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Pendant la représentation, l’orchestre sera également conduit par le maestro Saint-Landri. »

Christiane lisait tout haut, riait, s’étonnait.

Son père reprit :

— Oh ! Ils t’amuseront. Mais, allons les voir.

Ils tournèrent à droite et entrèrent dans le parc. Les baigneurs se promenaient gravement, lentement dans les trois allées, buvaient leur verre d’eau et repartaient.

Quelques-uns, assis sur des bancs, traçaient des lignes dans le sable du bout de leur canne ou de leur ombrelle. Ils ne parlaient point, semblaient ne point penser, ne vivre qu’à peine, engourdis, paralysés par l’ennui des stations thermales. Seul, le bruit bizarre de l’orchestre sautillait dans l’air doux et calme, venu on ne sait d’où, produit on ne sait comment, passait sous les feuillages, paraissait faire mouvoir ces mornes marcheurs.

Une voix cria « Christiane ! ». Elle se retourna, c’était son frère. Il courut à elle, l’embrassa et, quand il eut serré la main d’Andermatt, il prit sa sœur par le bras et l’entraîna, laissant par-derrière son père et son beau-frère.

Et ils causèrent. C’était un grand garçon élégant, rieur comme elle, mobile comme le marquis, indifférent aux événements, mais toujours à la recherche de mille francs.

— Je croyais que tu dormais, disait-il, sans quoi j’aurais été t’embrasser. Et puis Paul m’a emmené ce matin au château de Tournoël.

— Qui ça, Paul ? Ah oui, ton ami !

— Paul Brétigny. C’est vrai, tu ne sais pas. Il prend un bain en ce moment.

— Il est malade ?

— Non. Mais il se guérit tout de même. Il vient d’être amoureux.

— Et il prend des bains acidulés – on dit acidulés, n’est-ce pas – pour se remettre ?

— Oui. Il fait tout ce que je lui dis de faire. Oh ! Il a été très touché. C’est un garçon violent, terrible. Il a failli mourir. Il a voulu la tuer aussi. C’était une actrice, une actrice connue. Il l’a aimée follement. Et puis, elle ne lui était pas fidèle, bien entendu. Ça a fait un drame épouvantable. Alors, je l’ai emmené. Il va mieux en ce moment, mais il y pense encore.

Elle souriait tout à l’heure ; maintenant, devenue sérieuse, elle répondit :

— Ça m’amusera de le voir.

Pour elle, cependant, ça ne signifiait pas grand’ chose, « l’Amour ». Elle pensait à cela, quelquefois, comme on pense, quand on est pauvre, à un collier de perles, à un diadème de brillants, avec un désir éveillé pour cette chose possible et lointaine. Elle se figurait cela d’après quelques romans lus par désœuvrement, sans y attacher d’ailleurs grande importance. Elle n’avait jamais beaucoup rêvé, étant née avec une âme heureuse, tranquille et satisfaite ; et, bien que mariée depuis deux ans et demi, elle ne s’était pas encore éveillée de ce sommeil où vivent les jeunes filles naïves, de ce sommeil du cœur, de la pensée et des sens qui continue, pour certaines femmes, jusqu’à la mort. La vie lui semblait simple et bonne, sans complications ; elle n’en avait jamais cherché le sens ou le pourquoi. Elle vivait, dormait, s’habillait avec goût, riait, était contente ! Qu’aurait-elle pu demander de plus ?

Quand on lui avait présenté Andermatt comme fiancé, elle refusa d’abord, avec une indignation d’enfant, de devenir la femme d’un juif. Son père et son frère, partageant sa répugnance, répondirent avec elle et comme elle, par un refus formel. Andermatt disparut, fit le mort ; mais au bout de trois mois, il avait prêté plus de vingt mille francs à Gontran ; et le marquis, pour d’autres raisons, commençait à changer d’avis. En principe d’abord, il cédait toujours quand on insistait, par amour égoïste du repos. Sa fille disait de lui : « Oh ! Papa a toutes les idées brouillées » ; et c’était vrai. Sans opinions, sans croyances, il n’avait que des enthousiasmes qui variaient à tout instant. Tantôt il s’attachait, avec une exaltation passagère et poétique, aux vieilles traditions de sa race et désirait un roi, mais un roi intelligent, libéral, éclairé, marchant avec le siècle ; tantôt, après la lecture d’un livre de Michelet ou de quelque penseur démocrate, il se passionnait pour l’égalité des hommes, pour les idées modernes, pour les revendications des pauvres, des écrasés, des souffrants. Il croyait à tout, selon les heures, et quand sa vieille amie, Mme Icardon, qui, liée avec beaucoup d’israélites, désirait le mariage de Christiane et d’Andermatt, commença à le prêcher, elle sut bien par quels raisonnements il fallait l’attaquer.

