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[Elle ne remarque pas tout de suite le vent qui s’est mis à souffler, les feuilles sèches qui volent et les animaux qui fuient un danger invisible. Soudain, la chambre devient une clairière balayée par un vent glacial et elle voit des ombres menaçantes assombrir le ciel et la terre. Elle est envahie par un sentiment de malaise, glacée jusqu’aux os par la certitude qu’une chose dangereuse approche. Elle voudrait fuir. Comme les animaux. Mais elle en est incapable. Tout son corps paralysé, cloué à ce foutu lit, au milieu de la clairière. Elle tente de se débarrasser de celui qui pèse sur elle, de le repousser à bout de bras. Mais il la gifle et, en clignant des yeux, elle découvre, horrifiée, qu’elle est chevauchée par un homoncule, un petit être hideux, efféminé et méchant, qui ne semble prendre aucun plaisir à ce qu’il fait mais la pénètre pour une tout autre raison, l’ignorant totalement, le regard braqué droit devant lui, sur le mur.]

1er juillet — Il fait très chaud à Moscou. Hier, Sergueï et moi, nous nous sommes rendus au parc Gorki. Il était noir de monde : des jeunes gens jouant au beach-volley sur le sable, des familles avec des enfants, des étudiants à vélo ou étendus au soleil sur les pelouses, des vendeurs de hot-dogs, des rollers et la queue aux attractions… Il paraît que le parc va être redessiné et réaménagé bientôt. Que cela ressemblera à Central Park, en mieux. Sergueï voulait que nous fassions un tour en barque sur la rivière mais j’ai décliné : j’avais peur que quelqu’un de la Cité des étoiles ne nous voie. Avec Léo à l’hôpital, que penseraient-ils de moi ?… À un moment donné, assis sur un banc, Sergueï m’a regardée et a pris ma main. Cette fois, je ne l’ai pas repoussé.

3 juillet — Léo est sorti de l’hôpital hier, avec des béquilles. Les Russes lui ont assuré qu’il pourrait reprendre l’entraînement très bientôt. Notre mission a été retardée de quinze jours pour que Léo puisse en faire partie. La médecine russe a fait des miracles.

Quelle surprise : il a eu un comportement presque normal avec moi. Cette agression lui aurait-elle servi de leçon ? A-t-il reçu des menaces de la part de ceux qui l’ont agressé ? Lui ont-ils ordonné de me laisser tranquille ? Il m’a demandé comment ça se passait à l’entraînement, je lui ai expliqué qu’en l’attendant on l’avait remplacé dans le simulateur pour ne pas perdre de temps. Il a approuvé : « Oui, la mission, c’est ce qui compte… » Il n’a même pas cherché à me toucher. N’a rien dit non plus de blessant. J’ai fait comme si de rien n’était, comme si rien d’anormal ne s’était jamais passé entre nous. Il est allé dormir dans le divan, sans un mot, me laissant le lit que j’occupe depuis qu’il est à l’hôpital. Le lendemain matin, il m’a même souhaité une bonne journée. Je le hais, je le méprise. S’il croit pouvoir rentrer dans mes bonnes grâces, il se fourre le doigt dans l’œil. Mais si nous pouvons rester comme ça jusqu’à la fin de notre séjour ici — et nous concentrer sur la mission —, moi, ça me va…

[Elle comprend enfin quand il éjacule sa semence en elle et se penche tout contre son oreille pour dire d’une voix grinçante : « Je suis un héros positif. » Elle coasse : « Quoi ? » et il répète : « Je suis séropositif », au moment même où elle se sent chuter dans un tunnel sans fin, où son cœur se met à battre de plus en plus lentement, ralentissant tou-jours plus… comme s’il… allait s’ar-rêter de… battre… d’un ins-tant à… l’au-treeeeeeee…]

