— Oui, mais pas vous, répond la donzelle, amphigouri définit un discours burlesque, alors que vous donnez au terme un sens différent.
— Pas du tout, ma jolie cressonnière, rebiffé-je, c’est bien d’un galimatias qu’il s’agit en l’occurrence ; du moins est-ce l’impression reçue de l’extérieur, car je ne doute pas que les mobiles de base et vos agissements ne soient solides, considérés de l’intérieur.
Bon, attends, je vais cesser d’exprimer de cette manière alambiquée, que sinon tu vas te faire chier comme cent rats morts et m’envoyer ce book dans le portrait ; ce qui serait du plus grand dommage, compte tenu de ce qui se prépare.
La mère, je la sens en hésitance. Elle lutte entre son devoir et ses élans. Mais les nanas, question devoir, c’est pas leur vertu cardinale, voire simplement épiscopale. Il suffit que le fruit de sa démangeaison mûrisse pour qu’elle se gratte, comme l’écrivait Baudelaire dans « Du mâle l’effleure ».
Encore trente secondes de ma fixité et madame s’affale.
— Une supposition que je sois folle de vous ? demande-t-elle.
— Supposition qui m’honore.
— Continuons de supposer que cette passion que j’éprouve m’amène à mettre bas le masque ?
— Ma vanité serait à son comble.
— C’est tout ce que vous apporterait une telle preuve d’amour ? Une satisfaction d’orgueil ? Mon Dieu, comme je ne suis pas payée de retour.
— Chérie, n’oubliez pas que notre liaison a été téléguidée, comme dans les beaux films d’espionnage d’avant la dernière war. Marthe Richard au service de la France ! Le bel officier allemand dont la séductrice de commande tombe amoureuse pour de bon ! Ça a fait chialer le public à l’époque.
— Savez-vous pourquoi ? m’interrompt-elle.
— Allez-y !
— Parce que la chose repose sur une vérité humaine. Les gens pleurent parce qu’ils reconnaissent leur propre sentiment. Si l’officier allemand est beau, il séduit, et point à la ligne ; dans la vie comme à l’écran. Dans notre histoire, le bel officier allemand, c’est vous. Et vous m’avez séduite parce que vous me plaisez et que vous me faites l’amour comme personne avant vous ne me l’avait fait. Gargarisez-vous tout votre content, Antoine. Roulez les mécaniques, comme on dit dans vos bouquins ; je ne m’attends pas à ce que vous tombiez amoureux de moi, je voudrais simplement, humblement, que vous croyiez que je le suis de vous. Il me serait… agréable n’est pas un bon mot, disons, réconfortant, oui, c’est cela, il me serait réconfortant d’être crue ; je n’avais encore jamais dit à un homme que je l’aimais. Alors, puisque je m’y risque pour la première fois, il faut me croire. Ça ne vous engage à rien ; c’est gratuit et sans conséquence.
Elle s’est animée. Elle est rose d’excitation. Ses yeux brillent comme des diamants, des étoiles, du satin, un arbre de Noël, et toutes autres culteries que tu serais amené à ajouter. Sa fougue me trouble. Bon, après tout, why not ? « Supposons », a-t-elle dit en commençant. O.K., je veux bien. Elle m’aime. Je suppose qu’elle m’aime. Alors ?
Je lui roule la pelle Grand Siècle, tournant sept fois ma langue dans sa bouche avant de parler, comme on me l’a enseigné à la maternoche. Quand tu es seul avec une moukère et que tu traverses une période embarrassante, galoche-la vite fait bien fait. Ça t’évite de parler, voire aussi de la regarder.
Elle s’efface donc un baiser longue durée avec accompagnements manuels au mistigri et aux frères Karamazov pour faciliter le transit. Qu’après quoi, ouf ! l’atmosphère est détendue. On est passé du suave, du vaporeux, au consistant : j’ te panse, donc j’t’essuie. Attends qu’elle termine ses confidences, Poupette, et tu vas voir cette deuxième ramonée géante que je vais l’octroyer.
