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Elle me fait un « Psiiiit ! » qui ferait se collisionner vingt bagnoles si elle l’avait balancé place Charles-de-Gaulle (qui fut la troisième étoile de ce grand guerrier du micro).

D’un index en crochet, elle m’happelle (contraction de happer et d’appeler).

Je la rejoins (de robinet).

— Aïcha a dit qui faut que vous allez voir, me déclare-t-elle.

Je tapote sa joue fraîche.

— Je aller y vais, lui réponds-je charitablement.

Et je y vais, effectivement.

La jolie blonde à chatte noire sort de la chambre de Sirella.

— Il y a là le consul de Grande-Bretagne avec le professeur Sa Fémâhl, me dit-elle.

Je cligne de l’œil.

— Vous êtes certaine qu’il s’agit bien du consul ?

Elle me saisit le bras et m’entraîne jusqu’à la baie vitrée donnant sur le parkinge de la clinique. Une Rover noire, battant plaque consulaire y est stationnée. Un chauffeur en blazer bleu et chemise blanche est acagnardé contre l’aile avant gauche, si ça ne t’ennuie pas trop, sinon tu peux l’adosser à l’aile avant droite, je ne te ferai pas de procès.

— Que dit-il au professeur ?

— Qu’il veut affréter un avion pour rapatrier miss Delameer à Londres.

— Le professeur est d’accord ?

— Il a répondu que la chose était impensable dans l’état où se trouve la blessée.

— C’est bien mon avis également.

Sur ces entrefesses, la porte s’ouvre déjà et un personnage tellement anglais d’aspect que c’en est de la franchise, sort, flanqué du médecin-chef. Visage allongé, élégance un peu désuète, regard qui coupe court.

Il prend rapidement congé du toubib et quitte l’hôpital. Sa Fémâhl s’évacue dans la direction opposée sans me remarquer car je me suis grouillé de renouer le lacet imaginaire de mon mocassin extra-réel.

— Je retourne attendre, dis-je à Aïcha.

— Vous avez de la patience, note la jolie avec un sourire.

— Pour peu que vous en ayez aussi, on pourrait peut-être passer la soirée ensemble, non ? On dînerait à mon hôtel, ensuite vous me feriez visiter Marrakech by night, et moi je vous montrerais mon couteau suisse à soixante-douze lames.

Elle rit.

— Vous pensez attendre ici jusqu’à quelle heure ?

— Jusqu’à ce qu’arrive la personne que j’espère.

— Et si elle ne vient pas ?

— Les portes de la clinique ferment à quelle heure ?

— Neuf heures.

— Et après ?

— Il faut sonner pour les urgences.

— En ce cas, j’attendrai jusqu’à neuf heures.

Aïcha me défrime d’un œil grave.

— J’aimerais savoir ce que vous manigancez.

— Moi aussi. Alors, c’est O.K. pour ce soir ? Neuf heures et demie au Mâ-Kâch ?

— Vous savez, je n’ai pas de toilettes très habillées.

Je m’abstiens de lui répondre que ce n’est pas qu’elle soit habillée qui m’importe, bien au contraire.

— Quand on est belle comme vous l’êtes, un sac à pommes de terre avec trois trous vous transforme en princesse des Mille et une Nuits, Aïcha, je lui sors sans frais de port.

Et je retourne dans le salon où le vieillard continue sa roupille.

Ayant achevé la vie fabuleuse du consort givré, pour le laisser à ses électrochocs mignons et aux marrons glacés expédiés par sa reine-femme, je renonce à d’autres lectures et me plonge dans la réflexion. Mais c’est mal engagé, je m’en rends zézément compte. La gamberge, ou bien elle file droit comme une fusée américaine, ou bien elle est montée sur boucle, comme une fusée française. Très vite, je me retrouve à la case départ, pataugeant dans la boue du mystère à m’en foutre plein les futiaux.

Une silhouette familière me tire de ma semi-léthargie. Ma para-infra-sous-lucidité, diraient mes exégètes laisse illico place à l’état d’alerte.

Le Dabe !

Oui, Achille, plus chauve que toujours (et le soleil d’ici n’arrange pas son cas) vient de passer devant le salon. Préoccupé, l’air atrocement mauvais.

