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Chkoumoun roule des yeux éperdus.

— Ma radio ! Mais je n’ai pas de radio à bord.

À mon tour de chiquer au petit groom noir de l’écran publicitaire.

— Pas de radio ! Mais, les ordres qui vous sont adressés ?

— Je vais les prendre sur place !

— Et…

— Oui ?

— En cas de S.O.S. ?

— J’écris !

O amertume ! O goût salé du désarroi ! O destin singulier ! (singulier parce que vieil « S » ennemi !). O Corse île d’amour que nous tinorossiait les amplis du passé ! Notre bonne fortune a voulu que nous soyons recueillis par un bateau non israélien, mais la mauvaise qui rôde toujours a fait que ce prestigieux porte-avions est privé de radio.

Impossible donc de prévenir le Vieux de ce qui se trame ! Si près du but ! Comme disait Kopa ! Je m’assois sur un sac de nœuds pour réfléchir dans le calme et dans la dignité. Il faut que je trouve une solution.

— T’as l’air contrit comme un qu’aurait emplâtré son grand-père à tâtons en croyant que c’tait la bonne ? remarque Béru, lequel est en train de dévorer un quartier de mouton gros comme ça. Tu devrais pavoiser, au contraire. On est peinards, il fait soleil, la vie est bonne à ramasser, non ?

— Je dois coûte que coûte alerter le Dabuche, Mec, et ces pommes à l’huile n’ont pas la radio. Or le temps urge, il est déjà sept plombes du matin…

— Pas en France ! objecte Sa Sérénité. T’as compté avec les fuselages horaires ? Y’a du décalage dans les oignons ent’ la France et Hisse-raêl, non ? P’t’être que ça joue dans not’ faveur ?

Sa remarque m’apaise. Effectivement il n’est encore que cinq heures of the morning in France. Maigre bénéfice, mais bon à enregistrer.

Bérurier arrache avec les doigts un quartier de bidoche capable d’assurer les calories de dix hindous pendant toute la durée de leurs vacances à Miami Beach. Il le contemple au soleil, comme un diamantaire examine un blanc-bleu de dix carats. Pour un véritable boulimique, la nourriture doit être admirée avant que d’être absorbée. Il l’engloutit enfin d’un puissant happement de requin dégustant la guitare d’un unijambiste.

— C’est quoi, en somme, ce barbu ? demande Pépère, la bouche pleine.

— Un porte-avions.

— Il doit porter des avions, pour lors ?

Je me lève d’un bond.

— Commandant ! hélé-je.

Chkoumoun qui a regagné la dunette : une cabine de bain juchée sur une estrade, réapparaît.

— Vous avez beaucoup d’appareils à bord ? m’enquiers-je.

Il renfrogne un peu.

— Un seul ! répond-il.

Il descend du praticable.

— L’ennui, me confie-t-il, c’est que personne ne peut s’en servir sur le Kelzob-Ketâ car on n’a pas pu embarquer le pilote : il avait les oreillons.

— Qu’est-ce, comme avion ?

— J’sais pas. Venez voir !

Il m’entraîne à l’arrière du bateau. Un hangar de bambou et de rafia s’y dresse. À l’intérieur se trouve un vieux Jodel 1925 déglingué.

— Superbe, hein ? demande fièrement le commandant.

— Le musée de l’aéronautique vous en proposerait une fortune, renchéris-je. Et… ça marche ?

— Comme un cadran solaire !

Sous ma bigoudène, y’a des ondes molles qui se congratulent. J’échafaude des trucs auxquels viennent s’adjoindre des machins. Et soudain, de cette voix déterminée qui tresse les poils des pubis féminins et décroche les stalactites des chéneaux, je déclare :

— Commandant, vous savez qu’un avion doit tourner très fréquemment, sinon il se gomme.

— Ah vraiment ?

— Tout ce qu’il y a de vraiment ! Ces semaines d’immobilité risquent de lui avoir été fatales.

— Grand Allah ! Mais si cet appareil est inutilisable, à mon retour je serai destitué ! lamente l’officier de marine.

Je pose sur son épaule hérissée de galons, la main de la compassion.

— Vous avez été bon pour nous, commandant, un proverbe français assure qu’un bienfait n’est jamais perdu. Permettez-nous de vous témoigner notre reconnaissance. Faites sortir cet appareil hors de son hangar. Il y a de l’essence dans le réservoir ?

— Le plein est fait !