Elle me chevauche soudain, peignoir ouvert, heureusement, sinon du râpeux allait se fourvoyer dans son module lunaire sous la poussée de bas en haut égale au poids du volume déplacé (comme chacun sèche) de mon polymère à foudroiement valvaire. C’est la mignonnette qu’accomplit tout le turbin. La manière qu’elle te cramponne le chauve à col roulé pour brancher l’oléoduc ! La frénésie donne de l’inspiration, l’inspiration du génie. C’est un travail magnifique. Je savais pas qu’elle avait été écuyère, Sirella ! Et pas une écuyère à café, espère. Le trot anglais, imbattable ! Le pas des lanciers ! Le grand steeple d’Hadley Chase ! La traversée du désert ! Les Comanches attaquent à l’aube ! Tous les grands classiques du genre. Et quand elle m’a bien monté à cru, elle me monte écru. En amazone ! Le fin du fin ! T’imagines le tableautin, Léon ? Façon reine Christine ! Dadoun, dada, dadoun, dada ! Peinardos, calmos ! A la rentre-comme-tu-me-le-pousses ! A l’avale-comme-je-t’épouse ! Dadoun, dada, dadoun, dada ! Je magnifie de la collerette ! J’engorge du goitre ! Elle a un sens de l’équilibre, cette môme, peu croyable. Faut dire qu’avec un centre de gravité comme mon copain Prosper le Déluré, elle peut aventurer des miches sans sa mère, la Sirella jolie.
On gnoufgnouffe catégorie A. Un imprésario qui passe dans le couloir et qui, alerté par les cris de ma joyeuse commère de Windsor, risque un zœil par le trou de la serrure, se met à faire le pied de grue, le pied de coq, le pied de coquecigrue dans le couloir, attendant qu’on en ait terminé pour nous réclamer nos coordonnées ; qu’il veut absolument nous importer à Las Vegas, en passant par Nouille Hork, Pithiviers, Saint-Pétersbourg.
Je retiens les rênes au maxi, pas emballer du colifichet. Je déteste les fins de règne. L’assouvissement est un abandon, une débandade, n’oublie jamais, ce serait trop grave. Garde ta fumée, fils, pour le camouflet de la paix, comme dit Bérurier l’Unique. Fais ton mais-encule-pas, ajouterait le pachyderme hypodermique.
Doucement, Gaston ! Dou-ce-ment ! Pose-toi en douceur. Laisse aller madame, mais rate pas l’atterrissage. Le manche, Gaston ! Le manche ! Bien droit que je te dis ! Rends-le mollo ! Gaffe au contact ! Plus dure est la chute. Fais pas de zèle, Gaston ! Tiens ta gaule et surveille tes gestes. La jolie maâme est larguée ? Ça ne fait rien. Doucemin, bongu ! Brrrr… V’là les pâquerettes, Gaston ! Lâche les gaz. Attention au palonnier, tu perds de l’assiette ! Bravo ! Impec ! Dans la vaseline ! Elle t’a reçu cinq sur cinq, laisse-lui la monnaie ! Maintenant fais-lui une bise sur les meules, lui montrer ta bonne éducance. Tu vois comme elle est contente ? Ça ne coûte rien et ça fait plaisir. Tu y achèterais la Santos or et brillants, elle serait pas plus comblée sur le moment, Sirelloche. Reine des hautes combines ou non, elle raffole du goumi à frissons, c’est indéniable ; on peut pas lui enlever ça. Elle paie de sa personne. Une nana qui casque ainsi sans rechigner, de tout cul et cœur, t’as plus qu’à te découvrir (du bas principalement) pour lui présenter tes hommages, les gros.
La voilà échouée tel un thonier à la casse. Sur le flanc, rejetée par la mer des délices, comme l’écrit Maurice Schumann, c’est mon pote Scott Sullivan de Newsweek[2] qui me l’a fait lire l’autre soir à la maison parce qu’il voulait me prouver comme quoi j’ai tort de taquiner parfois le grand écrivain dans mes délirades pour poubelles de semaine. Rejetée par la mer des délices, donc, osé-je citer en tout bien tout donneur puisque je nomme mes sources, faisant penser à ces pauvres baleines qui se suicident en démerdant, les pauvres, qu’on se demande ce qui leur passe par la tête pour se jeter à la terre comme des connes, ces grandes bringues. Et qu’à quoi leur sert d’être mammifères, dis donc, puisqu’elles y crèvent, les grosses chéries. Eh bien, Sirella, la Sirène : baleinette sur la plage du drap rose. Je disais « thonier à la casse » en débutant, c’est la rapidité d’écriture qui engendre les vilaines métaphores ; tu vois, quand on s’attarde un brin, qu’on fignole, les images se font plus justes et plus précieuses. On tourne à l’élégance de style. Quand je serai mort, faudra que je me risque dans le poil de cul, la ciselure, le concoctage. Mais je t’ai pas élevé comme ça. Si je rédigeais à la plume d’oie, tu t’attendrais à tout bout de phrase que je te la file dans le train. C’est pas vrai, Bébert ?
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A propos, Scott : j’ai bien reçu le numéro de Newsweek dans lequel tu tartines sur moi des choses formidables, bien qu’écrites en américain. Merci.