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Elle était assise à une table, ainsi que Camille, devant un saladier de vin, en compagnie de deux hideux gredins et d’un tout jeune soldat.

Au milieu de la pièce, une vieille femme, la Chupin, un petit verre à la main, pérorait et ponctuait ses phrases de gorgées d’eau-de-vie.

L’impression de Martial fut telle, qu’il se laissa retomber à terre.

Un rayon de pitié pénétra en son âme, car il eut comme une vague notion de l’effroyable supplice qui avait été le châtiment de l’empoisonneuse.

Mais il voulait voir encore, il se haussa de nouveau.

La vieille avait disparu. Le militaire s’était levé, il parlait en gesticulant, et Mme Blanche et Camille l’écoutaient attentivement.

Les deux gredins, face à face, les coudes sur la table, se regardaient, et Martial crut remarquer qu’ils échangeaient des signes d’intelligence.

Il avait bien vu. Les scélérats étaient en train de comploter un «bon coup.»

Mme Blanche, qui avait tenu à l’exactitude du travestissement, jusqu’à chausser de gros souliers plats qui la meurtrissaient, Mme Blanche avait oublié de retirer ses riches boucles d’oreilles.

Elle les avait oubliées… mais les complices de Lacheneur les avaient bien aperçues, et ils les regardaient avec des yeux qui brillaient plus que les diamants.

En attendant que Lacheneur parût, comme il était convenu, ces misérables jouaient le rôle qui leur avait été imposé. Pour cela, et pour leur concours ensuite, une certaine somme leur avait été promise…

Or, ils songeaient que cette somme ne s’élèverait peut-être pas au quart de la valeur de ces belles pierres, et de l’œil, ils se disaient:

– Si nous les décrochions, hein!… et si nous allions sans attendre l’autre!…

Bientôt ce fut entendu.

L’un d’eux se dressa brusquement, et, saisissant la duchesse par la nuque, il la renversa sur la table.

Les boucles d’oreilles étaient arrachées du coup sans Camille, qui se jeta bravement entre sa maîtresse et le malfaiteur.

Martial n’en put voir davantage.

Il bondit jusqu’à la porte du cabaret, l’ouvrit et entra, repoussant les verrous sur lui.

– Martial!…

– Monsieur le duc!…

Ces deux cris échappés en même temps à Mme Blanche et à Camille, changèrent en une rage furieuse la stupeur des deux bandits, et ils se précipitèrent sur Martial, résolus à le tuer…

D’un bond de côté, Martial les évita. Il avait à la main son revolver, il fit feu deux fois, les deux misérables tombèrent.

Il n’était pas sauvé pour cela, car le jeune soldat se jeta sur lui, s’efforçant de le désarmer.

Tout en se débattant furieusement, Martial ne cessait de crier d’une voix haletante:

– Fuyez!… Blanche, fuyez!… Otto n’est pas loin!… Le nom… Sauvez l’honneur du nom!…

Les deux femmes s’enfuirent par une seconde issue, donnant sur un jardinet, et presque aussitôt des coups violents ébranlèrent la porte.

On venait!… Cela doubla l’énergie de Martial, et dans un suprême effort il repoussa si violemment son adversaire, que la tête du malheureux portant sur l’angle d’une table, il resta comme mort sur le coup.

Mais la veuve Chupin, descendue au bruit, hurlait. À la porte, on criait:

– Ouvrez, au nom de la loi!…

Martial pouvait fuir. Mais fuir, c’était peut-être livrer la duchesse, car on le poursuivrait certainement. Il vit le péril d’un coup d’œil, et son parti fut pris.

Il secoua vivement la Chupin, et d’une voix brève:

– Cent mille francs pour toi, dit-il, si tu sais te taire.

Puis, attirant une table à lui, il s’en fit comme un rempart.

La porte volait en éclats… Une ronde de police, commandée par l’inspecteur Gévrol, se rua dans le bouge.

– Rends-toi! cria l’inspecteur à Martial.

Il ne bougea pas, il dirigeait vers les agents les canons de son revolver.

– Si je puis les tenir en respect et parlementer seulement deux minutes, pensait-il, tout peut encore être sauvé…

Il les gagna ces deux minutes… Aussitôt il jeta son arme à terre, et il prenait son élan quand un agent qui avait tourné la maison le saisit à bras-le-corps et le renversa…

De ce côté, il n’attendait que des secours, aussi s’écria-t-iclass="underline"

– Perdu! C’est les Prussiens qui arrivent!

En un clin d’œil il fut garrotté, et deux heures plus tard on l’enfermait dans le violon du poste de la place d’Italie.

Sa situation se résumait ainsi:

Il avait joué le personnage de son costume de façon à tromper Gévrol lui-même. Les scélérats de la Poivrière étaient morts et il pouvait compter sur la Chupin.

Mais il savait que le piège avait été tendu par Jean Lacheneur.

Mais il avait lu un volume de soupçons dans les yeux du jeune policier qui l’avait arrêté, et que les autres appelaient Lecoq.

LV

Le duc de Sairmeuse était de ces hommes qui restent supérieurs à toutes les fortunes, bonnes ou mauvaises. Son expérience était grande, son coup d’œil sûr, son intelligence prompte et féconde en ressources. Il avait, en sa vie, traversé des hasards étranges, et toujours son sang-froid avait dominé les événements.

Mais, en ce moment, seul dans ce cabanon humide et infect, après les scènes sanglantes du cabaret de la Chupin, il se trouvait sans idées comme sans espérances…

C’est que la Justice, il le savait, ne se paye pas d’apparences, et quand elle se trouve en face d’un mystère, elle n’a ni repos ni trêve qu’elle ne l’ait éclairci.

Martial ne le comprenait que trop, une fois son identité constatée, on chercherait les raisons de sa présence à la Poivrière, on ne tarderait pas à les découvrir, on arriverait jusqu’à la duchesse, et alors le crime de la Borderie émergerait des ténèbres du passé.

C’était la cour d’assises, la maison centrale, un scandale effroyable, le déshonneur, une honte éternelle…

Et sa puissance d’autrefois, loin de le protéger, l’écrasait. Qui donc l’avait remplacé aux affaires? Ses adversaires politiques, et parmi eux deux ennemis personnels à qui il avait infligé de ces atroces blessures d’amour-propre qui jamais ne se cicatrisent. Quelle occasion de vengeance pour eux!…

À cette idée d’une flétrissure ineffaçable, imprimée à ce grand nom de Sairmeuse, qui avait été sa force et sa gloire, sa tête s’égarait.

– Mon Dieu!… murmurait-il, inspirez-moi… Comment sauver l’honneur du nom!

Il ne vit qu’une chance de salut: mourir, se suicider dans ce cabanon. On le prenait encore pour un de ces gredins qui hantent les banlieues; mort, on ne s’inquiéterait que médiocrement de son identité.

– Allons!… il le faut! se dit-il.

Déjà il cherchait comment accomplir son dessein, quand il entendit un grand mouvement, à côté, dans le poste, des trépignements et des éclats de rire.

La porte du violon s’ouvrit, et les sergents de ville y poussèrent un homme qui fit deux ou trois pas, chancela, tomba lourdement à terre, et presque aussitôt se mit à rouler. Ce n’était qu’un ivrogne…