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– J’aurais encore, monsieur, supplia-t-il, une grâce à vous demander… vous êtes si bon, vous êtes le premier qui ayez foi en moi.

– Parlez, mon brave garçon.

– Eh bien! monsieur, je vous demanderais un mot pour M. d’Escorval… Oh! un mot insignifiant, lui annonçant par exemple l’évasion du prévenu… je porterais ce mot, et alors… Oh! ne craignez rien, monsieur, je serai prudent.

– Soit!… fit le juge, allons, venez!…

Quand il sortit du bureau de son chef, Lecoq avait toutes les autorisations imaginables, et de plus il avait en poche un billet de M. Segmuller à M. d’Escorval. Sa joie était si grande, qu’il ne daigna pas remarquer les lazzis qu’il recueillit le long des couloirs de la Préfecture. Mais sur le seuil, son ennemi Gévrol, dit le Général, le guettait…

– Eh! eh!… fit-il quand passa Lecoq, il y a comme cela des malins qui partent pour la pêche à la baleine, et qui ne rapportent même pas un goujon.

Du coup, Lecoq fut piqué. Il se retourna brusquement, se planta en face du Général et le regardant bien dans le blanc des yeux:

– Cela vaut encore mieux, prononça-t-il du ton d’un homme sûr de son affaire, cela vaut infiniment mieux que de faciliter au dehors les intelligences des prisonniers.

Surpris, Gévrol perdit presque contenance et sa rougeur seule fut un aveu.

Mais Lecoq n’abusa pas. Que lui importait que le Général, ivre de jalousie, l’eût trahi! Ne tenait-il pas une éclatante revanche!

Il n’avait pas trop d’ailleurs du reste de sa journée pour méditer son plan de bataille et songer à ce qu’il dirait en portant le billet de M. Segmuller.

Son thème était bien prêt, quand le lendemain sur les onze heures, il se présenta chez M. d’Escorval.

– Monsieur est dans son cabinet avec un jeune homme, lui répondit le domestique, mais comme il ne m’a rien dit vous pouvez entrer…

Lecoq entra, le cabinet était vide.

Mais dans la pièce voisine, dont on n’était séparé que par une portière de velours, on entendait des exclamations étouffées et des sanglots entremêlés de baisers…

Assez embarrassé de son personnage, le jeune policier ne savait s’il devait rester ou se retirer, quand il aperçut sur le tapis une lettre ouverte…

Evidemment, cette lettre, toute froissée, contenait l’explication de la scène d’à côté. Mû par un sentiment instinctif plus fort que sa volonté, Lecoq la ramassa. Il y était écrit:

Celui qui te remettra cette lettre est le fils de Marie-Anne, Maurice, ton fils… J’ai réuni et je lui ai donné toutes les pièces qui justifient sa naissance…

C’est à son éducation que j’ai consacré l’héritage de ma pauvre Marie-Anne. Ceux à qui je l’avais confié ont su en faire un homme.

Si je te le rends, c’est que je crains pour lui les souillures de ma vie. Hier s’est empoisonnée la misérable qui avait empoisonné ma sœur… Pauvre Marie-Anne!… elle eût été plus terriblement vengée si un accident qui m’est arrivé n’eût sauvé le duc et la duchesse de Sairmeuse du piège où je les avais attirés…

JEAN LACHENEUR.

Lecoq eut comme un éblouissement.

Maintenant, il entrevoyait le drame terrible qui s’était dénoué dans le cabaret de la Chupin…

– Il n’y a pas à hésiter, il faut partir pour Sairmeuse, se dit-il, là je saurai tout!…

Et il se retira sans avoir parlé à M. d’Escorval. Il avait résisté à la tentation de s’emparer de la lettre.

C’était un mois, jour pour jour, après la mort de Mme Blanche.

Etendu sur un divan, dans sa bibliothèque, le duc de Sairmeuse lisait, quand son valet de chambre Otto vint lui annoncer un commissionnaire chargé de lui remettre en mains propres une lettre de M. Maurice d’Escorval.

D’un bond, Martial fut debout.

– Est-ce possible! s’écria-t-il.

Et vivement:

– Qu’il entre, ce commissionnaire.

Un gros homme, rouge de visage, de cheveux et de barbe, tout habillé de velours bleu blanchi par l’usage, se présenta tendant timidement une lettre.

Martial brisa le cachet et lut:

Je vous ai sauvé, Monsieur le duc, en ne reconnaissant pas le prévenu Mai. À votre tour, aidez-moi!… Il me faut pour après-demain, avant midi, 260,000 francs.

J’ai assez confiance en votre honneur pour vous écrire ceci, moi!…

MAURICE D’ESCORVAL.

Pendant près d’une minute, Martial resta confondu… puis, tout à coup, se précipitant à une table, il se mit à écrire, sans s’apercevoir que le commissionnaire lisait par-dessus son épaule…

Monsieur,

Non pas après-demain, mais ce soir. Ma fortune et ma vie sont à vous. Je vous dois cela pour la générosité que vous avez eue de vous retirer quand, sous les haillons de Mai, vous avez reconnu votre ancien ennemi, maintenant votre dévoué

MARTIAL DE SAIRMEUSE.

Il plia cette lettre d’une main fiévreuse, et la remettant au commissionnaire avec un louis:

– Voici la réponse, dit-il, hâtez-vous…

Mais le commissionnaire ne bougea pas…

Il glissa la lettre dans sa poche; puis, d’un geste violent, fit tomber sa barbe et ses cheveux rouges…

– Lecoq!… s’écria Martial, devenu plus pâle que la mort.

– Lecoq, en effet, monseigneur, répondit le jeune policier. Il me fallait une revanche, mon avenir en dépendait… j’ai osé imiter, oh! bien mal, l’écriture de M. d’Escorval…

Et comme Martial se taisait:

– Je dois d’ailleurs dire à monsieur le duc, poursuivit-il, qu’en remettant à la justice l’aveu écrit de sa main, de sa présence à la Poivrière, je donnerai des preuves de sa complète innocence.

Et pour montrer qu’il n’ignorait rien, il ajouta:

Mme la duchesse étant morte, il ne saurait être question de ce qui a pu se passer à la Borderie.

Huit jours après, en effet, une ordonnance de non-lieu était rendue par M. Segmuller en faveur du duc de Sairmeuse…

Nommé au poste qu’il ambitionnait, Lecoq eut le bon goût, – ce dut être un calcul, – de grimer de modestie son triomphe…

Mais le jour même, il avait couru au passage des Panoramas, commander à Sterne un cachet portant ses armes parlantes, et la devise à laquelle il est resté fidèle: Semper vigilans.

(1869)