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Elle avait fait des expériences avec les esprits — les avait palpés. Pas exactement comme les hommes palpaient, quelque chose d’entièrement différent qu’on pouvait rapprocher, très approximativement, de ce concept humain. Alors quelques-uns des esprits s’étaient désagrégés, partiellement désintégrés, et c’était devenu désagréable. Erythro avait cessé de palper les esprits au hasard et cherché ceux qui pourraient supporter le contact.

« Et vous m’avez trouvée ? dit Marlène.

— Je vous ai trouvée.

— Mais pourquoi ? pourquoi m’avez-vous cherchée ? » demanda-t-elle avidement.

La silhouette vacilla et devint plus grise. « Juste pour vous trouver. »

Ce n’était pas une réponse. « Pourquoi voulez-vous que je sois avec vous ? »

La silhouette commença à s’effacer et la pensée que Marlène perçut était fugitive. « Juste pour que vous soyez avec moi. »

Et la silhouette disparut.

Seule son image avait disparu. Marlène sentait toujours sa protection, sa chaleur enveloppante. Mais pourquoi avait-elle disparu ? Est-ce que ses questions lui avaient déplu ?

Elle entendit un bruit.

Sur un monde vide, c’est possible de cataloguer rapidement les sons, car il n’y en a guère. Il y a le bruit de l’eau qui coule et, plus subtil, le gémissement de l’air qui souffle. Il y a les sons prévisibles que l’on fait soi-même, le martellement des pas, le bruissement des vêtements et le sifflement de la respiration.

Marlène entendit autre chose que tout cela et se retourna dans la direction du bruit. Sur l’affleurement rocheux qui était à sa gauche, apparut une tête d’homme.

Sa première pensée fut que quelqu’un du Dôme était venu la chercher et elle éprouva un mouvement de colère. Pourquoi venaient-ils la déranger ? Dorénavant, elle refuserait d’emporter l’émetteur d’ondes.

Mais elle ne reconnut pas ce visage ; elle avait, maintenant, rencontré tous les résidents du Dôme. Elle ne connaissait pas leurs noms et ne savait rien sur eux, mais quand elle voyait quelqu’un du Dôme, elle savait qu’elle l’avait déjà vu …

Or, elle n’avait jamais aperçu celui-là dans le Dôme.

Les yeux de l’étranger étaient fixés sur elle. Il avait la bouche entrouverte, comme quelqu’un qui halète. Puis il atteignit le sommet et se mit à courir vers elle.

Elle lui fit face. La protection qu’elle sentait autour d’elle était forte. Elle n’avait pas peur.

Il s’arrêta à trois mètres d’elle, penché en avant comme s’il avait atteint une barrière qu’il ne pouvait franchir et qui l’empêchait d’avancer plus loin.

Pour finir, il dit d’une voix étranglée : « Roseanne ? »

89

Marlène le dévisagea, l’examinant soigneusement. Ses micromouvements étaient imprégnés d’un désir ardent et irradiaient un sentiment de possession, d’intimité.

Elle fit un pas en arrière. Comment était-ce possible ? Pourquoi serait-il …

Le vague souvenir d’une image-holo qu’elle avait vue lorsqu’elle était petite …

Elle ne pouvait plus le nier. Si impossible, si inimaginable que cela puisse être …

Elle se blottit dans sa couverture protectrice et dit : « Père ? »

Il se précipita vers elle comme s’il allait la prendre dans ses bras et, de nouveau, elle fit un pas en arrière. Il s’arrêta, vacilla, puis mit la main sur son front comme pour lutter contre un vertige.

Il dit : « Marlène. Je voulais dire, Marlène. »

Il le prononçait mal, remarqua-t-elle. Deux syllabes. Mais ce n’était pas de sa faute. Comment aurait-il pu savoir ?

Un autre homme survint et vint se poster à côté de lui. Il avait des cheveux noirs et raides, un visage large, des yeux comme des fentes, un teint jaunâtre. Marlène n’avait jamais vu un homme comme lui. Elle resta bouche bée, puis s’obligea à la refermer.

