Je me suis penchée en avant et j’ai reçu un deuxième coup sur la nuque. Je suis tombée par terre et il m’a encore filé un coup de pied au sol.
« Espèce de salope ! Sale PUTE ! Tout juste bonne à sucer des bites ! Si tu recommences, je te tue ! »
Il a envoyé valser mon téléphone portable à travers la pièce. Il s’est brisé en mille morceaux sur le sol. Puis il est parti en claquant la porte.
Je suis restée un long moment allongée par terre, à pleurer. Je ne sais pas où il a passé la nuit. Ce matin, je regarde sa moitié de lit vide. J’ai affreusement mal aux côtes, au ventre, aux cervicales. J’ai un entraînement important aujourd’hui. J’ignore comment je vais faire pour survivre à cette journée…
Noir. Quelque chose l’a réveillée. Tout à coup, Christine est sur son séant, à la tête du lit. Dans…l’obscurité ! Le noir complet ! Un vertige glacé, une sensation de chute… Elle tend la main vers la veilleuse. Tâtonne, fébrile. Actionne le bouton. Rien ne se passe. Une panne électrique…
Noir. Quelqu’un a tiré les rideaux de la chambre et éteint la lumière de la salle de bains. Elle a du mal à respirer. Sa bouche, ses narines, ses globes oculaires s’emplissent de ténèbres, comme d’eau ceux d’un noyé. Elle suffoque, elle respire les ténèbres, elle les mange. Pourtant, malgré la frayeur, tous ses sens sont en alerte — comme si son subconscient avait détecté quelque chose d’autre, qui lui échappe encore…
Noir. Le cœur battant la chamade. Elle crie : « Il y a quelqu’un ? » Question idiote, comme si on allait répondre ! C’est alors que, pour sa plus grande surprise, une lumière s’allume à l’autre bout de la pièce, un faisceau éblouissant braqué sur elle, qui l’oblige à cligner furieusement des yeux. Elle ne voit rien d’autre que cet œil aveuglant. Cette étoile de lumière diffractée qui darde ses rayons dans le noir et blesse ses nerfs optiques. Elle met la main en écran devant elle.
— C’est… c’est vous ? dit Christine, d’une voix si faible qu’elle se demande s’il l’a entendue.
Elle sait bien que c’est Lui. Qui d’autre ? Tout à coup, la lumière là-bas se met à bouger. Elle contourne très lentement le lit dans sa direction, tremblante, sans cesser de l’éblouir. Elle cligne des yeux comme un hibou, elle a envie de hurler, mais sa luette se contracte d’effroi et son cri s’étrangle dans sa gorge. Elle ferme les yeux, serre les paupières, refuse cette réalité : il y a un homme dans sa chambre. L’homme qui la persécute depuis des jours, Il est là, avec elle… Non, non, non — elle ne veut pas l’admettre.
Tout ça n’est qu’un mauvais rêve…
Elle garde les yeux fermés, sourcils froncés et paupières pressées.
— Ouvre les yeux, dit la voix.
— Non !
— OUVRE LES YEUX ou je tue ton chien.
Iggy ! Où est-il ? Elle ne l’entend pas… Elle les ouvre et manque défaillir. L’horreur déferle dans sa poitrine et elle a un hoquet de terreur : un masque hideux, grotesque, se penche à quelques centimètres de son visage. Un masque de caoutchouc rouge. Son long nez crochu, bulbeux, la touche presque. Et ce sourire ! Ces lèvres épaisses, ces dents jaunes et pointues ! Elle pédale frénétiquement dans les draps pour s’éloigner de cette chose, recule autant qu’elle peut, colle ses omoplates, sa nuque et ses reins au mur comme si elle voulait s’y enfoncer.
Elle tourne la tête à l’opposé du masque, appuie sa tempe de toutes ses forces contre le mur, la bouche tordue, le visage défiguré par la peur.
— Je vous en prie… je vous en supplie… ne me faites pas de mal… s’il vous plaît…
Elle se rend compte qu’elle est couverte de sueur, elle a l’impression qu’elle va faire une crise cardiaque, elle tremble de la tête aux pieds. Comme il ne dit rien, ne fait rien, elle reprend un peu courage.
— Pourquoi vous faites ça ? demande-t-elle, sans pour autant oser regarder dans sa direction. Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Pourquoi essayez-vous de me rendre folle ?
Les questions, à présent, se bousculent hors de sa bouche. Un flot de questions.
— Parce qu’on m’a demandé de le faire, répond-Il.
Ça lui cloue le bec. Elle respire de plus en plus péniblement. Comme si on avait retiré tout l’oxygène de la pièce.
— Parce qu’on me paie pour ça… Et que je dois finir le travail…
La voix est calme, neutre. Finir le travail… L’expression lui arrache un hoquet horrifié. Elle voudrait se débattre, le frapper avec ses pieds, avec ses poings, ruer comme un cheval furieux, lui griffer les yeux, bondir vers la porte — mais ses membres se sont liquéfiés, toutes ses forces ont coulé hors d’elle. Elle a l’impression d’être collée au lit et au mur par de la Superglue et que son cerveau lui-même n’en finit plus de boguer, comme si un logiciel malveillant s’était emparé de son esprit. Les mots finir le travail… finir le travail… finir le travail… tournent en boucle dans la chambre d’écho de son crâne.
— Oh, non, non, non, non, est tout ce qu’elle trouve à dire.
— Mais si.
— S’il vous plaît… non…
Soudain, elle Le regarde. Car Il vient de poser une main gainée de latex sur sa cuisse. Elle évite cependant de regarder le masque, trop effrayant ; elle regarde plus bas. Elle voit un corps mince, pâle. Des tatouages partout. Elle pense à Cordélia. Elle voit qu’Il bande dans son boxer. Son sexe dur dépasse de l’élastique, le bout presque aussi rouge que le masque. Elle a un violent haut-le-cœur. La main gantée remonte le long de sa cuisse. Elle aperçoit de nouveaux tatouages à travers le latex translucide et sur son poignet — elle ne voit pas bien : sa main et ses doigts sont recouverts de motifs, comme du lierre. Son cerveau continue de boguer : non non non non. Mais aucun son ne sort de sa bouche grande ouverte. Elle respire juste à petits coups rapides.
Il a attrapé le bas de sa chemise de nuit à deux mains.
La remonte par-dessus ses épaules, par-dessus sa tête. La laisse coincée là, derrière son crâne — de sorte qu’elle tire comme un gros élastique tendu sur sa nuque et sur ses aisselles. Il passe sa main gantée sur ses seins, l’un après l’autre. Longuement. En éprouvant la fermeté, l’élasticité. Il dit des choses comme : « J’aime tes seins, tes mamelons ; tu as un putain de corps, je vais me régaler… » Il tâte son ventre, enfonce un doigt dans sa vulve aride. Elle retrouve aussitôt un dernier sursaut d’énergie, serre les genoux aussi fort qu’elle peut, gémit, supplie :
— Non, non, non… Ne faites pas ça… S’il vous plaît, ne faites pas ça…
Elle voit ses yeux plats derrière le masque. Des yeux vides. Puis Il retire son doigt, se penche en arrière, pose sa lampe-torche sur la table de nuit. Il attrape quelque chose à la place.
Une… seringue !