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On bavasse un bout. Lui m’explique qu’il a gagné ce voyage dans un jeu radiophonique de Pierre Bellemare. Huit jours pépères, hôtel de luxe, faux frais payés. On a même mis une cinq chevaux à leur disposition. Alors ils ont vadrouillé : Taroudan, Voir-sa-Chatte[6], les palmeraies, tout le chenil. Un pur voyage de noces.

Du temps qu’il cause, je l’imagine en train de grimper sa bestiole, écrasant cette mante religieuse sous sa masse tremblotante, Eloi. Voyage de noces ! T’as envie de le dételer un coup ; qu’il aille un peu en baguenaude avant de crever : dire bonjour aux putes, écluser des alcools durs, ou bien ne rien foutre là où il l’entend. Mais elle l’enterrera, bobonne, comptes-y. C’est inscrit sur les calendes. Déjà veuve, on dirait. Ce ne sera plus qu’une simple formalité.

Il continue de jacter, ignorant de son destin.

Je conclus que ce qui l’épate le plus au cours de ce voyage, c’est pas le Maroc, mais la bagnole qui lui est fournie en supplément. En France, il circule en 2 CV. Pour lors, la 5 CV « Le Car » qui lui a été allouée l’époustoufle. Il y revient tire-larirette, Eloi. Ses performances, son habitabilité, les reprises foudroyantes et toutes les petites conneries du tableau de bord qui s’éclairent, tu croirais driver un Boeinge.

— Chapeau pour la Compagnie Le Trèfle, ajoute-t-il ; il faut voir l’entretien de cette tire. Tiens, regarde celle-là, à droite, elle aussi vient de chez Le Trèfle, tu peux me montrer une éraflure ? Un pare-chocs tordu ? Et pourtant, c’est une …[7] qui rouille sur catalogue généralement. Elle est piquée, cette tire ? Regarde-la de près, Antonio, elle est piquée, tu me réponds franchement ?

Je ne l’écoute plus vraiment. Je mate la chignole désignée. Sur l’aile avant droite, on a peint un trèfle à quatre feuilles, en vert pâle serti de blanc : l’emblème de la compagnie.

Je m’approche de Dutalion et l’embrasse.

Il se tait, abasourdi.

— Mais, quoi donc ? clapote le tireur, tremblant.

— Tu viens de réparer ta bévue de l’autre jour, Eloi, certifié-je en bonnet difforme.

— Mais, à cause ?

— A cause de ce petit trèfle devant lequel j’allais passer sans le cueillir.

Puis, me tournant vers la douairière pour lui montrer mon devant :

— Ah ! madame ! quel mari vous tenez là ! Soignez-le bien, surtout. S’il tousse, donnez-lui du sirop pectoral, faites-lui des cataplasmes de farine de lin richement moutardés, au besoin. Attention aux courants d’air. Et sachez qu’un petit-lait de poule, à la mauvaise saison, est salutaire pour affronter les intempéries. Mais je ne saurais vous retenir davantage. Merci pour votre dévouement à tous deux, je n’oublierai jamais ce que vous venez de faire pour moi.

Ayant dit, j’ouvre la portière de la chignole et m’installe au volant sans plus m’occuper de leur éberluement. Brève inspection de la boîte à gants qui ne contient que les fats de la guinde. Exploration des vide-fouilles. Ballepeau. Il n’y a rien non plus sur la banquette arrière.

Au tour du coffiot, à présent. Il est fermé à clé. Alors, à toi, sésame. Cric, cric, croc et crac ! Merci, m’sieur l’abbé.

Le coffiot est vidasse.

Bon, alors ?

Suis-je glandu !

Je retourne m’asseoir, rouvre la boîte à gloves et cramponne les papelards. Le contrat de location a été établi au nom de Flavius Tedseuquitu, sujet anglais d’origine roumaine, né à Bucarest en 1908, domicilié 120 Grattefor Street, London, descendu à l’hôtel El Chibr à Marrakech.

Poum ! c’est noté !

Je largue la tuture. La demie de huit heures sonne au beffroi de ma Piaget. A propos de demi, je m’en ferais bien un.

Allez, mon gars, en route pour l’hôtel !

