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— Tout ça va dans ton sens, Colette. Mungaray avait-il de l’argent ? On lui a volé quelque chose ?

— Visiblement, non. Il avait juste quelques euros sur lui…

— Mouais… Il faut retrouver cette fille. Cette fille blonde. C’est elle la clé. Sans faire de psychologie de bazar, je verrais bien une affaire de cœur qui a mal tourné. Le beau Sud-Américain tourne la tête d’une jeune fille et l’entraîne dans un coin sombre. La belle avait un amoureux local qui n’apprécie pas trop cette concurrence déloyale. Il suit Mungaray et sa conquête. L’explication tourne mal… Ça te semble plausible, Colette ?

— C’est possible…

Le commissaire Paturel sentit, au peu d’enthousiasme de l’inspectrice, qu’il lui manquait encore un certain nombre d’éléments dans cette affaire. Colette Cadinot ne lui avait pas encore tout dit. Il posa une question qui lui semblait anodine.

Elle ne l’était pas.

— On a une idée de l’heure de la mort ?

Colette Cadinot respira plus lentement. Paturel perçut immédiatement qu’il y avait un problème.

— Le légiste est en train de travailler dessus, répondit lentement l’inspectrice. D’après lui, la mort a été instantanée. Elle remonte à un peu plus de deux heures du matin. Mais il va affiner…

Le commissaire tiqua :

— Deux heures du matin ? Et on a retrouvé le corps à six heures ?

Il jeta un coup d’œil aux quais bondés. Une tension montait en lui. Cette affaire prenait une mauvaise tournure. Il hurla à l’encontre des policiers qui faisaient ce qu’ils pouvaient :

— Mais faites-moi reculer cette foule, nom de Dieu ! Ils vont finir par nous piétiner !

Il se retourna vers Colette et continua, un peu calmé :

— Entre deux et six heures du matin, il est impossible que personne n’ait remarqué le corps sur les quais. Il y a forcément eu du passage toute la nuit ! Le légiste est vraiment sûr de son diagnostic ? Mungaray n’a pas pu être seulement blessé, puis avoir tenté de se traîner jusqu’au Cuauhtémoc ?

Colette Cadinot secoua la tête :

— Il est formel. Le coup a été mortel. Un peu après deux heures du matin.

— Merde ! Tu sais ce que cela signifie, Colette ?

— Oui, répondit l’inspectrice avec flegme. Que Mungaray a été tué ailleurs, et ramené seulement ensuite, quatre heures plus tard, à proximité du Cuauhtémoc. C’est d’ailleurs ce que les experts semblent confirmer. Mungaray n’a pas été tué sur les quais… Du coup, l’hypothèse du crime passionnel dans la panique se complique un peu…

— A voir, se rassura le commissaire. A voir. Le meurtrier a pu vouloir cacher le corps. Le ramener au Cuauhtémoc. Il y a sans doute une explication rationnelle.

— Il y en a toujours une…

Le commissaire toussota. Il dévisagea un type qui tentait de prendre une photo entre deux uniformes et se défoula sur lui :

— Les photos sont interdites ! Encore une et je vous confisque l’appareil.

L’homme se recula sans protester. Le commissaire s’épongea le front :

— O.K. Bon, que les légistes se magnent de faire leur travail. Il faut qu’on libère les lieux avant que ça tourne à l’émeute. Je vais contacter également la police scientifique nationale pour l’examen du corps. ADN et tout le tintouin. On ne va prendre aucun risque.

Le commissaire s’avança et se pencha sur le corps étendu du jeune marin. Divers policiers en civil s’affairaient, équipés de matériels sophistiqués, passant une lampe polylight pour repérer d’éventuelles empreintes digitales, attrapant le moindre cheveu à l’aide de pincettes minuscules et les déposant dans des petits sachets, recueillant à l’aide d’une sorte de long Coton-Tige le sang sur le goudron du quai.

