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Pierre avait la tête penchée sur le côté. Visiblement, il était à court de réplique. Elle haussa les épaules.

— Enfin, ça n’a pas marché. Je ne suis pas tombée enceinte. (Elle regarda quelques instants le plafond et prit une seconde inspiration.) Tout ce que j’ai gagné à ce petit jeu, c’est une bonne blennorragie. (Elle poussa un profond soupir.) Je suppose que j’ai eu de la chance de ne pas choper le sida. Bon Dieu ! Ce que j’ai pu être bête !

Pierre avait l’air choqué. Ils avaient déjà couché ensemble deux ou trois fois.

— N’aie pas peur, lui dit Molly en voyant son expression. Je suis complètement guérie, grâce à Dieu. J’ai passé tous les tests après le traitement à la pénicilline. Je n’ai plus rien. Mais c’était stupide de faire ça. Enfin… J’avais tellement envie d’un bébé.

— Pourquoi as-tu laissé tomber ?

Elle baissa les yeux. D’une voix à peine audible, elle reprit :

— La blenno m’a ravagé les trompes de Fallope. Je ne peux plus tomber enceinte par la méthode habituelle. Si je veux avoir un enfant un jour, il faudra que ce soit par fécondation in vitro. Et ça coûte cher. Environ dix mille dollars par tentative, la dernière fois que je me suis renseignée. Mon assurance médicale ne couvre pas ce cas dans la mesure où mes trompes de Fallope ne sont pas bouchées de manière congénitale. Mais je mets tout ce que je peux de côté.

— Oh ! fit Pierre.

— Je… J’ai pensé qu’il valait mieux que tu saches.

Sa voix n’était plus qu’un filet à peine audible. Elle haussa de nouveau les épaules et ajouta :

— Je suis désolée.

Pierre regarda sa portion de pizza qui refroidissait. Distraitement, il prit une lanière de poivron dans ses doigts. Sa moitié n’était pas censée en avoir, mais un morceau s’était égaré sur une de ses parts.

— Je ne dis pas que ça résout tous les problèmes, déclara-t-il, mais je suis assez conventionnel, dans ce domaine, pour penser qu’un enfant doit avoir un père et une mère.

Elle le regarda dans les yeux.

— C’est ce que je pense aussi, dit-elle.

À quatorze heures, Pierre entra dans le bâtiment principal du programme Génome humain. À sa grande surprise, il tomba au milieu d’une fête. La réserve habituelle de gâteaux de Joan Dawson ne suffisant apparemment pas, quelqu’un était allé acheter des nachos et des allumettes au fromage ainsi que quelques bouteilles de champagne.

Dès que Pierre arriva, l’une des généticiennes présentes, Donna Yamashita, lui tendit un verre.

— Qu’est-ce qu’on arrose ? cria Pierre pour couvrir le bruit.

— Ils ont finalement trouvé ce qu’ils voulaient sur Hapless Hannah[4], lui dit Yamashita avec un grand sourire.

— Qui est Hapless Hannah ? demanda Pierre.

Mais Yamashita s’était déjà éloignée pour accueillir quelqu’un d’autre. Pierre s’avança vers le bureau de Joan. Elle avait un liquide brun dans sa coupe de champagne. Probablement une boisson de régime. En tant que diabétique, elle n’était pas censée boire d’alcool.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Pierre. Qui est Hapless Hannah ?

Joan le regarda en souriant.

— C’est le squelette néandertalien que nous a prêté l’université hébraïque de Givat Ram. Le Dr Klimus essayait depuis des mois d’en extraire l’ADN. Aujourd’hui, il a enfin réussi à obtenir un échantillon complet.

Le patron en personne s’était rapproché d’eux. Pour une fois, son visage couperosé arborait un grand sourire.

— C’est vrai, dit-il en jetant un regard oblique à un petit homme joufflu que Pierre savait être un paléontologue de l’UCB. Maintenant que nous avons de l’ADN néandertalien, nous allons pouvoir travailler scientifiquement sur les origines de l’homme au lieu de nous contenter de suppositions.