Carrossé à neuf dans les tons pastel à rayures bleues et bleues, chemise jaune, foulard artistique, pompes de cuir bleu, un Brummell ! je me pointe dans le grand salon du Mâ-Kâch pour y attendre la splendide, la si brunement blonde Aïcha.

Certains esprits vétilleux me reprocheront, je pense, d’avoir un court souvenir du sexe (qui lui ne l’est certes pas) et d’oublier la belle Sirella au bénéfice de celle qui l’a en charge. Je t’objecterai que l’existence, c’est tous les jours, et qu’elle nous impose ses nécessités quotidiennes, les désagréables comme les délicieuses. Il convient donc d’y faire face, d’y faire fesses aussi, sans rechigner, car nos heures sont chichement comptées et l’homme qui l’a dans le cul, au bout du compte, est celui qui aura usé son temps à déplorer. J’appartiens à la catégorie des bâtisseurs, Dieu en soit loué pour toute la durée des représentations ! J’agis, je vis, je fais, donc je pense ! Et je pense surtout avoir raison.

Neuf heures arrivent à pas menus. Ensuite neuf heures quinze, suivies d’autres minutes impitoyables. Pas d’Aïcha. Voilà qui sent le lapin. Soit ! Je sais également me faire une raison. Il convient d’accepter avec stoïcisme la pluie, le temps qui passe, le Tampax, les rendez-vous manqués, la grève des éboueurs et le baiser des judas.

Je m’offre jusqu’à dix plombes moins un quart de patience. Une femme, surtout quand elle est jeune, belle et infirmière-chef de surcroît, peut avoir du retard. Je rêvasse languissamment, bœufé sur des coussins propices aux coïts fortuits, par temps d’orage devant feu de cheminée, tandis que ta chaîne Fifi déglutit de la belle musique Chantilly.

Je vois alors surgir un bizarre équipage. Magine-toi le Vieux, Béru et la môme Suzette, au mieux de leurs formes respectives et de leurs relations communes. La souris est entre les deux matous, chacun la tient par la taille ou sa région. Alexandre-Benoît a sa main gauche sur le valseur de la gosse, et Achille sa main droite à la base de son sein droit.

Comment, quand et pourquoi s’est opéré cet armistice ? Mystère. En tout cas, la concorde règne (y a que ce pauvre Concorde qui ne règne plus) dans l’équipe. Ils paraissent joyeux, voire éméchés un brin et rient, comme dit le Gros, « à gorge d’employé ».

Je laisse passer mes extraterrestres (O.V.N.I. soit qui mal y pense) sans solliciter leur attention. Une paix à trois est si rare qu’on doit la respecter.

Ils se rendent à la salle à manger, toujours rigolant et s’exclamant.

— Vous paraissez bien seul, ami fidèle ! me dit alors une voix plus suave que la brise du crépuscule sur le pubis d’une jouvencelle en cours de masturbation languissante.

Je découvre l’émir Kohnar, debout près de moi, les mains chastement croisées à la hauteur de son auguste pénis.

Me dresse pour la révérence Grand Siècle.

— Mes respects, Votre Inimaginable Majesté.

— Venez-vous rompre le pain et le sel avec moi, comme l’on dit dans votre pays ?

J’hésite. Mais le moyen de refuser une pareille invite ?

— Ce sera un grand honneur, Votre Rutilante Majesté.

— En ce cas nous allons goûter le nouveau caviar que le bon Khomeiny avec lequel j’ai toujours eu des relations cordiales, vient de m’adresser.

Suivis du secrétaire privé, nous gagnons un petit salon jouxtant la salle à briffer où de la vaisselle de vermeil est dressée sur une nappe brodée d’or.

L’émir me désigne le siège qui fait face au sien. Et la jaffe commence. Un peu guindée. L’émir mange le caviar avec les doigts, mais avec une telle distinction que j’ose à peine utiliser mon couvert à poisson, tant tellement ces outils me paraissent dérisoires.

— Votre enquête progresse-t-elle, ami fidèle ? me demande le Glorieux après avoir anéanti la descendance d’une maman esturgeon.

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6

L’ami de Sana doit parler de Ouarzazat.

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7

Censuré par l’éditeur qui déteste les procès.