— Fort bien. Nous allons vous l’entretenir, cet avion, faites-moi confiance. Béru !

Pépère se la radine avec ses bas-reliefs de mouton.

— Mouais ?

— Grimpe ! ordonné-je en lui montrant la carlingue.

— On gerbe ?

— Il est permis d’essayer. C’est risqué, car je me demande si cet ancêtre va pouvoir décoller. Mais nous devons sauter sur l’occasion.

« Commandant, déclaré-je. Nous allons exécuter un léger vol d’entretien au-dessus du Kelzob-Ketâ. Au péril de notre vie, je sais. Mais il importe de préserver le formidable matériel de guerre de votre glorieux pays. »

Pour toute réponse il éclate en sanglots.

À ma demande un aimable marin actionne l’hélice. Ce coucou, faut le démarrer à la manivelle, comme les tacots de jadis. Et pas chialer l’huile de coude. Contact ! Ça tousse ! Espoir ! Re-contact ! Le matelot soudanais suçant et o. Il se suspend à une pale de l’hélice. N’arrive pas à la débloquer. Ses potes, les matafs rangés de part et d’autre de la plage du porte-avions, l’encouragent en scandant :

— Hooooo hélice ! Hooo hélice !

Pour eux c’est du fin spectacle. Ils s’égosillent en rigolant. « Hooo Hélice ! » comme ça, pendant dix minutes, qu’à la fin, l’hélice se débloque, tellement sont intenses les efforts du courageux.

Ce dernier, on n’a pas le loisir de le complimenter. Vous pouvez pas imaginer un valdoche pareil, au moment que le moteur se déclenche. À cent mètres en l’air, au moins, il voltige, n’ayant pas lâché opportunément le bout de bois. L’homme canon ! Ou plutôt l’homme fusée ! Bzzoum ! Il file comme un dard dans le ciel bleu. Il tournoie en montant, puis, son apogée atteinte, il plonge dans l’eau, les pieds les premiers.

Une gerbe d’écume ! On a le temps de compter jusqu’à quarante-trois avant qu’il remonte à la surface.

Je perds pas mon temps à admirer les péripéties de son repêchage. Tous les gaz ! Une sauce noire, je fous ! Le Jodel clinquigne comme une paire de castagnettes.

— Cramponne-toi, Nestor ! lancé-je au Béru.

Mais ma voix, dans ce vacarme, n’est que soupir de mouche dans un meeting.

On part en cahin-cahotant. Tudieu, ce qu’il se déroule vite sous nos ailes, le plancher de la salle des fêtes de Noisy.

On l’a tout de suite fini ! C’est le vide… L’avion a une plongée du ventre. Je tire sur le manche. Un instant, très bref, mais qui me paraît interminable, j’ai la quasi-certitude qu’on va s’engloutir. Et puis non… Alors que nos roulettes doivent déjà effleurer les vagues, le zinzin se dresse, nez au vent. Il s’élève lentement, lentement. Je décris un léger arc de cercle. Sur le pont du Kelzob-Ketâ c’est le délire. On les voit tous qui gambadent et nous saluent de leurs maillots promptement ôtés.

Attendrissant dans le fond.

Mais c’est pas le tout, à présent s’agit de se repérer pour trouver la direction de Beyrouth.

CHAPITRE XIV

UN COUP DE POT… D’ECHAPPEMENT

J’sais pas si ça vous fait ça, à vous mais il y a des périodes où tout se met à carburer formidablement. Les gens., les choses, les événements semblent vous obéir comme des caniches dressés, si bien qu’en très peu de temps, oubliant les mouscaillades et les turpitudes, les sottiseries et les coups bas, on décrète que la vie est merveilleuse, huilée, dorée, et qu’elle tourne rond.

À partir de l’instant où notre vieux coucou est parvenu à s’arracher, on traverse une plage de félicité. Je pourrais vous résumer la chose en trois mots ; pourtant, n’étant jamais à court de bla-bla, j’userai de quelques phrases pour vous narrer la suite de nos pérégrinations. D’abord, c’est un vol de grand-père de famille jusqu’à l’aéroport de Beyrouth où je me pose sans histoires ni autorisation, mon zinc n’étant point pourvu de radio. Bol immense, le directeur de la police de l’air est un ancien pensionnaire de l’École de Police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or que nous avons fort bien connu et apprécié à l’époque où Béru y donnait des cours de maintien[41].

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41

Voir « le Standinge ».