Выбрать главу

Ils se retrouvèrent dans un petit couloir. Malko continua, ouvrit une autre porte.

Le bloc opératoire. Vide. Net, avec un superbe scialytique au-dessus de la table d’opération, une autre table couverte d’instruments scintillants et chromés. Il faisait presque froid à cause de l’air conditionné. Dans un sursaut de courage, Mark s’arracha à l’étreinte et fila vers la porte. Malko le rattrapa à la volée et d’une seule main crochée dans la gorge, l’accula au bloc.

Un reflet métallique lui donna une idée. Allongeant le bras il saisit un bistouri.

Lorsque Mark vit l’acier brillant s’approcher de sa gorge, il vira à un très beau brun clair, émit un son étouffé et ne bougea plus. Malko posa délicatement le tranchant du bistouri sur les poils follets du menton. Sans vraiment appuyer. Demandant mentalement pardon à ses ancêtres d’en être réduit à de tels procédés.

— Mark, dit-il, assez de cette comédie. Pourquoi avez-vous envoyé à votre place ce Bill ?

La pomme d’Adam du Seychellois ressemblait à un ludion pris de folie. À croire qu’elle allait se décrocher et jaillir de sa gorge.

— Il me l’a demandé, finit-il par avouer d’une voix sans timbre. Réponse candide. Au moins c’était clair, il n’avait rien à refuser à Bill.

— Très bien, dit Malko. Je ne vous demande pas de refuser d’obéir à ce Bill. Mais je veux que vous me renseigniez sur tout ce qui se prépare. On a voulu me tuer hier. Je ne veux pas que cela recommence. Sinon…

Mark se mit à balancer sa tête ronde comme un rabbin devant le mur des lamentations.

— Oui, oui, promit-il, je vous dirai tout.

Dans l’état où il était, il aurait facilement avoué avoir cassé le vase de Soissons. Malko éloigna le bistouri et aussitôt le Seychellois frotta sa peau, comme pour en effacer la trace.

— Alors ? demanda Malko. Qu’avez-vous à me dire ?

Mark reprit une expression affolée, lâcha des phrases hachées d’une voix suppliante.

— Je ne peux pas vous parler maintenant. On m’attend en haut. J’étais venu prendre un médicament pour un malade. On va me chercher. Il ne faut pas qu’on nous trouve ici. Je viendrai vous retrouver sur la plage, vers quatre heures, je vous jure. Mais partez…

— Où habitez-vous ?

— Là où vous étiez, balbutia le Seychellois. La dernière case à gauche du sentier qui va chez l’ambassadeur russe.

Malko le fixa longuement. Il était à point.

— Très bien, dit Malko, je vous attends cet après-midi. Je vous conseille de ne parler à personne de ma visite. Dans votre propre intérêt. Si vous ne venez pas, je reviendrai demain ici. Mais avant, j’ai une dernière question. C’est Bill qui a enlevé de l’hôpital l’Israélien du Laconia, celui qu’on a retrouvé dans la mer ?

Mark le fixa sans répondre avec une expression horrifiée, comme si Malko venait de se métamorphoser en scorpion. Le relâchement des muscles de sa mâchoire révélait sa panique. Il balbutia quelques mots inintelligibles et Malko revint sur lui.

— Je vous ai posé une question. Mark, dit-il d’une voix calme. Répondez-moi.

Mark déglutit et inclina silencieusement la tête. Une idée s’imposa soudain à Malko. Pour achever de boucler la boucle.

— C’est vous qui étiez chargé de le soigner ?

Nouvelle inclinaison de tête. Mark n’était plus seulement un mouchard et un agent double.

— Il l’a emmené en ambulance ? insista impitoyablement Malko.

Cette fois Mark secoua la tête dans l’autre sens, et laissa échapper d’une voix faible.

— Non, dans sa Toyota. C’était le soir. Je lui avais fait une piqûre.

