Выбрать главу

— Parfait, dit Malko.

En arrivant près de sa voiture, il aperçut Rhonda titubant sous le poids d’un énorme pain de glace qui devait faire ses vingt kilos… Elle lui sourit :

— Alors, vous avez fait affaire ?

— Oui, dit Malko, nous nous retrouvons après-demain matin. Il fixa ses pieds nus, couverts de poussière. Vous ne portez jamais de chaussures ?

L’Australienne eut un rire confus.

— Si, mais je n’en ai plus. Ici, cela coûte un prix fou. Mais au printemps, nous irons à Mombasa, elles valent moins cher…

Elle s’éloigna, laissant Malko rêveur. Une paire de chaussures tous les six mois, Brownie la gâtait…

Il se lança dans Badamier Avenue, plutôt ragaillardi. Si quelqu’un pouvait l’aider à trouver le Laconia B c’était Brownie Cassan qui semblait connaître l’océan Indien comme sa poche. Mais cela coûterait une petite fortune pour le « motiver »…

Il était un peu plus de cinq heures et tout était fermé dans le centre de Victoria. Presque plus de circulation. Il lui sembla qu’un taxi s’attachait à lui. Il ne pouvait voir qui l’occupait à cause du pare-brise teinté. À tout hasard, dès qu’il eut tourné dans Royal Street, passant devant le QG de la police, charmant avec ses fenêtres encadrées de bleu pastel, il accéléra dans la pente rectiligne, lâchant facilement le taxi. Tellement, qu’il dut freiner violemment en face de l’incroyable château fort en tôle ondulée qui se dressait en haut de Royal Street – pension de famille tenue par un vieux marin – pour aborder les innombrables virages qui le séparaient de Beauvallon.

Un bus de touristes le croisa dans un hurlement de klaxon. Il continua, faisant crier ses pneus à chaque virage. La route escaladait des collines couvertes de jungle, semées de cabanes en tôle ondulée. Ce matériau est à l’architecture tropicale ce que le béton est à la ville. « La Cooper S » était vraiment une petite bombe. Bien accroché à son volant et secoué comme un prunier, il aborda le virage le plus en épingle à cheveux du parcours, dominé par un haut mur, de pierres grises.

Frein. Accélérateur. Rugissement du petit moteur. Soudain, un choc dans le pare-brise qui s’étoila avec un bruit sourd.

Malko écrasa le frein si brutalement qu’il dérapa, se mit en travers de la route et n’évita que de justesse une autre Mini-Moke qui descendait. Les mains moites, il stoppa un peu plus loin pour inspecter les dégâts.

Il y avait un trou rond dans le pare-brise, à peu près au milieu. Comme… Il se retourna, inspecta la capote arrière et sentit le désagréable fourmillement de la peur lui picoter le dessus des mains. Un trou similaire apparaissait dans la tôle. Ce n’était pas une pierre qui avait heurté son pare-brise, mais une balle. Tirée d’en haut, d’après l’angle.

Une balle qui l’avait raté d’un cheveu. Sans l’accélération foudroyante de la Mini, il était mort. On avait dû tirer du haut du mur. L’endroit était bien choisi, il était forcé de presque stopper, à cause du virage en épingle à cheveux… Machinalement, il redémarra, accéléra, le cœur battant la chamade. Il n’y avait rien de plus éprouvant pour les nerfs que ce que les Anglais appelaient un « big gun ».

Une carabine à lunette maniée par un expert. Une arme puissante qui pouvait vous tuer à 300 mètres.

Il arriva au sommet du col et redescendit sur Beauvallon, un œil collé au rétroviseur. Forçant son cerveau à assimiler une donnée nouvelle et angoissante : il était désormais en danger de mort permanent. Sans savoir d’où venait la menace.

Chapitre IV

Malko passa son index sur le pare-brise étoilé, la peau agacée par les aspérités du verre brisé. La taille de l’impact donnait le calibre. Du 378 ou du 460 Weatherby Magnum, de la munition pour éléphant avec une force d’impact prodigieuse. Un tel projectile causait des dégâts irréparables dans un corps humain… En plus de la chaleur extérieure, il éprouvait une intense sensation de chaleur intérieure, comme si on lui avait injecté un dopant. Il quitta le parking et pénétra dans le grand hall ouvert à tous les vents du Fisherman’s Cove.

