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Mais…

Mais elle ne parvenait pas à éliminer en elle cette impression lancinante : la passion de son mari, cette obsession, ces recherches insensées prenaient petit à petit possession de son esprit, le dévoraient, faisaient de lui un autre homme.

Non ! Muriel se fit violence. Elle raisonnait comme une gamine jalouse. Son homme aimait la plongée sous-marine et les mystères. Voilà tout ! Sa fille aussi d’ailleurs, et Muriel avait simplement du mal à accepter d’être mise hors jeu de leur complicité. Après tout, c’était elle qui refusait de s’initier à la plongée.

Oui, Marine était ravie, elle, de la passion de son père. Radieuse. Elle finissait d’enfiler sa combinaison de Néoprène noire et mauve. Ils se chargèrent du matériel de plongée ; Muriel suivit Marine et son père à quelques pas du 4x4, vers une petite crique, une sorte de petite plage en pente douce formée artificiellement par de gros blocs de pierres.

Au départ, devant cette idée de plongée dans la Seine, Muriel avait surtout eu peur des bateaux : la Seine était un fleuve navigable. Y plonger sans autorisation était sans doute interdit, à cause des paquebots.  Mais dans cette crique, il n’y avait objectivement aucun danger.

Pourtant, loin de la rassurer, ce pressentiment morbide se faisait de plus en plus fort, cette impression oppressante qu’un drame allait se jouer, ici dans les minutes à venir.

Cela n’avait aucun sens.

— On ne sera sous l’eau que quinze minutes, vingt au plus, précisa son mari calmement. Ça ne sera pas long.

Muriel avait l’habitude d’attendre sur la rive, d’observer la surface de l’eau et de guetter avec angoisse qu’un visage la perce. Elle ne plongeait pas. Elle nageait peu, ce n’était pas son truc. Elle préférait marcher, randonner.

— Soyez prudents, murmura-t-elle.

Son mari ne releva pas. Marine non plus, déjà concentrée sur les infimes détails ressassés tant de fois par son père. Le souffle, les gestes calmes, le langage des mains sous l’eau.

L’espace d’un instant, Muriel se sentit à nouveau jalouse de cette complicité qui se nouait entre sa fille et son père, de sa capacité à l’enchanter à travers ses histoires, ses aventures, ses risques maîtrisés.

Muriel sourit doucement aux deux plongeurs.

Non, elle n’était pas jalouse. Elle était à sa place, elle aussi. A sa place quand elle tendrait la serviette chaude à sa fille qui sortirait grelottante de la Seine, qu’elle la serrerait dans ses bras, qu’elle écouterait ses récits enthousiastes. A sa place de mère. Ici, exactement, sur la rive.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda son mari.

Muriel se rapprocha de lui :

— Vous attendre… me promener un peu peut-être.

Elle l’embrassa furtivement sur les lèvres et ajouta :

— Tu as toujours le don de découvrir des petits paradis pour la promenade.

Elle les regarda s’enfoncer dans l’eau morte avec une angoisse qu’elle ne put réfréner.

Lorsque la Seine se referma sur eux, elle leva les yeux, malgré elle. Deux hérons cendrés se poursuivaient, dans un vol gracieux, rappelant les courbes élégantes du pont de Tancarville.

Les instants qui suivirent lui parurent une éternité. Muriel n’eut pas le courage de rester sur la berge. Elle décida de marcher un peu, de s’enfoncer quelques instants dans le marais, observer de plus près les oiseaux, tomber peut-être nez à nez avec une vache des Highlands ou un cheval de Camargue, réintroduits dans le marais depuis quelques années.

Perdue dans ses pensées, concentrée sur son instinct de protection de mère et d’épouse, elle n’entendit pas les détonations, au loin, vers les tourbières.

La chasse était ouverte depuis moins d’une semaine. Mais Muriel n’en savait rien.

* * *

En ressortant de l’eau, la première chose que fit Marine, comme toujours, fut de chercher sa mère des yeux. Elle scruta la berge pour apercevoir sa silhouette rassurante.

Personne…

Marine se tourna vers son père : lui aussi cherchait Muriel des yeux.

Ils avancèrent doucement. La vase spongieuse qui faisait office de plage rendait malaisée leur progression. Ils ôtèrent leurs palmes et parvinrent sur la berge.

— Maman n’est pas là ? demanda Marine.

— Elle est partie se promener, la rassura son père. Elle va revenir tout de suite. En priorité, il faut nous sécher et nous rhabiller.

Marine fut déçue. Dans son souvenir, toutes les fois qu’elle avait plongé avec son papa, sa maman était là, sur le bord, à l’attendre avec un grand sourire, une serviette épaisse, une bouteille d’eau fraîche quand il faisait trop chaud.

Pas ce matin.

Elle n’eut plus trop l’occasion de réfléchir dans les instants suivants. Son père tira avec énergie la fermeture Eclair de sa combinaison. Marine détestait ce moment. Enlever la combinaison, c’était comme vous arracher une seconde peau, surtout celle des bras et des jambes. Son papa tira sur le Néoprène, plus fort, plus brutalement que ne le faisait maman d’habitude. Marine se fit la réflexion que cela lui avait fait moins mal, finalement. Elle ne se plaignait jamais quand elle était avec son papa.

Elle se retrouva enfouie dans une immense serviette.

— Rhabille-toi vite ! ordonna son père.

Marine ne se le fit pas dire deux fois. Il faisait vraiment très froid ! Rien à voir avec la Corse. Elle attrapa ses habits pendant que son père se changeait. Elle commençait à se réchauffer. Elle enfila son pull et n’oublia pas de poser sur sa tête un bonnet de laine écru à fleurs mauves. Marine se souvenait des conseils de sa maman : toujours se couvrir la tête en sortant de l’eau, toujours quand il fait froid.

Et il faisait froid ! De plus, Marine aimait bien ce bonnet dont elle avait elle-même choisi la laine et la couleur, avant que sa maman ne le lui tricote. La même laine que celle du pull que portait maman.

Maman ?

Où était-elle passée ? Que faisait-elle ?

Son père était en train de ranger les bouteilles et les combinaisons dans le coffre. Marine s’avança pour regarder la Seine. On voyait bien les deux ponts maintenant.

Soudain, quelque chose d’étrange dans le paysage troubla Marine, quelque chose d’anormal, de différent. Elle réfléchit mais n’arriva pas à trouver ce qui clochait.

Le coffre du 4x4 claqua. Son père avait terminé. Une lueur traversa l’esprit de Marine.

Les oiseaux !

Il n’y avait plus aucun cri d’oiseau ! Il n’y avait plus aucun oiseau, ni sur l’eau de la Seine, ni sur les arbres. Seuls quelques-uns, très loin, dans le ciel.

Pourquoi ?

Marine jeta un regard un peu inquiet vers son père. Il lui renvoya un sourire rassurant. Il était habillé. Il lui tendit sa large main :

— On va à la rencontre de maman ?

Ils entendirent à peine la détonation. Ce fut surtout l’envol de corbeaux freux, juste au-dessus de leur tête, qui les surprit.

— C’était quoi ? demanda Marine.

— Des chasseurs, répondit son père avec douceur. La chasse doit sûrement être ouverte. Mais ne t’inquiète pas, ils sont loin. Ils ont des zones exprès pour eux dans le marais…

— Ils tirent sur les oiseaux ?

— Ils essaient…