Écœuré, Malko regarda l’infirmier et demanda doucement.

— Vous savez ce qu’on lui a fait, après ?

Cette fois, Mark ne répondit pas. Malko recula vers la porte du couloir, l’ouvrit et se retourna vers le Seychellois :

— À tout à l’heure, Mark.

* * *

Même sans les amibes, Willard Troy aurait été décomposé. Il y avait de quoi. Allongé sur une chaise-longue, au bord de la pelouse, il écoutait le récit de Malko d’un air atterré.

— Je ne pensais pas qu’il trahissait à ce point, murmura-t-il. Il m’avait toujours dit qu’il haïssait les gens du SPUP, que la vie devenait impossible, qu’il faudrait bientôt lui donner un visa pour les États-Unis. C’est une catastrophe. Parce que je n’ai personne d’autre.

— Et les gens de l’ambassade ?

La minuscule ambassade américaine était nichée au quatrième étage de Victoria House, en plein centre.

Willard Troy se rembrunit encore plus.

— Ne m’en parlez pas. Ils ne m’invitent même plus aux cocktails. Le chargé d’affaires nous considère comme des pestiférés… Il prétend que nous sapons le travail du State Department. Alors, leur demander des informateurs…

Le boy en blanc glissa silencieusement à côté d’eux, apportant un plateau. Un grand verre de Contrex pour l’Américain, une bière Beck’s pour Malko. Malko avait pitié du chef de station de la CIA.

— Écoutez, dit-il, cela pourrait être pire. Mark ne sera pas le premier agent à être retourné deux fois. Je crois lui avoir fait assez peur. Pour le reste, je verrai ce qu’on peut tirer des Israéliens. Et puis, ce Brownie me semble assez débrouillard et intéressé pour être utile.

Mark n’était pas une exception. Les informateurs n’étaient d’habitude que des mythomanes, des ivrognes, des psychopathes et des minables. Malko se leva. L’air frais de la Misère lui avait fait du bien.

— Je vous tiens au courant, promit-il. J’ai besoin de savoir d’urgence la position de Washington sur les Israéliens. Sinon, je risquerais des erreurs fâcheuses.

— Le télex partira dans une heure, affirma le chef de station de la CIA en tendant à Malko une main moite de transpiration. Il avait d’énormes valises sous les yeux et son état ne s’était pas amélioré…

En descendant les lacets de la Misère, Malko se dit qu’au point où il en était, il pourrait aussi bien vérifier une autre information du Derviche. Autant connaître tout le monde dans ce sinistre pot-au-noir. Y compris son « adversaire » irakien. Le secret n’était plus de mise et le Coral Sands se trouvait à moins d’un mille du Beauvallon.

Il avait envie de voir à quoi ressemblait le bourreau du Mont-Hermon, Rachid Mounir. Le sosie de Omar Sharif, avait dit l’Américain, lors de leur première rencontre…

* * *

Il était là, confortablement installé sur une chaise-longue de bois, à côté de la baraque qui abritait le stand du parachute ascensionnel, grande attraction de la plage de Beauvallon. Le sable, en face du Coral Sands, regorgeait de touristes, mâles et femelles. Le ressac venait doucement mourir à leurs pieds, dans un petit clapotis berceur. Malko s’assit sur un rebord de pierre, observant l’Irakien.

La description de Willard Troy était parfaitement exacte. Rachid Mounir était un des hommes les plus beaux qu’il ait rencontré. Une chevelure noire abondante, des traits énergiques, une mâchoire carrée et d’étonnants yeux d’un bleu très clair, tranchant sur la peau mate. Une jeune femme brune, moulée dans une robe en tissu éponge rouge, les cheveux cachés sous un foulard, des lunettes de soleil sur le front, s’approcha de lui. Il se leva et lui sourit, révélant des dents superbes, éblouissantes de blancheur. Il aurait pu faire une très belle carrière à Hollywood.