Je compte posément jusqu’à huit et demi, pour faire plaisir à Fellini, et la petite femme de salle noirpiaute me refait le coup du « Psiiiiit ». Je vais à elle.

— Dites à Aïcha que le nouveau visiteur est un ami, lui chuchoté-je.

Elle me vote un sourire grand comme une tranche de pastèque avec ses pépins.

S’éclipse.

Pourquoi Achille ?

Il a tenu à visiter la mère Sirella, s’assurer de son état ? J’attends qu’il repasse pour l’aborder. Sa rogne doit mousser pire que l’Etna quand on a balancé dans son cratère dix tonnes de crème à raser (ou à araser).

San-Antonio abandonne son siège moelleux comme celui d’une moissonneuse-batteuse pour gagner le hall.

Je poussa la porte et sortis, contrairement à cette fameuse loi en littérature d’action qui veut « qu’on poussa la porte et entra ».

Fais les dix pas, la surface du lieu ne permettant pas de faire les cent, et je le déplore car j’aime la marche à pied, ce premier des sports puisqu’il subjugue l’homme au bout de sa première année d’existence.

Un Arabe en blanc, beau comme un roi mage d’Epinal, se pointe à la réception, lesté d’une corbeille de fleurs derrière laquelle tu pourrais baiser la bonne sans que ta femme s’aperçoive de quelque chose.

Il demande la chambre de la dame blessée dans l’attentat du Mâ-Kâch. La préposée, une jolie rondeur moustachue, avec un badge gravé au Dymo M 10 comme quoi elle se nomme Mme Salbourrick, la préposée, reprends-je, lui indique qu’il doit coltiner son parc de Bagatelle (pour un massacre, en l’occurrence) au service « Chirurgie » et le confier à l’infirmière-chef, laquelle jugera si la destinatrice est apte à renifler ces fleurs surchoix.

Et bon, il y va, suivi du gars moi-même, le garçon choyé de Félicie.

Le livreur contacte Mlle Aïcha, laquelle lui fait déposer sa corbeille sur une table roulante, puis il se retire.

Dès lors, je l’intercepte :

— Un instant, l’ami ; qui vous a donné cette corbeille à livrer ?

— Mon patron.

— C’est-à-dire ?

— M’sieur Mohamed Ben Isaac, le fleuriste de l’hôtel Mâ-Kâch.

— Qui l’a commandée ?

— J’sais pas, m’sieur, mais y a une carte.

— O.K., merci.

Il s’éloigne.

— Vous permettez ? dis-je à Aïcha. Service des poids et mesures d’urgence.

Et, au grand dam (mais j’aime le jeu de dam) de l’ensemble floral, voilà super-Antonio en train de tripatouiller la corbeille, s’assurer qu’elle ne recèle rien de fâcheux. Tout paraît de bon aloi. Me reste plus qu’à examiner la brèmouze encloquée dans une enveloppe de papier cellophane mal armé[3]. Beau papier non ébarbé (d’Aurevilly) sur quoi sont gravés des caractères arabes (très élégants sur une boîte de dattes), sous-titré en anglais Fantastic Majesty Joliman Kohnar II.

« Bigre, me dis-je en privé, Son Altesse a du savoir-vivre si la pauvre Sirella n’en a plus beaucoup. »

Pendant que je remets les fleurs en place, le Vieux ressort de la chambre. Tu dirais un magistrat venant réveiller le condamné à mort sur le coup de cinq plombes. Il a vieilli depuis le déjeuner tronqué. Il ne faisait pas tellement jeunet, Chilou, mais tu lui donnerais au moins six mois de plus.

M’avisant, il s’arrête.

— J’accepte, balbutie-t-il, comme un qui consent à déposer son bilan.

— Qu’acceptez-vous, patron ?

Il fait deux pas, écrase un pleur né avant terme, appuie sa belle main pour présentoir de velours sur ma robuste épaule.

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3

Calembour obscur, qui ne s’éclaircit que pour les lettrés ; disons-le, ici le grand infra-écrivain fait allusion au poète Stéphane Mallarmé. Il a eu fait mieux dans l’à-peu-près, mais l’apanage des sous-littérateurs, c’est qu’ils n’ont pas besoin de se sortir les pouces du cul pour écrire.

Jules.