Elle lui montra la race juive arrivée à l’heure des vengeances, race opprimée comme le peuple français avant la Révolution, et qui, maintenant, allait opprimer les autres par la puissance de l’or. Le marquis, sans foi religieuse, mais convaincu que l’idée de Dieu n’était qu’une idée législatrice, plus forte pour maintenir les sots, les ignorants et les timorés, que la simple idée de Justice, considérait les dogmes avec une indifférence respectueuse, et confondait dans une estime égale et sincère Confucius, Mahomet et Jésus-Christ. Donc le fait d’avoir crucifié celui-ci ne lui paraissait nullement comme une tare originelle, mais comme une grosse maladresse politique. Il suffit par conséquent de quelques semaines pour lui faire admirer le travail caché, incessant, tout-puissant des juifs persécutés partout. Et envisageant soudain avec d’autres yeux leur triomphe éclatant, il le considéra comme une juste réparation de leur longue humiliation. Il les vit maîtres des rois, qui sont maîtres des peuples, soutenant les trônes ou les laissant crouler, pouvant mettre en faillite une nation comme on fait pour un marchand de vin, fiers devant les princes devenus humbles et jetant leur or impur dans la cassette entrouverte des souverains les plus catholiques, qui les remerciaient par des titres de noblesse et des lignes de chemin de fer.

Et il consentit au mariage de William Andermatt avec Christiane de Ravenel.

Quant à elle, sous la pression insensible de Mme Icardon, ancienne camarade de sa mère, devenue sa conseillère intime depuis la mort de la marquise, pression combinée avec celle de son père, et devant l’indifférence intéressée de son frère, elle consentit à épouser ce gros garçon très riche, qui n’était pas laid, mais qui ne lui plaisait guère, comme elle aurait consenti à passer un été dans un pays désagréable.

Maintenant, elle le trouvait bon enfant, complaisant, pas bête, gentil dans l’intimité, mais elle se moquait souvent de lui avec Gontran, qui avait la reconnaissance perfide.

Il lui disait :

— Ton mari est plus rose et plus chauve que jamais. Il a l’air d’une fleur malade ou d’un cochon de lait qu’on aurait rasé. Où prend-il ces couleurs-là ?

Elle répondit :

— Je t’assure que je n’y suis pour rien. Il y a des jours où j’ai envie de le coller sur une boîte de dragées.

Mais ils arrivaient devant l’établissement de bains.

Deux hommes étaient assis sur des chaises de paille, le dos au mur, et fumant leurs pipes des deux côtés de la porte.

Gontran dit :

— Tiens, deux bons types. Regarde celui de droite, le bossu coiffé d’un bonnet grec ! C’est le père Printemps, ancien geôlier à Riom et devenu gardien, presque directeur de l’établissement d’Enval. Pour lui, rien n’est changé, et il gouverne les malades comme ses anciens détenus. Les baigneurs sont toujours des prisonniers, les cabines de bain sont des cellules, la salle des douches un cachot, et l’endroit où le Docteur Bonnefille pratique les lavages de l’estomac au moyen de la sonde Baraduc, une salle de tortures mystérieuse. Il ne salue aucun homme en vertu de ce principe que tous les condamnés sont des êtres méprisables. Il traite les femmes avec beaucoup plus de considération, par exemple, considération mêlée d’étonnement, car il n’en avait pas sous sa garde dans la prison de Riom. Cette retraite n’étant destinée qu’aux mâles, il n’a pas encore l’habitude de parler aux personnes du sexe. – L’autre, c’est le caissier. Je te défie de lui faire écrire ton nom ; tu vas voir.