Выбрать главу

Pour se distraire, il avait demandé et on lui avait donné un volume de chansons de Béranger, et il passait ses journées à en apprendre par cœur; il les chantait à pleine voix et avec assez de goût.

C’était, prétendait-il, un talent qu’il se donnait là, et qui ne manquerait pas de lui servir quand on lui rendrait la clef des champs.

Car il ne doutait pas, affirmait-il, de son acquittement.

Il s’inquiétait de l’époque du jugement, du résultat, non.

S’il était pris de tristesses, c’était quand il parlait de sa profession. Il avait la nostalgie du tréteau. Il pleurait presque en songeant à son costume bariolé de pitre, à son public, à ses boniments accompagnés par les musiques enragées de la foire.

Jamais d’ailleurs, on ne vit détenu plus ouvert, plus communicatif, plus soumis, meilleur enfant.

C’est avec un empressement marqué qu’il recherchait toutes les occasions de babiller. Il aimait à raconter sa vie, ses aventures, ses courses vagabondes à travers l’Europe, à la suite de M. Simpson, le montreur de phénomènes.

Ayant beaucoup vu, il avait beaucoup retenu, et il possédait un inépuisable fonds de bons contes et de saillies triviales qui faisaient se pâmer de rire les surveillants.

Et toutes les paroles de ce grand bavard, de même que ses actions les plus indifférentes, étaient marquées d’un tel cachet de naturel, que les gens du Dépôt ne doutaient plus de la vérité de ses assertions.

Plus difficile à convaincre était le directeur.

Il avait affirmé que ce soi-disant «bonisseur» ne pouvait être qu’un dangereux repris de justice, dissimulant des antécédents accablants; il ne négligea rien pour le prouver.

Quinze jours durant, Mai fut soumis tous les matins à l’examen du ban et de l’arrière-ban des agents de la sûreté, réguliers et irréguliers.

On le présenta ensuite à une trentaine de forçats renommés pour leur connaissance parfaite de la population des prisons, et qui avaient été transférés au Dépôt pour cette épreuve.

Personne ne le reconnut.

Sa photographie avait été envoyée à tous les bagnes, à toutes les maisons centrales; personne ne se rappela ses traits.

À ces circonstances, d’autres vinrent se joindre, qui avaient bien leur importance, et qui plaidaient en faveur du prévenu.

Le 2e bureau de la Préfecture, qui était celui des sommiers judiciaires, trouva des traces positives de l’existence d’un nommé Tringlot, «artiste forain,» lequel pouvait fort bien être l’homme de la version de Mai. Ce Tringlot était mort depuis plusieurs années.

En outre, de renseignements pris en Allemagne et en Angleterre, il résultait qu’on y connaissait très bien un sieur Simpson, en grande réputation sur tous les champs de foire.

Devant de telles preuves le directeur se rendit, et avoua hautement qu’il s’était trompé.

«Le prévenu Mai, écrivit-il au juge d’instruction, est bien réellement et véritablement ce qu’il prétend être; les doutes à cet égard ne sont plus possibles.»

Ce fut en dernier lieu l’avis de Gévrol.

Ainsi M. Segmuller et Lecoq restaient seuls de leur opinion.

Il est vrai que seuls ils étaient bons juges, puisque seuls ils connaissaient tous les détails d’une instruction demeurée strictement secrète.

Mais peu importe! Lutter contre tout le monde est toujours pénible, sinon dangereux, eût-on d’ailleurs mille et mille fois raison.

«L’affaire Mai,» on lui donnait ce nom, avait transpiré; et si le jeune policier était accablé de quolibets grossiers dès qu’il paraissait à la Préfecture, le juge d’instruction n’était pas à l’abri d’amicales ironies.

Plus d’un juge, en le rencontrant dans la galerie, lui demandait, le sourire aux lèvres, ce qu’il faisait de son Gaspard Hauser, de son homme au masque de fer, de son mystérieux saltimbanque…

De là chez M. Segmuller et chez Lecoq, cette exaspération de l’homme qui, ayant la certitude absolue d’une chose, ne peut cependant en démontrer l’exactitude.

Ils en perdaient l’appétit l’un et l’autre, ils en maigrissaient, ils en verdissaient.

– Mon Dieu!… disait parfois le juge, pourquoi d’Escorval est-il tombé!… Sans cette chute maudite, il aurait tous mes soucis, et, à cette heure, je rirais comme les autres!

– Et moi qui me croyais fort! murmurait le jeune policier.

Mais l’idée ne leur venait point de se rendre. Bien que de tempéraments essentiellement opposés, chacun d’eux, à part soi, s’était juré d’avoir le mot de cette agaçante énigme.

C’est alors que Lecoq résolut de renoncer à ses courses au dehors pour se consacrer uniquement à l’étude du prévenu.

– Désormais, dit-il à M. Segmuller, je me constitue prisonnier comme lui, et sans qu’il me voie, je ne le perds plus de vue!…

XXXII

Au-dessus de l’étroite cellule occupée par le prévenu Mai, se trouvait une sorte de soupente, ménagée par les architectes pour le service des toitures.

Elle était carrelée, mais si basse, qu’un homme de taille moyenne ne pouvait s’y tenir debout. Quelques minces rayons filtrant entre les interstices des ardoises l’éclairaient à peine d’un jour douteux.

C’est là qu’un beau matin Lecoq vint s’établir.

C’était l’heure où le détenu faisait, sous la surveillance de deux gardiens, sa promenade quotidienne; le jeune policier put donc, sans retard, procéder à ses travaux d’installation.

Armé d’un pic dont il s’était muni, il descella deux ou trois carreaux et se mit à percer l’intervalle des planchers.

Le trou qu’il pratiquait affectait la forme d’un entonnoir. Très large au ras du sol du grenier, il allait se rétrécissant jusqu’à n’avoir plus que deux centimètres de diamètre à l’endroit où il entamait le plafond de la cellule.

La place où débouchait ce trou avait d’ailleurs été choisie à l’avance, si habilement, qu’il se confondait avec les lézardes et les taches du crépi, et qu’il était impossible que le prisonnier le distinguât d’en bas.

Pendant que travaillait Lecoq, le directeur du Dépôt et Gévrol, qui avaient tenu à l’accompagner, se tenaient sur le seuil de la soupente et ricanaient.

– Ainsi, monsieur Lecoq, disait le directeur, voici désormais votre observatoire.

– Mon Dieu, oui, monsieur.

– Vous n’y serez pas à l’aise.

– J’y serai moins mal que vous ne le croyez, j’ai apporté une grosse couverture, je l’étendrai à terre et je me coucherai dessus.

– Si bien que, nuit et jour, vous aurez l’œil à cette ouverture?

– Nuit et jour, oui, monsieur.

– Sans boire ni manger?… demanda Gévrol.

– Pardon! le père Absinthe, que j’ai relevé de son inutile faction à la ruelle de la Butte-aux -Cailles, m’apportera mes repas, il fera mes commissions et au besoin me remplacera.

L’envieux Général éclata de rire, mais d’un rire évidemment forcé.

– Tiens, dit-il, tu me fais pitié.

– Possible.

– Sais-tu à qui tu vas ressembler, l’œil collé à ce trou, épiant le prévenu?…

– Dites!… Ne vous gênez pas.