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CHAPITRE X

À PIED (D’ŒUVRE), À CHEVAL ET EN VOITURE

Vous voyez le petit tabac-porte-peau sur la gauche quand on sort de Nazareth ? Celui qui s’appelle « Ceint des restes de l’enfant Josué » ? Vous pouvez pas vous gourer : il est peint en rouge et on y parle hébreu. Ça y est, vous le remettez ? Eh bien, c’est là que nous stoppons pour demander le chemin du kibboutz Youde-Labboûm après être descendus du bus d’Haïfa.

Nous sommes accueillis par un taulier coiffé d’un chapeau rond tout plein rigolo qui nous considère avec tellement de méfiance qu’on a envie de lui dire que nous sommes les cousins germains de Bernard Afate manière de lui justifier un grand coup la suspicion.

M’est avis qu’il fera une déposition en règle lorsqu’il lira notre signalement dans la presse du soir, car l’affaire de la vedette israélienne kidnappée par des Français fera du bruit, moi je vous le prédis.

Sans doute, et même probablement, vous devez nous trouver bien intrépides de nous aventurer ainsi à travers le pays, alors que dans un tout petit peu moins de pas très longtemps des escouades de flics se lanceront à notre assaut. Ma tactique, en fait, est aussi simple que hardie (comme disait Stan Laurel) : rallier le kibboutz si prospère de Youde-Labboûm, y contacter le pote à Horry Zonthal, lui transmettre le message du malheureux et, ayant ainsi gagné sa confiance, lui demander aide et protection. Mettre sur le compte du but sacré de cette remise de message notre empoignade avec les gens de la vedette. L’essentiel est que nous parvenions à destination avant de nous faire alpaguer.

Le monsieur du tabac-popote-pot se gratte le ventre par une échancrure de sa chemise, en se demandant qui nous sont-ce et le pourquoi t’est-ce qu’on débarque chez lui comme d’abominables goys-scouts en chemise pour Jérusalem.

Il m’écoute la question, crache un pépin de figue coincé depuis Rosh Hashana[26] dans une dent chicoteuse et grommelle :

— Où sont vos carabines à répétition ?

Dominant mon étonnement, je lui réponds que nous n’en avons point. Dès lors, il hausse les épaules et déclare dans un anglais teinté de yiddish que je ne vous retranscrirai pas pour différentes raisons dont la première, et peut-être la principale, est que je ne parle pas le yiddish :

— Quand on ne l’a ni tank ni fusil à la répétition ce ne l’est pas la peine de l’aller au kibboutz prospère Youde Labboûm !

— Pourquoi ? insisté-je.

— Parce que, me répond cet homme de biens (il fait tabac-porte-pot-marchand de fonds), parce que le kibboutz Youde Labboûm est le plus exposé de tous les kibboutz d’Israël. Au point que là-bas il est inutile de retourner la terre pour la cultiver. Au moment des labours on fait courir en zigzag, et à travers champs, des prisonniers habillés en soldats israéliens. Avant qu’ils soient touchés, le sol est prêt pour les semailles. Il ne reste plus alors qu’à organiser un barrage d’artillerie pour pouvoir semer tranquille.

— La guerre rend ingénieux, déclaré-je.

— C’est évident et rémunérateur, se radoucit l’Israélien d’autant que c’est nous qui vendons les balles aux Jordaniens sous licence française par le truchement de notre bureau du Caire, l’agence Martin-Durand. Vous savez que le pamplemousse périclite. Sans la guerre notre économie ne pourrait pas tourner[27].

Lesté de ces précieux renseignements, j’insiste toutefois pour connaître le chemin du kibboutz et le meilleur mode de locomotion pour s’y rendre.

— Vous prenez la route de gauche et vous faites du tank-stop, répond le tenancier.

À trois, j’ai idée que ça va être duraille ; pas vous ?

Ça l’est !

On a beau adresser des gestes pleins de détresse aux cultivateurs de passage, pas un qui stopperait sa chenillette pour nous prendre à son bord. Ils foncent les yeux farouchement braqués sur la route, tandis que leurs valets de ferme somnolent derrière la mitrailleuse jumelée équipant chaque véhicule.

Le soleil cogne ferme. On joue embrase-moi de partout, dans la région. Pour trouver un peu d’ombre, faudrait un spéculum. PI 3-1416 marche accrochée à mon bras. Elle est harassée, cette beauté. Est-ce une conséquence de sa grande fatigue ? Toujours est-il qu’elle devient nettement plus liante avec moi. Ainsi tenez, tout à l’heure, tandis que Béru s’isolait derrière un cacté, je lui ai glissé la main dans le corsage en lui roulant une pelle qu’avait rien de mécanique, eh bien, elle n’a pas protesté. C’est signe qu’elle s’amadoue, non ?

