Le poignet meurtri de l’étreinte brutale de Martial, le cœur tout gonflé de haine et de rage, plus blanche que son voile de mariée, elle eut la force de retenir ses larmes prêtes à jaillir, elle sut contraindre ses lèvres à sourire.
– C’est vraiment donner trop d’importance à un petit malentendu qui s’expliquera demain, dit-elle, presque gaiement, aux personnes les plus rapprochées d’elle.
Et aussitôt, s’avançant jusqu’au milieu de la galerie, elle fit signe à l’orchestre de commencer une contre-danse.
Mais aux premières mesures de l’orchestre, éclatant soudainement, tous les invités, d’un mouvement unanime, se précipitèrent vers la porte.
On eût dit que le feu venait de prendre au château… On ne se retirait pas, on fuyait…
Une heure plus tôt, le marquis de Courtomieu et le duc de Sairmeuse étaient excédés d’empressements serviles et de plates adulations…
En ce moment, ils n’eussent pas trouvé dans toute cette foule si noble un homme assez hardi pour leur tendre ouvertement la main.
C’est que l’instant d’avant on les croyait tout-puissants… Ils venaient, pensait-on, de rendre un grand service, en étouffant la conspiration… On les savait bien en cour et amis du roi… On leur supposait sur l’esprit des ministres une influence qui devait tourner au profit de leurs amis…
Tandis que maintenant, à la suite de la lettre si explicite de Maurice, après les aveux de Martial, on voyait le duc et le marquis précipités du faîte de leurs grandeurs, disgraciés, punis peut-être…
Or, le grand art consiste à pressentir les disgrâces…
Héroïque jusqu’au bout, «la mariée» fit, pour arrêter cette déroute, d’incroyables efforts.
Debout près de la porte de la galerie, son plus attrayant sourire aux lèvres, Mme Blanche prodiguait les plus encourageantes et les plus flatteuses paroles, s’épuisant en arguments pour rassurer ces déserteurs.
Elle essayait de piquer les amours-propres. Elle faisait honte aux danseurs, elle s’adressait aux jeunes filles…
Efforts vains!… sacrifices inutiles!… Beaucoup de femmes, sans doute, ce soir-là, se donnèrent la délicate jouissance de faire payer à la jeune marquise de Sairmeuse les dédains et les épigrammes de Blanche de Courtomieu…
Enfin, le moment arriva où de tous ces hôtes si empressés à accourir, le matin, il ne resta plus qu’un vieux gentilhomme, lequel, prudemment, à cause de sa goutte, avait laissé s’écouler la foule.
Il s’inclina en passant devant la jeune marquise de Sairmeuse, et rougissant de cette insulte à une femme, il sortit comme les autres…
Mme Blanche était seule!… Elle n’avait plus besoin de se contraindre… Il n’y avait plus là de témoins pour épier ses horribles souffrances et en jouir…
D’un geste furieux, elle arracha son voile de mariée et sa couronne de fleurs d’oranger, et dans un transport de rage folle, elle les foula aux pieds…
Un valet de pied traversant la galerie, elle l’arrêta.
– Eteignez partout!… lui dit-elle comme si elle eût été chez son père, à Courtomieu et non pas à Sairmeuse.
On lui obéit, et alors, pâle et échevelée, les yeux hagards, elle courut au petit salon où avait eu lieu la scène…
Des domestiques s’empressaient autour du marquis de Courtomieu qui gisait sur une causeuse.
On avait, quand il s’était affaissé, prononcé le terrible mot d’apoplexie.
Mais le duc de Sairmeuse avait haussé les épaules.
– Tout le sang de ses veines affluerait à son cerveau, qu’il ne lui donnerait pas seulement un étourdissement, dit-il.
C’est que M. de Sairmeuse était furieux contre son ancien ami.
Même, en y réfléchissant, il ne savait trop si c’était à Martial ou au marquis de Courtomieu qu’il devait en vouloir le plus…
Martial, par ses aveux publics, venait certainement de renverser l’échafaudage de sa fortune politique.
Mais, d’un autre côté, le marquis de Courtomieu n’était-il pas cause qu’on accusait un Sairmeuse d’une trahison dont l’idée seule soulevait le cœur de dégoût?…
Enfoncé dans un fauteuil, les traits contractés par la colère, il suivait les mouvements des domestiques, quand Mme Blanche entra.
Elle se posa devant lui, croisant les bras, et d’une voix sourde:
– Qui donc vous retenait ici, monsieur le duc, prononça-t-elle, pendant que je restais seule, exposée aux dernières humiliations… Ah!… si j’étais un homme!… Tous vos hôtes se sont enfuis, monsieur, tous!…
Brusquement M. de Sairmeuse se dressa:
– Eh bien, s’écria-t-il, qu’ils aillent au diable!…
C’est que de tous ces hôtes qui venaient de quitter ses salons, rompant ainsi violemment avec lui, il n’en était pas un seul que le duc de Sairmeuse regrettât.
Il savait bien qu’il n’avait pas un ami, lui dont l’étonnant orgueil ne reconnaissait pas un égal.
Donnant une fête pour le mariage de son fils, il y avait convié tous les gentilshommes de la contrée. Ils étaient venus… bien! Ils s’enfuyaient… bon voyage!
Si le duc enrageait de cette désertion, c’est qu’elle lui présageait avec une terrible éloquence la disgrâce tant redoutée.
Cependant, il essaya de se mentir à lui-même.
– Ils reviendront, dit-il à Mme Blanche, nous les reverrons repentants et humbles! Fiez-vous à moi!… Mais où donc peut être Martial?
Les yeux de la jeune femme flamboyèrent, mais elle ne répondit pas.
– Serait-il sorti avec le fils de ce scélérat de Lacheneur? reprit le duc.
– Je le crois…
– Il ne saurait tarder à rentrer…
– Qui sait!…
M. de Sairmeuse donna sur la cheminée un coup de poing à briser le marbre.
– Jarnibieu!… s’écria-t-il, ce serait combler la mesure…
La jeune mariée dut croire que le duc s’inquiétait et s’irritait pour elle… Mais elle se trompait. Il ne songeait qu’aux calculs de son ambition déçue.
Quoi qu’il en dit, il s’avouait, à part soi, la supériorité de son fils; il avait confiance en son génie d’intrigue, et avant de rien résoudre, il voulait le consulter.
– C’est lui qui a fait le mal, murmurait-il, c’est à lui de le réparer!… Et, Jarnibieu! il en est bien capable, s’il le veut!…
Et tout haut il reprit:
– Il faut retrouver Martial, il faut…
D’un geste terrible de douleur et de colère, Mme Blanche l’interrompit:
– Il faut chercher Marie-Anne, dit-elle, si vous voulez retrouver… mon mari.
Le duc avait eu une pensée pareille, il n’osa l’avouer.
– Le ressentiment vous égare, marquise, fit-il.
– Je sais ce que je sais!…
– Non!… et la preuve c’est que Martial va reparaître… S’il est sorti, il ne peut être loin… On va le chercher, je le chercherai moi-même…
Il s’éloigna en jurant entre ses dents, et alors seulement la jeune femme s’approcha de son père qui ne semblait point reprendre connaissance.