4 juillet — Il est arrivé quelque chose d’affreux… Je n’arrive toujours pas à réaliser. J’ai l’impression que tout s’écroule autour de moi, que la folie me guette. Sergueï a été renversé par une voiture. Il est mort quand son crâne a heurté la chaussée. Le chauffard n’a pas été retrouvé… Je suis sûre que Léo est derrière tout ça. Comment a-t-il fait pour savoir que c’est Sergueï qui a commandité son agression ? L’a-t-il heurté lui-même ou a-t-il chargé quelqu’un de le faire ? Et où est-il en ce moment ? Je ne l’ai pas vu de la journée. Il est minuit passé. Je n’arrive pas à dormir. J’entends les arbres remuer dans le vent nocturne tout autour de la datcha et je colle mon nez à la vitre noire, cherchant à percer les ombres, scrutant l’obscurité.

Et soudain, une étoile dans la forêt… Je sursaute. Colle mon front à la vitre froide, tente de percer les ténèbres.

J’ai dû rêver car il n’y a rien… rien d’autre que le noir, le vent et la neige… Puis j’aperçois de nouveau la petite lueur. Au loin. Tremblante, mouvante : pas de doute, c’est une lampe-torche qui vient. Là-bas, sur le sentier. Je sens tous mes organes descendre au fond de mon ventre, mes nerfs à vif, mes tempes bourdonnantes. Je me précipite dans la pièce principale, verrouille la porte. Retourne à la fenêtre de la chambre. La lueur s’est encore rapprochée, je distingue une silhouette à présent. C’est lui… Il avance à grands pas vers la clairière. Soudain, sa voix puissante retentit dans la nuit : « Milaaaaaaaaaaaaa !!! » Je suis terrorisée. Le cœur dans la gorge, je cherche une issue, mais il n’y en a pas.

J’entends les marches de bois qui gémissent sous son poids, la poignée de la porte qu’on tourne furieusement. Il pousse le battant, réalise que je l’ai verrouillé, le secoue violemment, abat ses poings dessus.

« Mila, ouvre cette porte… OUVRE CETTE PORTE, PAUVRE DÉBILE ! MISÉRABLE CONASSE ! OUVRE ! »

Il donne un puissant coup d’épaule dedans, mais la porte résiste. Puis plus rien. Le silence… J’ai l’impression que mon cœur va jaillir par ma bouche tellement il cogne. Le vent siffle autour de la datcha, des branches frôlent la toiture. Que fait-il ? Où est-il ? À cet instant, la fenêtre de derrière explose. Je me rue vers la porte d’entrée, tente de glisser la clé dans la serrure mais ma main tremble si fort que je la fais tomber par terre — merde ! — , je me baisse pour la ramasser, me relève, l’introduis. Je tourne la clé dans la serrure, tire sur le battant, qui résiste… Je tire plus fort. La porte s’ouvre enfin… Je vais franchir le seuil quand, soudain, il m’entoure de ses bras, sa joue contre la mienne.

« Où tu vas comme ça ? Tu es à moi, Mila. Que tu le veuilles ou non, nous sommes liés l’un à l’autre désormais. Pour l’éternité. »

Je tremble de peur. Il prend mon visage dans sa main, serre si fort que je crois un instant qu’il va déchausser mes dents de mes gencives. « Rien ne pourra nous séparer, tu ne l’as pas encore compris ? » Un vrombissement fait soudain trembler l’air nocturne, un bruit énorme de moteur. Une masse d’acier surgit de la nuit au-dessus de nous : un des Iliouchine de la base militaire voisine. Il élève la voix pour couvrir le bruit en me serrant contre lui, sa joue tout contre la mienne.

« TU NE POURRAS JAMAIS M’ÉCHAPPER, MILA. MÊME SI TU PRENAIS UN AVION POUR L’AUTRE BOUT DE LA TERRE. JE TE SUIVRAI JUSQU’EN ENFER. S’IL LE FAUT, JE TE TUERAI ET JE ME TUERAI AUSSI. »

Vers 4 heures du matin, Servaz fit une pause.