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Mais le temps passait, les recherches restaient vaines et le découragement s’emparait de Maurice.

– Mon enfant est mort en naissant… répétait-il.

Mais l’abbé le rassurait.

– Je suis moralement sûr du contraire, répondait-il. Je sais exactement, par une absence de Marie-Anne, à quelle époque est né son enfant. Je l’ai revue dès qu’elle a été relevée, elle était relativement gaie et souriante… tirez la conclusion.

– Et cependant il n’est bientôt plus, aux environs, un coin que nous n’ayons fouillé.

– Eh bien!… nous étendrons le cercle de nos investigations…

Le prêtre, en ce moment, cherchait surtout à gagner du temps, sachant bien que le temps est le guérisseur souverain de toutes les douleurs.

Sa confiance, très grande au commencement, avait été singulièrement altérée par la réponse d’une bonne femme qui passait pour une des meilleures langues de l’arrondissement.

Adroitement mise sur la sellette, cette vieille répondit qu’elle n’avait aucune connaissance d’un bâtard mis en nourrice dans les environs, mais qu’il fallait qu’il s’en trouvât quelqu’un, puisque c’était la troisième fois qu’on la questionnait à ce sujet…

Si grande que fut sa surprise, l’abbé sut la dissimuler.

Il fit encore causer la bonne femme, et d’une conversation de deux heures résulta pour lui une conviction étrange.

Deux personnes, outre Maurice, cherchaient l’enfant de Marie-Anne.

Pourquoi, dans quel but, quelles étaient ces personnes? voilà ce que toute la pénétration de l’abbé ne pouvait lui apprendre.

– Ah!… les coquins sont parfois nécessaires, pensait-il, ah! si nous avions sous la main des gens tels que les Chupin autrefois?

Mais le vieux maraudeur était mort, et son fils aîné, celui qui savait le secret de Mme Blanche était à Paris.

Il n’y avait plus à Sairmeuse que la veuve Chupin et son second fils.

Ils n’avaient pas su mettre la main sur les vingt mille francs de la trahison, et la fièvre de l’or les travaillant, ils s’obstinaient à chercher. Et, du matin au soir, on les voyait, la mère et le fils, la sueur au front, bêcher, piocher, creuser, retourner la terre jusqu’à six pieds de profondeur autour de leur masure.

Cependant il suffit d’un mot d’un paysan au cadet Chupin pour arrêter ces fouilles.

– Vrai, mon gars, lui dit-il, je ne te croyais pas si benêt que de t’obstiner à dénicher des oiseaux envolés depuis longtemps… ton frère qui est à Paris te dirait sans doute où était le trésor.

Chupin cadet eut un rugissement de bête fauve…

– Saint-bon Dieu!… s’écria-t-il, vous avez raison… Mais, laissez faire, je vais gagner de quoi faire le voyage, et on verra…

L

Plus encore que Mme Blanche, tante Médie avait été épouvantée de la visite si extraordinaire de Martial de Sairmeuse au château de Courtomieu.

En dix secondes, il lui passa par la cervelle plus d’idées qu’en dix ans.

Elle vit les gendarmes au château, sa nièce arrêtée, conduite à la prison de Montaignac et traduite en cour d’assises…

Il est vrai que si elle n’eût eu que cela à craindre!…

Mais elle-même, Médie, ne serait-elle pas compromise, soupçonnée de complicité, traînée devant les juges, et accusée, qui sait, d’être seule coupable!

Incapable de supporter une plus longue incertitude, elle s’échappa de sa chambre, et se glissant sur la pointe du pied dans le grand salon, elle alla coller son oreille à la porte du petit salon bleu, où elle entendait parler Blanche et Martial.

Dès les vingt premiers mots qu’elle recueillit, la parente pauvre reconnut l’inanité de ses terreurs.

Elle respira, comme si sa poitrine eût été soulagée d’un poids énorme, longuement et délicieusement. Mais une idée venait de germer dans sa cervelle, qui devait poindre, bientôt grandir, s’épanouir et porter des fruits.

Martial sorti, tante Médie ouvrit la porte de communication et entra dans le petit salon, avouant par ce seul fait qu’elle avait écouté…

Jamais, la veille seulement, elle n’eût osé une énormité pareille. Mais son audace, pour cette fois, fut absolument irréfléchie.

– Eh bien! Blanche, dit-elle, nous en sommes quittes pour la peur.

La jeune femme ne répondit pas.

Encore sous le coup de sa terrible émotion, toute saisie des façons de Martial, elle réfléchissait, s’efforçant de déterminer les conséquences probables de tous ces événements qui se succédaient avec une foudroyante rapidité.

– Peut-être l’heure de ma revanche va-t-elle sonner, murmura Mme Blanche, comme se parlant à soi-même.

– Hein! Tu dis? interrogea curieusement la parente pauvre.

– Je dis, tante, qu’avant un mois je serai marquise de Sairmeuse autrement que de nom. Mon mari me sera revenu, et alors… oh! alors…

– Dieu t’entende! fit hypocritement tante Médie.

Au fond elle croyait peu à la prédiction, et qu’elle se réalisât ou non, peu lui importait.

– Encore une preuve, reprit-elle tout bas de ce ton que prennent deux complices quand ils parlent de leur crime, encore une preuve que ta jalousie s’est trompée, là-bas, à la Borderie, et que… ce que tu as fait était inutile.

Tel avait été, tel n’était plus l’avis de Mme Blanche.

Elle hocha la tête, et de l’air le plus sombre:

– C’est, au contraire, ce qui s’est passé là-bas qui me ramène mon mari, répondit-elle. J’y vois clair, à cette heure… C’est vrai, Marie-Anne n’était pas la maîtresse de Martial, mais Martial l’aimait… Il l’aimait, et les résistances qu’il avait rencontrées avaient exalté sa passion jusqu’au délire. C’est bien pour cette créature qu’il m’avait abandonnée, et jamais, tant qu’elle eût vécu, il n’eût seulement pensé à moi… Son émotion en me voyant, c’était un reste de son émotion quand il a vu l’autre… Son attendrissement n’était qu’une expression de sa douleur… Quoi qu’il advienne, je n’aurai que les restes de cette créature, que ce qu’elle a dédaigné!…

Ses yeux flamboyaient, elle frappa du pied avec une indicible rage.

– Et je regretterais ce que j’ai fait, s’écria-t-elle… jamais!… non, jamais.

Ce jour-là, en ce moment, elle eût recommencé, elle eût tout bravé…

Mais des transes terribles l’assaillirent quand elle apprit que la justice venait de commencer une enquête.

Il était venu de Montaignac le procureur du roi et un juge qui interrogeaient quantité de témoins, et une douzaine d’hommes de la police se livraient aux plus minutieuses investigations. On parlait même de faire venir de Paris un de ces agents au flair subtil, rompus à déjouer toutes les ruses du crime.

Tante Médie en perdait la tête, et ses frayeurs à certains moments étaient si évidentes que Mme Blanche s’en inquiéta.

– Tu finiras par nous trahir, tante, lui dit-elle.

– Ah!… c’est plus fort que moi.