À propos d’amadou, on va cramer si la grosse Mazda au bon Dieu continue à briller de la sorte. Sans chapeau, c’est téméraire, la traversée de ce désert déguisé en potager par le génie juif. Je sors mon mouchoir pour confectionner une coiffure à miss Mahatma. Dans le mouvement je fais choir de ma poche un bifton de dix dollars. Sur le moment je ne m’en aperçois pas. Ce qui m’alerte, c’est un coup de frein puissant. Une grosse bagnole blindée qui survenait en surgissant, vient de stopper pile devant la coupure. Deux hommes en bondissent, qui se jettent sur le billet of bank. Ils le bichent simultanément.

— Je l’ai vu le premier ! dit l’un.

— Je l’ai touché le premier, répond l’autre !

— C’est moi qui ai arrêté l’auto pour le ramasser, affirme le premier.

— De toute façon j’aurais sauté en marche ! assure le deuxième.

Ils élèvent la voix :

— Gonif !

— Kugel !

— Shlemiel !

— Shmattas !

— Shmegeggy !

— Shmendrick ![28]

C’est vous dire si le ton monte et la preuve qu’ils ne se font pas de cadeau.

Soudain, Bérurier qui s’est aventuré dans un champ de chéquiers géants se met à crier :

— Venez par ici, y’en a plein !

Ce clamant, il brandit un billet !

La ruée !

In english, the rush !

Parant au plus pressé, les deux mecs déchirent en deux le bifton qu’ils se disputent, remettant à plus tard le gros problème de sa réunification, et se précipitent dans la plantation de chéquiers (à feuilles caduques). On dirait deux épagneuls (pas tellement bretons) sur la trace d’une mère macreuse. Ventre à terre, dans tous les sens !

— Allez, en route ! lance alors le Gravos en se juchant à bord de la voiture blindée.

Je balance un court instant. Mais après tout, traqués pour traqués, nous pouvons aussi bien ajouter le délit de vol au précédent, n’est-ce point ? Nous déhottons sans même que nos deux chercheurs de biftons relèvent la tête.

— Qu’est-ce qui cogne commako ? s’inquiète Pépère, lequel vient de se tirer une flemme en ronflette magnétique sur écran large à l’arrière de la bagnole.

— Des balles ! dis-je.

— On est poursuivis ?

— Non : accueillis !

Je désigne les mamelons rocheux où des silhouettes hardies se dressent de temps à autre pour nous arroser.

— Y’a de l’ambiance pour les vendanges, dans ce pays, résume le Gros. Si j’entrave bien, ici la culture s’opère au moyen de l’artillerie. Pour les moissons, on est obligé de rappeler deux classes de réservistes ! Je me demande si c’est rentable. Me semble qu’un parking géant place Saint-Marc, à Venise, serait d’un meilleur rendement.

Ayant enregistré ces fortes paroles et admis leur bien-fondé, je franchis délibérément, et dans un nuage de poussière ocre, l’entrée du kibboutz.

Il ressemble à un cantonnement militaire, le kibboutz. Avec, en plus, quelque chose d’agricole.

Sous un gigantesque hangar les tracteurs et les bulldozers sont alignés comme pour un défilé quatorzejuillesque. Les mitrailleuses qui les équipent brillent dans la glorieuse lumière moyenne-orientale. Des tanks et des chenillettes[29], des canons légers, des tubes lance-torpilles, des rockets, des gadgets alternent avec les engins de culture. Sur une esplanade, un hélicoptère tout jaune et tout pales, attend qu’on le charge d’insecticide. Une effervescence étonnante emplit le camp de sa rumeur. Les garçons de ferme en combinaison léopard et au casque garni de feuilles de chèque fanées s’afferment dans un enclos où paissent des vaches cashères. Chaque bête est peinte de la même manière que les combinaisons. Leur camouflage est si parfaitement réussi que les vaches myopes essaient de brouter leurs compagnes, les prenant pour un morceau d’Oberland bernois.

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26

Premier jour de l’année liturgique. Mais ne vous laissez pas impressionner par ma culture, je cause pas casher hélas, j’ai simplement piqué ça dans un bouquin !

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27

Je sais, y’a une pléiade, et qui sait, peut-être une chiée de râleurs qui vont rameuter la garde, me réputer déconneur frappé de syphilis mentale. Je leur crache mes tréponèmes au visage en leur faisant respectueusement remarquer qu’une guerre qui dure est une guerre rentable !

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28

Je vous fournis ces insultes dans un ordre alphabétique parce qu’elles s’y trouvaient dans le bouquin dont je vous faisais allusion.

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29

Qu’y faut chérer la bobinette.