Выбрать главу
Et tous bras dessus bras dessous Fredonnant des airs militaires Oui tous vos péchés sont absous Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville Et rencontrions souvent Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents Tous étaient si gais Si charmants si bien portants Que bien malin qui aurait pu Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne On s'éparpilla Deux chevau-légers nous joignirent On leur fit fête Ils coupèrent du bois de viorne Et de sureau Dont ils firent des sifflets Qu'ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre Les couples mains sur les épaules Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublié la danse Ces morts et ces mortes On buvait aussi Et de temps à autre une cloche Annonçait qu'un nouveau tonneau Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc Près d'un buisson d'épine-vinette Laissait un étudiant Agenouillé à ses pieds Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai Dix ans vingt ans s'il le faut Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai Toute votre vie Répondait la morte
Des enfants De ce monde ou bien de Г autre Chantaient de ces rondes Aux paroles absurdes et lyriques Qui sans doute sont les restes Des plus anciens monuments poétiques De l'humanité
L'étudiant passa une bague A l'annulaire de la jeune morte Voici le gage de mon amour De nos fiançailles Ni le temps ni l'absence Ne nous feront oublier nos promesses Et un jour nous aurons une belle noce Des touffes de myrte A nos vêtements et dans vos cheveux Un beau sermon à l'église De longs discours après le banquet Et de la musique De la musique
Nos enfants Dit la fiancée Seront plus beaux plus beaux encore  Hélas! la bague était brisée Que s'ils étaient d'argent ou d'or D'émeraude ou de diamant Seront plus clairs plus clairs encore Que les astres du firmament Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé Auront meilleure odeur encore Hélas! la bague était brisée Que le lilas qui vient d'éclore Que le thym la rose ou qu'un brin De lavande ou de romarin
Les musiciens s'en étant allés Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac On s'amusa à faire des ricochets Avec des cailloux plats Sur l'eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées Dans un havre On les détacha Après que toute la troupe se fut embarquée Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants
A l'avant du bateau que je gouvernais Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d'une robe jaune D'un corsage noir Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime Disait-il Comme le pigeon aime la colombe Comme l'insecte nocturne Aime la lumière
Trop tard Répondait la vivante Repoussez repoussez cet amour défendu Je suis mariée Voyez l'anneau qui brille Mes mains tremblent Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées A un endroit оù les chevau-légers Savaient qu'un écho répondait de la rive On ne se lassait point de l'interroger Il у eut des questions si extravagantes Et des réponses tellement pleines d'à-propos Que c'était à mourir de lire Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble Sur nous l'еаu se refermera Mais vous pleurez et vos mains tremblent Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour Les amoureux s'entr'aimaient Et par couples aux belles bouches Marchaient à distances inégales Les morts avaient choisi les vivantes Et les vivants Des mortes Un genévrier parfois Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air En soufflant les joues creuses Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne
Dans la ville Notre troupe diminua peu à peu On se disait Au revoir A demain A bientôt Beaucoup entraient dans les brasseries Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour у acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts Qui s'en allaient tout droit Au cimetière Sous les Arcades Je les reconnus Couchés Immobiles Et bien vêtus Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas De ce qui s 'était passé Mais les vivants en gardaient le souvenir С'était un bonheur inespéré Et si certain Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement Que ceux qui la veille encore Les regardaient comme leurs égaux Ou même quelque chose de moins Admiraient maintenant Leur puissance leur richesse et leur génie Car у a-t-il rien qui vous élève Comme d'avoir aimé un mort ou une morte On devient si pur qu'on en arrive Dans les glaciers de la mémoire A se confondre avec le souvenir On est fortifié pour la vie Et l'on n'a plus besoin de personne

Дом мертвых[39]

вернуться

39

Это поэтическое воспоминание о путешествии Аполлинера в марте-апреле 1902 г. в Мюнхен было сначала написано и в 1907-м опубликовано как «фантазия в прозе» под названием «Книга записи умерших». Впоследствии Аполлинер разбил текст на строки, попытавшись в одном стихотворении совместить свободный и рифмованный стих, — прием, который он использовал и в ряде более поздних произведений, — в то же время настаивая на том, что «Дом мертвых» — это «поэтическая проза» (А, 77).