Il avait envie d’alcool. Le bar au niveau inférieur était vide. Il s’installa dans un fauteuil dominant le jardin et la piscine, commanda une vodka-tonic.

On lui avait tendu une embuscade. Le tireur connaissait sa voiture et son itinéraire. À quelques minutes près. Cela signifiait une organisation et des complices. Vraisemblablement locaux… Il pensa à la voiture qui l’avait suivi. Son trouble avait été tel après l’attentat qu’il n’avait pas vérifié si elle était toujours derrière lui… On lui apporta sa vodka et il trempa voluptueusement ses lèvres dedans. La première chose à faire était de prévenir Willard Troy de ce qui s’était passé.

Il avait largement le temps avant le dîner. En dépit de ce que lui avait affirmé l’Américain, le téléphone ne lui inspirait pas confiance. Il n’y avait plus qu’à retraverser l’île.

* * *

Malko leva le pied de l’accélérateur pour laisser se dissiper le nuage bleu du diesel. Depuis le bas de la route de la Misère, il se traînait derrière un gros camion surchargé de Seychellois qui grimpait les lacets avec une sage lenteur. Le paysage était sublime : des amoncellements de rochers noirs émergeant de la végétation tropicale, des jacquiers, des hibiscus carmin, des frangipaniers, des bougainvillées au mauve éblouissant, semés de pics impressionnants dominant la baie de Victoria. Avec, hélas, de temps à autre, le chancre d’une tôle ondulée. Au gré des virages, on apercevait parfois la « balle de golf » au sommet de sa colline, comme un objet de science-fiction… Le camion s’engagea dans une courte ligne droite et Malko en profita pour le dépasser.

Un kilomètre plus haut, il bifurqua à gauche dans la route menant à la « Satellite Tracking Station ». L’air était nettement plus frais, à cause de l’altitude.

Il franchit une première enceinte, marquant la zone sous contrôle US, puis tourna à gauche avant d’arriver à la seconde enceinte gardée par des vigiles seychellois et dominée par d’énormes réservoirs de fuel. Le sentier menant à la résidence de Willard Troy était plus défoncé qu’une rue new-yorkaise. Il déboucha sur une esplanade dominant tout l’est de Mahé avec l’aéroport dans le lointain. La maison blanche de style colonial était entourée d’une pelouse superbe. Dès que Malko sortit de la Cooper, un serviteur impeccable en tenue blanche, marcha à sa rencontre. Semblant surpris de voir un visiteur.

« Oui, M. Troy était là. Non, il ne recevait personne, parce qu’il était très malade. Il fallait le voir au bureau. »

Fermé comme le roc de Gibraltar. Malko prit un billet de cent roupies et griffonna quelques mots dessus.

— Allez lui porter ceci, dit-il et gardez-le ensuite.

Tandis que le domestique disparaissait, il avança jusqu’à la véranda vide. Le Noir réapparut, nettement plus souriant. À 13 roupies pour une livre, c’était un pourboire royal.

— Le « bougeois » vous attend, annonça-t-il avec un inimitable accent créole.

Malko se laissa mener jusqu’à une pièce climatisée. Dans l’ombre d’une lampe verte, il aperçut Willard Troy, pratiquement de la même couleur que la lampe, allongé sur un lit bas en désordre.

— Excusez-moi, fit l’Américain en lui tendant la main, ça ne s’arrange pas… Que se passe-t-il ?

Malko s’assit sur le bord du lit.

— Des choses intéressantes, dit-il. Je crois que ma couverture est trouée comme un vieux gruyère.

Il relata l’attentat de la route de Beauvallon. Willard Troy l’écoutait attentivement. Ses yeux semblant s’enfoncer dans leurs orbites au fur et à mesure. Il essuya son front couvert de sueur.