtomieu, désormais la marquise de Sairmeuse, accusait Marie-Anne, la clairvoyance de sa jalousie ne la trompait pas absolument…

Martial, qui eût dédaigné l’opinion du monde entier, fut comme frappé de vertige, à l’idée que Marie-Anne le méprisait sans doute, et qu’elle le tenait pour un traître et pour un lâche…

C’est pour elle que, dans un accès de rage, il avait voulu une éclatante justification.

S’il suppliait Jean de le conduire près de Maurice d’Escorval, c’est que près de Maurice il espérait trouver Marie-Anne pour lui dire:

– Les apparences étaient contre moi, mais je suis innocent, et je l’ai prouvé en démasquant le coupable.

C’est à Marie-Anne qu’il eût voulu remettre le brouillon qu’il avait conservé, se disant qu’à tout le moins il l’étonnerait à force de générosité…

Son attente avait été trompée, et il n’apercevait plus de réel qu’un scandale inouï.

– Ce sera le diable à arranger, cet esclandre… se dit-il; mais bast!… personne n’y pensera plus dans un mois. Le plus court est d’aller au devant des commentaires… Rentrons!…

Il disait cela: «rentrons,» du ton le plus délibéré. Le fait est qu’à mesure qu’il approchait du château, sa résolution chancelait.

La fête de ses noces, qui devait être si magnifique, était déjà terminée; les invités ne se retiraient pas, ils s’enfuyaient…

Martial réfléchissait qu’il allait se trouver seul entre sa jeune femme, son père et le marquis de Courtomieu. Que de reproches alors, de cris, de larmes, de colère et de menaces!… Et il affronterait tout cela…

– Ma foi! non!… prononça-t-il à demi-voix, pas si bête… Laissons-leur la nuit pour se calmer, je reparaîtrai demain…