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Alors, en tant que responsable de la sécurité sur l’Armada, il lui fallait marcher sur des œufs. Il allait devoir tout gérer en direct avec le préfet, tout le gratin des élus de Rouen. Un tel fait divers devait faire le moins d’éclaboussures possible… Il allait être en première ligne… Il aperçut les voiles blanches du Cuauhtémoc.

Il y était !

Il écarta d’un geste ferme le dernier rang de badauds :

— Police. Circulez.

Il franchit le ruban orange installé en hâte sur les quais autour du cadavre. Il commençait à avoir l’explication de l’encombrement sur les quais. En plus des touristes qui venaient assouvir une sorte de curiosité morbide, le cordon sanitaire autour du corps étendu occupait les trois quarts du quai, créant un goulot d’étranglement devant le Cuauhtémoc.

Le commissaire Paturel s’épongea le front. Il jeta un coup d’œil à la scène du crime et fut rassuré. Ses deux principaux adjoints, les inspecteurs Colette Cadinot et Ovide Stepanu, étaient déjà en place.

Colette Cadinot vint la première à la rencontre du commissaire, visiblement rassurée par l’arrivée de son patron :

— Bonjour Gustave. Enfin... On t’attendait.

L’inspectrice jeta un coup d’œil appuyé à sa montre. Le commissaire ne releva pas l’allusion à son retard. Il n’allait tout de même pas avouer à son inspectrice que lorsqu’on l’avait appelé à son domicile, vers six heures du matin, il était seul chez lui avec ses deux enfants en garde, et qu’il avait mis du temps pour trouver une solution, en l’occurrence l’appel à un réseau de baby-sitters sur internet. Avec ses enfants sur les bras en juillet, ce crime tombait particulièrement mal !

Le commissaire Paturel observa quelques instants l’inspectrice Cadinot. Plus elle vieillissait, plus elle ressemblait à Miss Ratched, l’infirmière de Vol au-dessus d’un nid de coucous. Une petite femme stricte au regard clair. Le commissaire la connaissait depuis près de trente ans. Difficile de croire, à la vue de cette quinquagénaire raidie, qu’elle avait été jeune, séduisante et presque drôle à son début de carrière. Depuis, la longue lutte de ce petit bout de femme pour faire sa place dans la police l’avait rendue sérieuse et aigrie. Pourtant, le commissaire Paturel l’aimait bien. Une longue complicité les unissait. Il reconnaissait de plus qu’elle était une collaboratrice intègre, efficace, précise. Un peu fatigante sur les bords, certes, mais une sacrée professionnelle, sur laquelle il savait pouvoir compter. C’était bien là le principal.

— Faites-moi reculer toute cette foule, commanda le commissaire.

Une dizaine d’agents de police en uniforme tenta de faire reculer, sans grand succès, les badauds.

— Colette, tu me fais le point ? continua Paturel d’une voix suffisamment basse pour que les détails ne sortent pas du cordon sanitaire.

— O.K. On est là depuis une heure environ. C’est un peintre amateur qui a trouvé le corps, à 5 h 45. Un certain Maxime Cacheux. Il travaille à la Chambre des comptes. On est en train de l’interroger, mais il n’y aura rien à tirer de ce côté-là.

— Et la victime ?

— On l’a identifiée. Ce n’était pas difficile. Il avait ses papiers sur lui. C’était une petite vedette locale.

Elle consulta ses notes et lut :

— Carlos Jésus Aquileras Mungaray. Matelot depuis cinq ans sur le Cuauhtémoc. Un des cadres du voilier, après y avoir été cadet il y a quatre ans. D’après ce qu’on sait, il appartient à une famille mexicaine influente. On a lancé des recherches de ce côté-là. Le capitaine du Cuauhtémoc se charge de prévenir la famille. Apparemment, Mungaray était une sorte de tête brûlée. Il se faisait surnommer Aquilero. C’était un pilier des soirées rouennaises, le genre play-boy, casse-cou… Il y a une semaine, il s’était amusé à plonger dans la Seine au large de Quillebeuf, du haut du mât du Cuauhtémoc, pour fêter son arrivée sur l’Armada…

Toutes ces informations rassuraient le commissaire. La victime était un séducteur invétéré, un provocateur. Il avait sans doute dû tirer un peu trop sur la corde face à un rival éméché. Il jeta un coup d’œil sur le drapeau mexicain qui flottait sur le Cuauhtémoc. Venir de si loin pour se faire assassiner bêtement au petit matin…

— Et le meurtre, continua le commissaire. Quels détails ?

— Mungaray a passé la soirée en ville hier, avec d’autres marins du Cuauhtémoc. Ensuite, ils sont allés danser à la Cantina, jusqu’à environ deux heures du matin. D’après les premiers témoignages, on l’aurait vu partir au bras d’une blonde que personne n’a encore pu identifier.

— Et après ?

— Rien. Rien avant que le peintre ne trouve le corps… Un objet tranchant en plein cœur. Sans doute un poignard, mais il n’y aucune trace de l’arme du crime près du corps…

Le commissaire observa les rangs serrés de badauds agglutinés à dix mètres, dont le cordon de policiers parvenait simplement à limiter la progression.

Il réfléchit un instant.

Peut-être que couper complètement les quais, pour quelques heures, le temps de l’enquête, serait la meilleure solution. Il pensa immédiatement aux implications d’une telle initiative. Les protestations, les plaintes. Peut-être pourrait-on trouver une sorte de déviation pour les touristes.

Il soupira.

Il n’avait pas le temps. Il fallait agir au plus vite. Dans une heure, peut-être moins, la police aurait vidé les lieux et embarqué le cadavre. Faire maintenir la foule à bonne distance par un cordon de policiers était sans doute la meilleure solution. C’était le plus souvent comme cela que l’on gérait un accident sur une voirie, il suffisait de travailler rapidement. Les journalistes n’allaient pas non plus tarder à rappliquer. Ils étaient peut-être même déjà là. Mais le commissaire Paturel savait également qu’il ne devait prendre aucun risque, qu’il devait laisser la police scientifique faire son travail. Il devait respecter scrupuleusement toutes les étapes, même si les circonstances étaient exceptionnelles. Si jamais l’affaire se compliquait, il serait le premier à sauter en cas d’oubli dans la procédure.

— Et toi Colette, tu penses quoi de tout ça ? demanda Paturel.

L’inspectrice répondit avec une précision clinique :

— Si on fait abstraction de l’Armada, des touristes, de la pression que tout cela va générer, je dirais qu’on a affaire à un vulgaire fait divers. Une bagarre qui tourne mal.

— On a mesuré le taux d’alcoolémie de la victime ?

— C’est en cours. Mais selon les témoignages, il avait bu plus d’une dizaine de bières au cours de la soirée.

Le commissaire afficha un sourire de soulagement. Tout ceci allait se résoudre rapidement. Il tourna la tête et remarqua qu’un cadet se hissait sur la martingale du Cuauhtémoc pour mettre en berne le drapeau vert, blanc et rouge du voilier mexicain.

Déjà !

Il se retourna vers l’inspectrice.