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Je suppose que, d’une certaine manière, ce qui s’est passé ensuite devrait faire avancer leur foutue science spatiale : deux salopards de cosmonautes totalement ivres n’ont-ils pas prouvé qu’un viol en impesanteur était possible à condition de s’y mettre au moins à deux ?

C’est fini.

Terminé.

Mon rêve d’espace…

Il s’arrête là…

Ce que j’ai fait ? Rien sur le moment : qu’est-ce que j’aurais pu faire — ou dire ? À ce stade, rien n’aurait pu les arrêter.

J’ai attendu qu’ils soient profondément endormis et puis je me suis faufilée vers Zarya, que j’ai traversé en m’agrippant à tout ce que je trouvais, en flottant et en barattant dans cette putain d’impesanteur, la peur au ventre, terrifiée à l’idée que l’un des deux se réveille et me rattrape. J’ai franchi les sas, le PMA-1 et Unity, j’ai atteint les quartiers des Américains et des Européens, là où le deuxième Russe, Arkady, a choisi d’installer son sac de couchage : il n’apprécie ni Pavel ni Léo. Ils dormaient tous. Je les ai réveillés. J’ai vu la stupeur dans leurs yeux, ils les ont écarquillés quand ils ont découvert mon état, mon visage tuméfié, mon tee-shirt et ma culotte déchirés, ma lèvre fendue… Je leur ai demandé d’appeler le centre de contrôle de toute urgence.

C’est fini. Au cours de la conférence de contrôle qui a suivi cette nuit-là, et pendant laquelle des paroles très vives et même des menaces ont été échangées entre la Terre et la Station, les Américains et le deuxième Russe ont demandé mon rapatriement en urgence.

Les deux Américains et l’autre Russe ont été formidables quand Léo et Pavel sont venus me chercher, le lendemain. Ça a bien failli dégénérer, mais Pavel et Léo ont vite compris qu’ils n’auraient pas le dessus ; il a finalement été décidé que je resterais dans la partie avant et le Russe et un Américain sont même allés chercher mes affaires à l’arrière — sans que ni Pavel ni Léo s’y opposent.

En bas, sur Terre, ils flippent à mort.

Les opérations à bord de la Station reposent sur une répartition rigoureuse et délicate des tâches et tout est devenu si chaotique ici. Et puis, ils doivent être morts de trouille que la chose vienne à s’ébruiter… Mais je me sens enfin en sécurité — pour la première fois depuis longtemps.

32.

Huées

— Réveille-toi ! Réveille-toi, putain !

Il lui administra une nouvelle gifle, encore plus forte que la précédente. Christine ouvrit les yeux. Ses globes oculaires allaient et venaient dans tous les sens, incapables de se fixer. Il gifla de nouveau le visage couvert de sueur.

— Reviens ! Reviens avec moi ! lança-t-il. Où t’étais passée ? Putain, bébé, tu m’as flanqué une de ces trouilles !

Il la soutint en position assise, mais elle eut soudain un hoquet. Se pencha sur le côté et vomit au pied du lit.

— Oh, merde, bébé, t’es dégueulasse !

Il se recula, descendit du lit et se rendit dans la salle de bains. Quand il revint, il avait un verre d’eau dans une main et un cachet dans l’autre.

— Un putain de bad trip, hein ? dit-il. Tiens, avale ça. Ça va te calmer, après tu vas dormir comme un ange. La vache ! Tu m’as fait flipper, bébé !

Il lui soutint la nuque, à laquelle adhéraient ses cheveux trempés.

— Ouvre la bouche.

Elle obéit. La drogue la rendait coopérative ; pas pour rien qu’on classait la kétamine parmi les drogues du viol. Elle tira docilement la langue comme il le lui demandait. Il y déposa le cachet et elle but avec avidité.

— C’est bien, dit-il. Bois. Avec ça, tu vas dormir.

Sa tête dodelinait. Il empila les oreillers derrière elle, la maintenant presque en position assise — car il ne voulait pas qu’elle s’étouffe dans son vomi : elle n’était pas censée crever de cette façon. Il attendit que le sédatif fasse effet. Puis il se leva, retourna dans la salle de bains et revint avec le corps inerte d’Iggy. Fit plusieurs allers et retours entre le minibar et le lit. Il contempla le carnage depuis l’entrée de la chambre et referma la porte derrière lui.

7 décembre — Paris.

Il pleut sur Roissy. Personne pour m’accueillir. Évidemment. Ce que je craignais est arrivé. Il y a eu des interrogatoires, puis une commission d’enquête. Cela a duré des semaines, pendant lesquelles on m’a mise quasiment à l’isolement dans un appartement de la Cité des étoiles. Ils sont venus me poser toutes sortes de questions ; ils avaient des visages hostiles, sévères, des voix cinglantes — ils affichaient ouvertement leur scepticisme. Finalement, ils ont dit que j’avais tout inventé, tout mis en scène. Psychose paranoïde : tel a été leur diagnostic. Selon eux, la mort de Sergueï n’est qu’un tragique accident, et mes accusations au sujet de ce qui s’est passé là-haut de ridicules affabulations, ou une tentative pour les discréditer.

La police russe a classé sans suite. Leur Institut des problèmes médicaux et biologiques m’a fait passer des tests psychiatriques. Ces abrutis de psychiatres me regardaient tous comme s’ils s’étaient déjà fait une opinion. L’Agence spatiale européenne m’a appelée à Moscou. Ils m’ont fait comprendre que je n’avais plus aucun avenir dans l’aventure spatiale. Quelque chose s’est brisé en moi en apprenant ça. Léo, lui, va conserver sa place, même si j’ai cru comprendre que les Russes ne souhaitent pas le revoir de sitôt. Je suis effondrée…

Effondrée, sans travail, sans avenir et enceinte

Servaz referma le journal. Alors, c’était ça. Ce qui s’était passé là-haut. Un viol… Dans l’espace. Cela allait bien au-delà de tout ce qu’il avait imaginé. Encore une fois, il se demanda pourquoi Mila avait gardé l’enfant. Il croyait le deviner : quand Léo l’avait menacée de les tuer, l’enfant et elle, si elle ne se faisait pas avorter, quelque chose avait dû se révolter en elle. La preuve, en tout cas, qu’elle n’était pas paranoïaque, c’est que Fontaine avait récidivé : il avait poussé Célia Jablonka au suicide. Personne n’avait fait le rapprochement entre ces deux affaires parce qu’aucune enquête criminelle n’avait été ouverte. Et, même dans ce cas, aucun enquêteur n’aurait pu lier les deux histoires sans un bon coup de pouce du destin.