Pas étonnant que le public se bouscule pour observer la scène !

Les Experts, en live !

Le commissaire se retourna, énervé, et interpella un autre badaud qui tentait de s’approcher pour prendre un cliché :

— La foire Saint-Romain, c’est sur l’autre rive !

Le touriste recula sans demander son reste.

Une main se posa sur l’épaule du commissaire. Paturel se retourna et reconnut Ovide Stepanu, le second inspecteur qu’il avait dépêché sur l’affaire. D’origine roumaine, l’inspecteur Ovide Stepanu était arrivé en France depuis une vingtaine d’années. Il était un flic remarquable, doté d’une intuition et d’une imagination hors du commun.

Parfois trop.

Dans son dos, au commissariat de Rouen, courait sur lui le surnom d’inspecteur « Cassandre ». Orthodoxe pratiquant, superstitieux, il semblait parfois porter la misère du monde sur ses épaules et avait le don de prendre l’air désolé pour annoncer des catastrophes ou des explications les plus terrifiantes possibles aux crimes… qui bien souvent se révélaient exactes !

Cela n’aidait pas beaucoup à sa popularité. Pas plus que cette allure dépressive de vieux garçon, ses vêtements sans forme comme s’il n’en avait pas changé depuis sa venue de Roumanie, ou cette absence presque permanente de sourire. Le commissaire Paturel avait mis plusieurs années avant de comprendre pourquoi l’inspecteur Stepanu ne souriait jamais. Ce n’était aucunement une question de caractère. C’était simplement de la pudeur. Stepanu avait ramené de Roumanie une vilaine dentition. Avec le temps, il avait su développer des rictus qui lui permettaient d’exhiber le moins possible ses dents jaunies, notamment en évitant les sourires inutiles.

Le commissaire avait compris, contrairement à beaucoup de ses collègues, que l’inspecteur Stepanu n’était pas un type blasé faisant la tête en permanence, mais au contraire un brave type, brillant, timide et complexé.

— C’est la merde Gustave, attaqua l’inspecteur Stepanu, avec cette façon inimitable de parler sans bouger les lèvres.

Un type brillant, timide, complexé… et qui ne prenait la parole que pour vous annoncer des kilos d’emmerdements  !

Paturel soupira :

— Qu’est-ce qu’il y a, Ovide ?

— Je ne voudrais pas jouer les trouble-fêtes. J’ai écouté votre théorie, commissaire. Le crime passionnel… Je suis désolé, mais ça ne colle pas…

Le commissaire croisa le regard tout aussi abattu de l’inspectrice Cadinot.

— Il faut que je vous montre quelque chose, commissaire, continua Ovide Stepanu.

L’inspecteur se pencha sur le corps du jeune marin mexicain, demanda à la police scientifique de faire un peu de place et commença à déboutonner la chemise du cadavre. Stepanu dénuda une épaule du corps inerte, puis, sans aucune gêne apparente, tourna légèrement le tronc pour dévoiler toute l’omoplate.

— Regardez.

Le commissaire et l’inspectrice se penchèrent. L’épaule, l’omoplate et le haut du dos d’Aquilero étaient couverts de tatouages. Ils observèrent avec plus d’attention. Ils reconnurent distinctement quatre animaux : une colombe, un crocodile, un tigre et un requin. Les tatouages étaient sobres, les traits des animaux précis.

— Et alors ? demanda le commissaire. Où est le problème ? Ça doit être courant, les tatouages chez les marins. Non ?

— Ce n’est pas cela le problème, Gustave, continua Ovide sans se départir de son attitude de croque-mort.

Il dénuda encore un peu plus le dos du marin. Un cinquième tatouage apparut.

Mais celui-ci était méconnaissable !

Le tatouage était brûlé. La peau du cadavre, à l’endroit exact du cinquième tatouage, cloquait atrocement et commençait à se disloquer en lambeaux.

Colette Cadinot détourna les yeux. Le commissaire déglutit.