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Ou de quelqu’un qui savait

Était-ce Mila qui lui avait envoyé la clé magnétique et la photo ? Elle avait vraiment eu l’air surprise quand il lui en avait parlé. Par ailleurs, elle vivait retirée du monde avec son fils depuis cette histoire. Même si elle avait entendu parler du suicide spectaculaire de Célia, il y avait très peu de chances pour qu’elle fût au courant de sa liaison avec Léonard Fontaine.

Alors qui ? Il avait en tout cas un coupable. Et c’était tout ce qui comptait pour l’instant. Le journal de Mila refermé, il était parfaitement conscient qu’il serait difficile, voire impossible, de traîner Fontaine en justice : le spationaute avait été blanchi par la justice russe. En outre, un type comme Fontaine n’était pas né de la dernière pluie. Ni, sans doute, quelqu’un de facilement impressionnable.

Il allait devoir se montrer plus rusé que lui. Rusé comme un diable. Car son adversaire l’était — au plus haut point. Il reposa le journal sur la couverture et sa nuque contre l’oreiller. Ses pensées le maintenaient éveillé. Il se sentait de retour, il se sentait vivant. Il avait enfin un combat à mener. Il lui tardait d’être le matin, et d’engager ce combat. Il regarda la lune souriante et la nuit inquiète par la fenêtre — et il sut qu’il ne trouverait pas le sommeil.

Acte 2

Oh, vous me faites tant de mal, Tant de mal, tant de mal ! Rien, rien. J’ai cru mourir… Mais cela passe vite.
Madame Butterfly

33.

Reine de la nuit

Elle ouvrit les yeux. Il faisait noir.

— Qui est là ?

— Chut !

— Madeleine, c’est toi ?

— Oui.

— Tu m’as fait peur !

— Ne parle pas si fort, Chris. Qui voulais-tu que ce soit ?

— Qu’est-ce que tu fais dans mon lit ?

— Chut… Ça ne te dérange pas si je dors ici, cette nuit ?

— Non.

— Merci, sœurette. Je t’aime, tu sais… Fais-moi un bisou… Tu peux te rendormir, maintenant.

— Pourquoi tu veux dormir ici ?

— Disons que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas dormi dans le même lit, toutes les deux, tu ne trouves pas ?… Et que ça me manquait… Pas toi ?

— C’est à cause de papa ?

— Hein ?

— C’est à cause de lui si tu dors ici ?

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Tu ne veux pas qu’il te trouve, c’est ça ?

— Chris…

— Je l’ai vu.

— Quand ?

— L’autre nuit.

— Tu as vu quoi ?

— Je l’ai vu entrer dans ta chambre.

— Chris, à qui d’autre tu en as parlé ?

— À personne !

— Chris, écoute-moi bien : tu ne dois pas en parler à maman, tu m’entends ? Jamais.

— Pourquoi ?

— Arrête de poser des questions, merde ! Et promets-moi, s’il te plaît.

— Je te le promets, Maddie.

— Papa dormait avec moi parce que j’avais fait un cauchemar, c’est tout.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Hein ?

— Tu pleures.

— Mais non !

— Alors, si je fais un cauchemar, je peux demander à papa de dormir avec moi aussi ?

— Chris, pour l’amour du ciel… Jamais, tu m’entends ? JAMAIS IL NE DOIT DORMIR AVEC TOI. Promets-le-moi.

— Mais pourquoi ?!

— Promets-le !

— D’accord… d’accord, je promets, Maddie…

— Si tu fais un cauchemar, tu viens me voir, d’accord ?

— D’accord.

— Bonne nuit.

— Bonne nuit, Maddie.

Elle ouvrit les yeux… Pour de bon, cette fois… Elle n’avait pas treize ans, mais trente-deux… La lumière du jour filtrait entre les rideaux et toutes les lampes de la chambre d’hôtel étaient allumées. Le bruit de la circulation à travers les vitres. Elle bâilla. Elle avait affreusement mal au crâne et au ventre. En fait, elle avait mal partout. Comme si un troupeau d’éléphants l’avait piétinée. Elle regarda le plafond un instant — puis elle baissa les yeux.

34.

Drame lyrique

 ???

Ce… ce n’est pas possible… ils n’ont pas… pu faire ça…

Qu’est-ce que… ?

Attends, Chris, attends. Ne regarde pas… ne regarde pas ça, ma vieille… Ou bien ça va te brûler la rétine et tu ne pourras jamais oublier cette image. Ne regarde pas. S’il te plaît.

Mais elle le fit. Elle regarda. Et son esprit se mit à hurler comme un téléphone déglingué. Une ligne directe avec le standard de la folie. Car c’était le seul mot pour qualifier ce qu’elle voyait. Démence. Déraison. Aberration.

Un pas de plus vers la sienne, de folie. Car c’était ce qu’ils voulaient, non ? Il était clair qu’ils ne manquaient pas d’imagination pour parvenir à leurs fins, ils avaient bâti autour d’elle un enfer qu’elle était seule à voir, un cauchemar subtil. En émergeant de son sommeil médicamenteux, elle s’était d’abord sentie vaseuse et elle s’était souvenue d’avoir fait un rêve affreux. Mais, à présent — en voyant les auréoles sur les draps, jaunes et durcies —, elle sut que le cauchemar était on ne peut plus réel. Son regard s’aventura au-delà et elle eut la sensation que son crâne se fendait en deux. Littéralement. Elle ne cria pas, ne pleura pas. Elle fut incapable de proférer un son. Mais son esprit, lui, hurla. Le cadavre d’Iggy… Il gisait entre ses jambes. Les yeux clos, débarrassé de sa collerette, il avait l’air endormi, mais la plaie à son cou ne laissait aucun espoir.

Autour d’Iggy, les draps étaient jonchés d’une montagne de minuscules bouteilles d’alcool décapsulées et vidées dans les draps, de cacahuètes, de canettes de bière vides, de chips et de tout ce que contenait un minibar, ainsi que la poubelle de la salle de bains : tampons démaquillants, cotons-tiges, mouchoirs en papier, cheveux… la vague d’immondices débordait sur ses orteils à elle. Elle les écarta brusquement, les agita comme si des scorpions grimpaient le long de ses jambes.

Elle se mit à trembler et à grincer des dents comme s’il faisait un froid de canard dans la chambre. Au bout de plusieurs minutes, elle sauta hors du lit et se précipita dans les toilettes pour vomir. Mais elle avait déjà restitué tout ce qu’elle avait dans le ventre au cours de la nuit et les spasmes de son ventre vide ne ramenèrent à la surface qu’un peu de bile mêlée de salive.