— C’est magnifique, répondit Pierre d’une voix assez forte pour couvrir le brouhaha qui régnait dans le petit bureau. Quel âge a le squelette ?

— Soixante-deux mille ans, déclara Klimus d’un ton triomphal.

— Et l’ADN ne s’est pas dégradé pendant tout ce temps ?

— C’est ce qu’il y a de stupéfiant dans le site où Hapless Hannah a été découverte. Elle est morte dans une caverne qui l’a complètement isolée. C’était une authentique femme des cavernes. Les bactéries aérobies enfermées avec elle ont consommé tout l’oxygène de la caverne, ce qui fait qu’elle a passé les soixante mille dernières années dans un milieu qui en était totalement dépourvu. Par conséquent, ses pyrimidines ne se sont pas oxydées et nous avons pu récupérer les vingt-trois paires de chromosomes.

— Sacrée chance, dit Pierre.

— En effet, approuva Donna Yamashita, qui venait de réapparaître comme par magie à côté de lui. Hannah pourra répondre à de nombreuses questions que nous nous posons, en particulier celle de savoir si les néandertaliens constituaient une espèce distincte – Homo neanderthalensis – ou une sous-espèce de l’humanité moderne – Homo sapiens neanderthalensis –, et par conséquent…

Klimus lui coupa la parole :

— Nous pourrons surtout dire si les néandertaliens sont morts sans laisser de descendance ou s’ils se sont croisés avec les hommes de Cro-Magnon, en mêlant leurs gènes aux nôtres.

— Extraordinaire ! fit Pierre.

— Naturellement, reprit Klimus, de nombreuses questions demeureront en suspens sur l’homme de Neandertal. Des détails sur son aspect physique, sa culture, etc. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui est un grand jour !

Il tourna le dos à Pierre. Dans une manifestation d’exubérance qui ne lui ressemblait pas, il tapota le bord de sa coupe de champagne avec son stylo Mont-Blanc et cria :

— Écoutez-moi, tout le monde, s’il vous plaît ! Je propose de porter un toast à Hapless Hannah, qui va bientôt devenir la néandertalienne la plus célèbre de l’histoire !

9

Le labo de Pierre ressemblait à tous ceux qu’il avait connus : un tableau de classification périodique des éléments sur un mur, un exemplaire plus qu’usagé de la « Bible en caoutchouc[5] » ouvert sur une table, des rangées d’éprouvettes et de récipients en verre sur leurs supports, une petite centrifugeuse, une station de travail UNIX avec des Post-it sur les pourtours des moniteurs, une cabine de douche d’urgence, en cas de renversement accidentel de produit chimique, une zone de travail vitrée avec hotte aspirante. Les murs avaient cette horrible couleur beigeasse typique des locaux universitaires. Sol carrelé, néons au plafond.

Pierre travaillait à l’une des paillasses qui bordaient les quatre murs de la salle. Il étudiait des autoradiographies d’ADN placées sur un panneau lumineux incorporé au plan de travail de la paillasse. Il portait une blouse blanche de laboratoire, mais elle n’était pas boutonnée jusqu’en haut, de sorte qu’on apercevait son T-shirt aux couleurs du Carnaval d’hiver de Québec. Le jour où un étudiant américain avait pris le bonhomme du T-shirt pour le bonhomme de guimauve géant, Mr Stay-Puft, de SOS Fantômes, Pierre avait été horriblement choqué. Cela revenait à confondre le colonel Sanders avec Oncle Sam.

Burian Klimus apparut à l’entrée. Il avait l’air particulièrement contrarié. À côté de lui se tenait une jolie Asiate dont les cheveux noirs avaient été crêpés de manière à former un halo autour de son visage.

— C’est lui, indiqua Klimus.

— Mr Tardivel, déclara la jeune femme, je m’appelle Tiffany Feng, et je représente la compagnie d’assurances Condor Health.

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4

Hapless Hannah est un nom imaginaire, qui pourrait se traduire par « l’infortunée Hannah ». (N.d.T)

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5

Rubber Bible. Livre de référence en physique et chimie surnommé ainsi par ses utilisateurs. (N.d.T.)