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Elle joua pour lui une si merveilleuse comédie, que touché, presque repentant, il revint cinq ou six fois, et enfin un soir demanda à ne pas rentrer à Montaignac.

Mais ni la joie de ce triomphe, ni les premiers étonnements du mariage, n’avaient rendu la paix à Mme Blanche.

Entre ses lèvres et les lèvres de Martial, se dressait encore, implacable épouvantement, le visage convulsé de Marie-Anne.

Il est vrai de dire que ce retour de son mari lui apportait une cruelle déception. Elle reconnut que cet homme, dont le cœur avait été brisé, n’offrait aucune prise, et qu’elle n’aurait jamais sur lui la moindre influence.

Et pour comble, il avait ajouté à ses tortures déjà intolérables, une angoisse plus poignante encore que toutes les autres.

Parlant un soir de la mort de Marie-Anne, il s’oublia et avoua hautement ses serments de vengeance. Il regrettait que Chupin fût mort, car il eût éprouvé, disait-il, une indicible jouissance à tenailler, à faire mourir lentement au milieu d’affreuses souffrances, le misérable empoisonneur.

Il s’exprimait avec une violence inouïe, d’une voix où vibrait encore sa puissante passion…

Et Mme Blanche se demandait quel serait son sort, si jamais son mari venait à découvrir qu’elle était coupable… et il pouvait le découvrir…

C’est vers cette époque qu’elle commença à regretter de n’avoir pas tenu le serment fait à sa victime, et qu’elle résolut de faire rechercher l’enfant de Marie-Anne.

Mais, pour cela, il fallait à toute force qu’elle habitât une grande ville, Paris, par exemple, où, avec de l’argent, elle trouverait des agents habiles et discrets…

Il ne s’agissait que de décider Martial.

Le duc de Sairmeuse aidant, ce ne fût pas difficile, et, un matin, Mme Blanche rayonnante, put dire à tante Médie:

– Tante, nous partons d’aujourd’hui en huit.

LI

Dévorée d’angoisses, obsédée de soucis poignants, Mme Blanche n’avait pas remarqué que tante Médie n’était plus la même.

Le changement, à vrai dire, était peu sensible, il ne frappait pas les domestiques, mais il n’en était pas moins positif et réel, et se trahissait par quantité de petites circonstances inaperçues.

Par exemple, si la parente pauvre gardait encore son air humblement résigné, elle perdait petit à petit ses mouvements craintifs de bête maltraitée; elle ne tressaillait plus quand on lui adressait la parole, et il y avait par instants des velléités d’indépendance dans son accent.

Depuis la fameuse semaine où on l’avait servie dans sa chambre, elle hasardait toutes sortes de démarches insolites.

S’il venait des visites, au lieu de se tenir modestement à l’écart, elle avançait sa chaise et même se mêlait à la conversation. À table, elle laissait paraître ses dégoûts ou ses préférences. À deux ou trois reprises elle eut une opinion qui n’était pas celle de sa nièce, et il lui arriva de discuter des ordres.

Une fois, Mme Blanche qui sortait, l’ayant priée de l’accompagner, elle se déclara enrhumée et resta au château.

Et le dimanche suivant, Mme Blanche ne voulant pas aller aux vêpres, tante Médie déclara qu’elle irait, et comme il pleuvait, elle demanda qu’on lui attelât une voiture, ce qui fut fait.

Tout cela n’était rien en apparence; en réalité, c’était monstrueux, inimaginable.

Il était clair que la parente pauvre s’exerçait timidement à l’audace…

Jamais devant elle il n’avait été question de ce départ que sa nièce lui annonçait si gaiement; elle en parut toute saisie…

– Ah!… vous partez, répétait-elle, vous quittez Courtomieu…

– Et sans regrets…

– Pour où aller, mon Dieu!…

– À Paris… Nous nous y fixons, c’est décidé. Là est la place de mon mari. Son nom, sa fortune, son intelligence, la faveur du roi lui assurent une grande situation. Il va racheter l’hôtel de Sairmeuse et le meubler magnifiquement. Nous aurons un train princier…

Tous les tourments de l’envie se lisaient sur le visage de la parente pauvre.

– Et moi?… interrogea-t-elle d’un ton plaintif.

– Toi, tante, tu resteras ici; tu y seras dame et maîtresse. Ne faut-il pas une personne de confiance qui veille sur mon pauvre père!… Hein! te voilà heureuse et contente, j’espère.

Mais non; tante Médie ne paraissait point satisfaite.

– Jamais, pleurnicha-t-elle, jamais je n’aurai le courage de rester seule dans ce grand château.

– Eh! sotte, tu auras près de toi des domestiques, le concierge, les jardiniers…

– N’importe!… j’ai peur des fous… Quand le marquis se met à hurler le soir, il me semble que je deviens folle moi-même.

Mme Blanche haussait les épaules.

– Qu’espérais-tu donc? interrogea-t-elle, de l’air le plus ironique.

– Je pensais… je me disais… que tu m’emmènerais avec vous…

– À Paris! tu perds la tête, je crois. Qu’y ferais-tu? bon Dieu!

– Blanche, je t’en conjure, je t’en supplie.

– Impossible, tante, impossible!

Tante Médie semblait désespérée:

– Et si je te disais, insista-t-elle, que je ne puis rester ici, que je n’ose, que c’est plus fort que moi, que j’y mourrai!…

Le rouge de l’impatience commençait à empourprer le front de Mme Blanche.

– Ah! tu m’ennuies, à la fin, dit-elle rudement.

Et avec un geste qui ajoutait à la cruauté de sa phrase:

– Si Courtomieu te déplaît tant que cela, rien ne t’empêche de chercher un séjour plus à ton gré; tu es libre et majeure…

La parente pauvre était devenue excessivement pâle, et elle serrait à les faire saigner ses lèvres minces sur ses dents jaunies.

– C’est-à-dire, fit-elle, que tu me laisses le choix entre mourir de frayeur à Courtomieu, ou mourir de misère à l’hôpital. Merci, ma nièce, merci, je reconnais ton cœur; je n’attendais pas moins de toi, merci!

Elle relevait la tête et une méchanceté diabolique étincelait dans ses yeux.

Et c’est d’une voix qui avait quelque chose du sifflement de la vipère se redressant pour mordre, qu’elle poursuivit:

– Eh bien! cela me décide. Je suppliais, tu m’as brutalement repoussée, maintenant je commande et je dis: je veux! Oui, j’entends et je prétends aller avec vous à Paris… et j’irai. Ah! ah!… cela te surprend d’entendre parler ainsi cette pauvre bonne bête de tante Médie. C’est comme cela. Il y a si longtemps que je souffre, que je me révolte à la fin. Car j’ai souffert la passion chez vous. C’est vrai, vous m’avez recueillie, vous m’avez nourrie et logée, mais vous m’avez pris en échange ma vie entière, heure par heure. Quelle servante jamais endurerait tout ce que j’ai supporté… As-tu jamais, Blanche, traité une de tes femmes comme tu me traitais, moi qui porte votre nom! Et je n’avais pas de gages, moi; bien au contraire je vous devais de la reconnaissance, puisque je vivais à vos crochets. Ah! le crime d’être pauvre, vous me l’avez fait payer cher. M’avez-vous assez ravalée, assez abaissée, assez foulée aux pieds!… À une livre de pain par humiliation, vous êtes en reste avec moi!…