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— Des événements, répondit-elle.

— Tout est dedans ?

— Oui.

— Vous n’avez plus été spationaute après ça, n’est-ce pas ? Ils vous ont laissée tomber.

— On m’a fait comprendre que je n’étais plus la bienvenue. Apparemment, dénoncer un viol était presque aussi grave que de l’avoir commis. Le coup classique : est-ce que je ne l’avais pas un peu cherché, etc.

Il respira lentement.

— Il y a donc eu viol ?

— C’est plus compliqué que ça… Lisez, dit-elle. (Elle montra le journal.) J’ai votre parole que personne d’autre que vous ne posera les yeux sur ceci ?

— Je le répète, vous l’avez.

— Maintenant, si ça ne vous fait rien, j’aimerais aller lire une histoire à mon fils.

Il se leva, le journal à la main, sourit tout à coup.

— Quelle histoire ? demanda-t-il.

— Le Petit Prince.

— Mon étoile, ce sera pour toi une des étoiles, récita Servaz. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder. Elles seront toutes tes amies.

Elle lui jeta un long regard perplexe et amusé.

— Thomas, qui est son père ?

Derechef, le regard se durcit.

— Vous l’avez deviné, non ? C’est vrai qu’il lui ressemble…

— Il a refusé de le reconnaître ?

Elle hésita une demi-seconde, puis fit un signe de tête affirmatif.

— Pourquoi ?

— Lisez, commandant… Et maintenant, bonsoir.

28.

Intermezzo

Elle se déshabilla, se brossa les dents, passa un pyjama et retourna dans la chambre. Iggy dormait toujours sur le lit, ses yeux clos au fond de l’entonnoir. Une pâle lueur tombait de la porte-fenêtre. En s’approchant, elle vit que la lune lui souriait au-dessus du Capitole. Elle se demanda ce que faisait Max en ce moment même, s’il dormait sur son bout de trottoir, au milieu de ses cartons et de ses affaires.

La seule compagnie qu’il te reste. Un SDF… Si ça se trouve, c’est lui qui est derrière tout ça, tu y as pensé ? Non, évidemment que non.

Elle regarda les deux comprimés au creux de sa main, le verre d’eau dans l’autre. Avala le tout. Elle avait verrouillé sa porte, écouté des clients passer dans le couloir. Sa vie ressemblait de plus en plus à celle de ces types traqués qui se réfugient de trou en trou, comme des rats… Jusqu’à quand ? Sa mère avait insisté pour régler la note, mais elle ne pouvait rester ici indéfiniment. Et Max avait raison : ce type ne la lâcherait pas.

Sa mère était passée la voir et elles avaient pris un café au bar de l’hôtel. « Tu as une mine épouvantable, on dirait que tu as pris dix ans en quelques jours. » Heureusement, sa mère avait des choses à faire — comme toujours —, des rendez-vous : à la salle de fitness, pour une manucure, une pédicure, un soin du visage, un massage aux pierres chaudes, chez son coiffeur, chez son psy, avec un journaliste pour une interview du style : « Que sont-ils devenus ? », avec la présidente d’une association caritative, avec son coach de développement personnel, pour un atelier d’art-thérapie, une vente aux enchères… Christine avait passé le reste de la journée à errer sans but à la recherche d’une idée, d’une solution. Elle avait envisagé un temps de se réfugier dans le foyer pour femmes battues dont elle avait un jour interviewé la directrice. Le problème, c’est qu’elle ne l’avait pas été, battue. Pas encore… Et ces gens-là ne passaient-ils pas de discrets coups de fil à la police pour s’assurer qu’ils n’avaient pas affaire à des mythomanes ? Peut-être aurait-elle dû se cogner elle-même pour rendre la chose plus crédible ? Elle y avait songé… sérieusement… Elle était aussi entrée dans un magasin qui vendait des armes à feu et des couteaux (et même des sabres et des katanas) mais aussi des Tasers, des shockers électriques et des aérosols de défense. Le vendeur était un homme obèse qui sentait la sueur et, quand il s’était approché un tout petit peu trop près, elle s’était dit qu’il avait tout à fait le profil du type capable d’abuser d’une femme sans défense. Bien entendu, elle savait que c’était du délit de faciès mais, depuis qu’elle avait découvert que le monde est un enfer pour les plus vulnérables, elle était beaucoup moins encline à laisser aux autres le bénéfice du doute. Elle se rendait compte qu’elle devenait de plus en plus vulgaire, agressive. Intolérante.

Bienvenue dans la jungle, ma vieille

Elle commença à s’assoupir, vaincue par les molécules. Elle ne savait pas du tout ce qu’elle allait faire demain — et encore moins après-demain, ni la semaine prochaine. Tout comme pour ce bon vieux Richard Kimble, il n’y avait plus de havre pour elle. Ni de repos.

C’est ça que tu es : une fugitive dans ta propre maison, accusée de crimes que tu n’as pas commis — et qui sait si celui qui te traque n’est pas manchot, lui aussi ?

Elle gloussa stupidement, les paupières lourdes. Une larme roula sur sa joue. Elle ramena les jambes vers sa poitrine, sous la courtepointe. Passa les bras autour de ses genoux. Posa la joue contre le matelas, laissant le cocon des somnifères l’envelopper, ses craintes s’évanouir une par une comme des brumes matinales. Sauf que ce n’était pas vers la lumière qu’elle était entraînée — mais vers la nuit, les ténèbres, l’oubli… Elle ferma les yeux, se laissa aller.

Un répit. Jusqu’au lendemain.

29.

Libretto

Servaz s’assit à la tête du lit étroit, mit la musique de Mahler en sourdine, regarda la pleine lune dehors et saisit le journal de Mila posé sur la table de nuit.

En soulevant la couverture de cuir sur laquelle était dessinée une rose, il repensa à la belle femme brune et à l’enfant blond, seuls dans cette grande maison isolée… Le fils de Léonard Fontaine… Et à l’importance de ce qu’il allait lire pour comprendre ce qui était arrivé non seulement à Mila Bolsanski, mais aussi à Célia Jablonka. Dans ces pages, il y avait peut-être la réponse à toutes ses questions. Qui était vraiment Léonard Fontaine ? Comment s’y prenait-il pour pousser ces femmes au suicide ou à vivre seules avec leurs enfants, loin du monde ? Quelle sorte de monstre à double visage était-il ? Mila et Célia étaient des femmes intelligentes, ne manquant pas de personnalité — et cependant il était parvenu à les maintenir sous son emprise et à les briser… Comment s’y était-il pris ?

La nuit risquait d’être longue. Il n’était pas un trouillard, mais il était habité par une appréhension tenace à l’idée de ce qu’il allait lire. Il n’avait jamais oublié le journal d’Alice Ferrand. Celui qu’il avait trouvé dans la chambre de la jeune fille, là-haut, dans la montagne, cinq ans plus tôt. Les mots de la gamine étaient restés imprimés au fer rouge dans son cerveau. Il tourna les deux premières pages blanches et commença à lire ; le récit de Mila débutait par leur arrivée à Moscou :

20 novembre 2007 — Arrivés à 8 h 30 du matin. Débarqués dans le nouveau terminal C de Cheremetievo flambant neuf : rien à voir avec l’ancien aéroport immense et glauque. Longue attente à la douane. Suis un peu nerveuse. Léo, lui, semble parfaitement calme. Guennadi Semyonov, le chef de projet de la mission Andromède, et Roman Roudine, le correspondant de la Cité des étoiles, nous attendaient à la sortie.