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Nous étions, d’ailleurs, convenablement traités; on m’avait laissé mon argent et on nous vendait volontiers certaines petites douceurs; on nous accordait, chaque jour, deux heures de promenade dans une cour aussi large qu’un puits; on nous prêtait même quelques livres…

Bref, je ne me serais pas trouvé extraordinairement à plaindre, si j’avais pu recevoir des nouvelles de mon père et de Marie-Anne et leur donner des miennes… Mais nous étions au secret, sans communications avec les autres prisonniers…

Enfin, à la longue, notre détention nous parut si étrange et nous devint si insupportable, que nous résolûmes, le caporal et moi, d’obtenir, quoi qu’il dût nous en coûter, des éclaircissements.

Nous changeâmes de tactique. Nous nous étions jusqu’alors montrés résignés et soumis, nous devînmes tout à coup indisciplinés et furieux. Nous remplissions la prison de nos protestations et de nos cris, nous demandions sans cesse le directeur; nous réclamions l’intervention de l’ambassadeur français.

Ah! le résultat ne se fit pas attendre.

Par une belle après-dîner, le directeur nous mit poliment dehors, non sans nous avoir exprimé le regret qu’il éprouvait de se séparer de pensionnaires de notre importance, si aimables et si charmants.

Notre premier soin, vous le comprenez, fut de courir à l’ambassade. Nous n’arrivâmes pas à l’ambassadeur, mais le premier secrétaire nous reçut. Il fronça le sourcil, dès que je lui eus exposé notre affaire, et sa mine devint excessivement grave.

Je me rappelle mot pour mot sa réponse:

«Monsieur, me dit-il, je puis vous affirmer que les poursuites dont vous avez été l’objet en France, ne sont pour rien dans votre détention ici.»

Et comme je m’étonnais:

«Tenez, ajouta-t-il, je vais vous exprimer franchement mon opinion. Un de vos ennemis, cherchez lequel, doit avoir à Turin des influences très puissantes… Vous le gêniez, sans doute, il vous a fait enfermer administrativement par la police piémontaise…»

D’un formidable coup de poing, Jean Lacheneur ébranla la table placée près de lui.

– Ah!… le secrétaire d’ambassade avait raison, s’écria-t-il… Maurice, c’est Martial de Sairmeuse qui t’a fait arrêter là-bas.

– Ou le marquis de Courtomieu, interrompit vivement l’abbé, en jetant à Jean un regard qui arrêta sa pensée sur ses lèvres.

La flamme de la colère avait brillé dans les yeux de Maurice, mais presque aussitôt il haussa les épaules.

– Bast!… prononça-t-il, je ne veux plus me souvenir du passé… Mon père est rétabli, voilà l’important. Nous trouverons bien, monsieur le curé aidant, quelque moyen de lui faire franchir la frontière sans danger… Entre Marie-Anne et moi, il oubliera que mes imprudences ont failli lui coûter la vie… Il est si bon, mon père! Nous nous établirons en Italie ou en Suisse. Vous nous accompagnerez, monsieur l’abbé, et toi aussi, Jean… Vous, caporal, c’est entendu, vous êtes de la maison…

Rien d’horrible comme de voir joyeux et plein de sécurité, tout rayonnant d’espoir, l’homme que l’on sait frappé d’une catastrophe qui doit briser sa vie…

Si désolante était l’impression de l’abbé Midon et de Jean, qu’il en parut sur leur visage quelque chose que Maurice remarqua.

– Qu’avez-vous? demanda-t-il tout surpris.

Les autres tressaillirent, baissèrent la tête et se turent.

Alors, l’étonnement de l’infortuné se changea en une vague et indicible épouvante.

D’un seul effort de réflexion, il s’énuméra tous les malheurs qui pouvaient l’atteindre.

– Qu’est-il donc arrivé? fit-il d’une voix étouffée; mon père est sauvé, n’est-ce pas?… Ma mère n’aurait rien à souhaiter, m’avez-vous dit, si j’étais près d’elle… C’est donc Marie-Anne!…

Il hésitait.

– Du courage, Maurice, murmura l’abbé Midon, du courage!

Le malheureux chancela, plus blanc que le mur de plâtre contre lequel il s’appuya.

– Marie-Anne est morte! s’écria-t-il.

Jean Lacheneur et le prêtre gardèrent le silence.

– Morte! répéta-t-il, et pas une voix au dedans de moi-même ne m’a prévenu… Morte!… quand?

– Cette nuit même, répondit Jean.

Maurice se redressa, tout frémissant d’un espoir suprême.

– Cette nuit même, fit-il… mais alors… elle est ici, encore! Où?… là haut…

Et sans attendre une réponse, il s’élança vers l’escalier, si rapidement que ni Jean ni l’abbé Midon n’eurent le temps de le retenir.

En trois bonds il fut à la chambre, il marcha droit au lit et, d’une main ferme, il écarta le drap qui recouvrait le visage de la morte.

Mais il recula en jetant un cri terrible…

Etait-ce là, vraiment, cette belle, cette radieuse Marie-Anne, qui l’avait aimé jusqu’à l’abandon de soi-même!… Il ne la reconnaissait pas.

Il ne pouvait reconnaître ces traits, dévastés et crispés par l’agonie, ce visage gonflé et bleui par le poison; ces yeux, qui disparaissaient presque sous une bouffissure sanguinolente…

Quand Jean Lacheneur et le prêtre arrivèrent près de lui, ils le trouvèrent debout, le buste rejeté en arrière, la pupille dilatée par la terreur, la bouche entr’ouverte, les bras roidis dans la direction du cadavre.

– Maurice, fit doucement l’abbé, revenez à vous, du courage…

Il se retourna, et avec une navrante expression d’hébétement:

– Oui, bégaya-t-il, c’est cela… du courage!…

Il s’affaissait, il fallut le soutenir jusqu’à un fauteuil.

– Soyez homme, poursuivait le prêtre; où donc est votre énergie? vivre, c’est souffrir…

Il écoutait, mais il ne semblait pas comprendre.

– Vivre!… balbutia-t-il, à quoi bon, puisqu’elle est morte!…

Ses yeux secs avaient l’éclat sinistre de la démence. L’abbé eut peur.

– S’il ne pleure pas, il est perdu! pensa-t-il.

Et d’une voix impérieuse:

– Vous n’avez pas le droit de vous abandonner ainsi… prononça-t-il, vous vous devez à votre enfant!…

L’inspiration du prêtre le servit bien.

Le souvenir qui avait donné à Marie-Anne la force de maîtriser un instant la mort, arracha Maurice à sa dangereuse torpeur. Il tressaillit, comme s’il eût été touché par une étincelle électrique, et se dressant tout d’une pièce:

– C’est vrai, dit-il, je dois vivre. Notre enfant, c’est encore elle… conduisez-moi près de lui…

– Pas en ce moment, Maurice, plus tard.

– Où est-il?… Dites-moi où il est?…

– Je ne puis, je ne sais pas…

Une indicible angoisse se peignit sur la figure de Maurice, et d’une voix étranglée:

– Comment! vous ne savez pas, fit-il, elle ne s’était donc pas confiée à vous?

– Non… J’avais surpris le secret de sa grossesse, et j’ai été, j’en suis sûr, le seul à le surprendre…

– Le seul!… mais alors notre enfant est mort, peut-être, et s’il vit qui me dira où il est!

– Nous trouverons, sans doute, quelque note qui nous mettra sur la voie…