Le deuxième homme dit au premier d’une voix douce et incrédule : « C’est votre fille, Fisher ? »

Les yeux de Marlène s’agrandirent. Fisher ! C’était bien son père.

Celui-ci ne regardait pas l’autre homme. Rien qu’elle. « Oui », répondit-il.

L’autre reprit, encore plus doucement. « Dès la première donne, Fisher ? Vous arrivez ici et la première personne que vous rencontrez, c’est votre fille ? »

Fisher parut faire un effort pour détourner les yeux de sa fille, mais il échoua. « Je crois, Wu. Marlène, ton nom de famille, c’est Fisher, n’est-ce pas ? Eugenia Insigna est bien ta mère ? Je m’appelle Crile Fisher et je suis ton père. »

Il lui tendit les bras.

Marlène était bien consciente que l’expression de désir ardent peinte sur son visage était réelle, mais elle recula encore et dit froidement : « Comment se fait-il que vous soyez ici ?

— J’arrive de la Terre pour te retrouver. Te retrouver enfin. Après toutes ces années.

— Pourquoi revenir ? Vous m’avez abandonnée quand j’étais bébé.

— J’étais obligé de le faire, mais j’ai toujours eu l’intention de revenir, pour toi. »

Alors une autre voix — dure comme l’acier — se fit entendre. « Alors, tu es revenu pour Marlène ? Uniquement pour elle ? »

Eugenia Insigna était là, le visage pâle, les lèvres presque décolorées, les mains tremblantes. Derrière elle Siever Genarr, l’air étonné, restait à l’arrière-plan. Ni l’un ni l’autre ne portait de combinaison protectrice.

Insigna reprit, d’une voix précipitée, semi-hystérique : « J’ai pensé que c’étaient des gens d’une colonie, des gens de la Terre. J’ai même pensé que ce pourrait être une forme de vie non-humaine. J’ai évoqué toutes les éventualités auxquelles je pouvais penser, lorsqu’on m’a dit qu’un vaisseau étranger avait atterri. Je n’ai jamais imaginé que ce pourrait être Crile Fisher qui revenait. Et pour Marlène !

— Je suis venu avec d’autres personnes, pour une importante mission. Voici Chao-Li Wu, un compagnon de bord. Et … et …

— Et nous nous rencontrons. L’idée ne t’est jamais venue que tu pourrais me rencontrer ? Ou bien tes pensées étaient-elles uniquement fixées sur Marlène ? Cette importante mission, c’était quoi ? Retrouver Marlène ?

— Non. Ça, ce n’est pas une mission. Juste un désir.

— Et moi ? »

Fisher baissa les yeux. « Je suis venu pour Marlène.

— Tu es venu pour elle ? Pour l’emmener ?

— J’ai pensé … » commença Fisher, puis il se tut.

Wu le regardait d’un air étonné. Genarr fronçait les sourcils, pensif et plein de colère.

Insigna pivota sur ses talons pour faire face à sa fille. « Marlène, vas-tu partir avec cet homme ?

— Je ne vais nulle part, avec personne, maman, répondit calmement Marlène.

— Tu as ta réponse, Crile. Tu m’as abandonnée avec un enfant d’un an et tu ne vas pas revenir quinze ans après en disant : ‘‘Au fait, maintenant je l’emmène’’, sans une pensée pour moi. C’est biologiquement ta fille, un point c’est tout. Elle est à moi qui m’en suis occupée et l’ai aimée pendant quinze ans.

— Vous n’avez aucune raison de vous quereller à mon sujet, maman. »

Chao-Li Wu fit un pas en avant. « Excusez-moi, Fisher m’a présenté, mais on ne m’a présenté personne. Madame, vous êtes ?

— Eugenia Insigna Fisher. » Elle pointa le doigt sur Fisher. « Sa femme … autrefois.