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La mort. Peut-être.

La gorge sèche, il donna un petit coup de volant vers la gauche prenant le milieu de la route. La vision s’effaça, laissant sur sa rétine deux longues jambes gainées de noir. Terminées par des escarpins très fins. Et un peu de chair blanche au-dessus du bas. Le rêve.

Qui se terminait. Il ne fallait pas que le conducteur de la Land Rover ait le temps d’apercevoir la silhouette de la Cooper. Du même geste, Malko ralluma ses phares et écrasa le klaxon étonnamment puissant pour une si petite voiture.

Pas la place de passer à deux. C’était la collision frontale à 120 à l’heure. La bouillie.

La lueur blanche illumina la masse de la Land Rover à quelques mètres, fonçant sur lui. La distance qui les séparait se mesurait en secondes.

Chapitre VII

Pendant une fraction de seconde, Malko n’entendit plus le bruit du moteur, ne sentit plus le bois du volant sous ses paumes, n’éprouva plus aucune sensation. Le temps semblait s’être arrêté, comme la masse de la Land Rover qui fonçait droit sur lui. Il photographia le visage effaré du Noir qui conduisait, la bouche ouverte sur le cri qu’il devinait, le geste violent pour tourner le volant, puis tout disparut.

La route descendait, vide devant ses phares. Il lâcha l’accélérateur, écrasa le frein, sentit une odeur de brûlé monter de ses freins, parvint à stopper en une cinquantaine de mètres. Il sauta à terre, sans même éteindre ses phares, regarda derrière lui, pour se convaincre qu’il n’avait pas été le jouet d’une illusion.

Rien. La route vide qui montait, les pentes sombres, pas une lumière.

La Land Rover avait bien plongé dans le ravin.

Cette fois, il remonta dans la Cooper et repartit en marche arrière. Il n’avait même pas le courage d’effectuer un demi-tour. Ses bras semblaient peser du plomb. Les phares éclairèrent une traînée noirâtre sur le sol. Trace de freinage. Il remonta encore un peu et stoppa, éteignant ses phares.

Il marcha jusqu’au bord du précipice, sonda l’obscurité, prêta l’oreille. Rien que les bruits habituels de la nuit. La pente était presque verticale à cet endroit, se terminant par une sorte de vallée envahie de végétation tropicale. Pas une maison, rien. Soudain, il y eut un « plouf » amorti et une flamme claire jaillit d’un point en contrebas presque au fond de la vallée.

En une seconde, il distingua tous les détails. Un gros rocher noir émergeant de la verdure et la masse de la Land Rover, roues en l’air, écrasée dessus comme un insecte maladroit. Les flammes sortaient de l’avant, puis enveloppèrent brutalement tout le véhicule. Il y eut plusieurs petites explosions, comme des ratés, mais pas un bruit humain. Fasciné et horrifié, Malko regardait son œuvre. À part l’incendie, il n’y avait aucun signe de vie. Les occupants de la Land Rover avaient dû être tués sur le coup par le choc de la chute. Ou ils gisaient quelque part dans la végétation, assommés.

Le conducteur avait commis l’erreur qu’il escomptait. Instinctivement, surpris par les phares de la Cooper, il avait donné un coup de volant à droite, se jetant dans le précipice. Sans même effleurer la petite voiture. Le crime parfait. Tout à coup, Malko réalisa qu’une sueur glaciale dégoulinait le long de son dos. Ce n’était pas la chaleur. Il se recula, la bouche sèche, le cœur battant, se demandant quelle avait été la dernière pensée de l’homme qui conduisait. Il n’avait pas eu beaucoup le temps d’avoir peur. Maintenant, son corps était en train de se recroqueviller sous la chaleur du brasier. Malko avait déjà vu beaucoup de morts brûlés. Ils ne mesuraient plus qu’un mètre à peine. Il revint à la Cooper et pour chasser de son esprit l’horreur, il craqua « une allumette, examina rapidement la carrosserie du côté gauche.

Rien, pas une trace, sur la peinture rouge.

Il se redressa, un goût de bile dans la bouche, un léger picotement sur le dos des mains, les jambes molles.

L’adrénaline continuait à inonder ses artères, lui causant une curieuse sensation, un peu semblable à l’ivresse, mêlée d’une oppression pénible. Lui qui avait horreur de la violence, venait de tuer.

Même si c’était pour éviter d’être tué lui-même, il en ressentait un dégoût profond, une sorte de vide intérieur. Peut-être était-ce aussi le sentiment d’avoir échappé à la mort et de jouir d’une chance insolente. Plus de quarante missions et seulement quelques blessures à l’âme et au corps. Beaucoup d’autres n’avaient jamais dépassé la seconde ou la troisième.

Mais lui vivait, respirait, entendait le bruissement des insectes nocturnes et ces craquements sinistres, beaucoup plus bas. Il se remit au volant pour ne plus voir la lueur montant du ravin, remit en marche.

L’angoisse disparut d’un coup. Il avait envie de crier, de se prouver qu’il était vivant. Il ne sentait plus les nids de poule, ne voyait plus la route. Il ne sut jamais comment il se retrouva dans le parking du Fisherman’s Cove. Dans un autre monde. Un groupe de touristes montaient dans un minibus avec des cris joyeux. Un couple s’éloignait, la main dans la main. Il y avait des bruits heureux, de la lumière, des gens normaux. Comme un robot, Malko coupa le contact, prit sous son siège le sac contenant le Stainless de Willard Troy et entra dans le lobby en plein vent. Il devait avoir l’air d’un fantôme car l’employée de la réception lui jeta un regard étrange. Il s’en moquait. Ce qui comptait, c’était d’oublier l’horreur de la dernière heure. De ce sanglant jeu de colin-maillard. Qui tirait les ficelles ? Qui avait donné l’ordre de tuer sauvagement le malheureux Mark ? Il avait hâte d’être au lendemain, en mer, de s’éloigner de Mahé et de ses complots. Même si le retour risquait d’être pire. La fraîcheur de sa chambre lui fit du bien. Il faisait presque trop froid.

Soudain, il réalisa qu’il lui fallait un dérivatif à son humeur noire. Tout de suite. C’était un besoin urgent qui montait de ses entrailles, comme un spasme irrépressible.

Il n’y avait qu’une solution. Il fallait qu’il fasse l’amour, qu’il se vide dans le corps d’une femme. Peut-être pour se prouver qu’il était bien vivant.

* * *

Le cœur de Malko battait presque aussi fort que sur la route de Niol une heure plus tôt.

Frustration anticipée. Cela faisait la cinquième sonnerie et la chambre voisine était aussi petite que la sienne. Il n’avait même pas pris le temps de prendre une douche et son corps sentait encore la sueur de la peur. Son bras s’abaissa pour reposer le récepteur. Au moment où il allait couper la communication, il y eut un bruit différent.

— Allo ?

La voix essoufflée de la Finlandaise, sa voisine.

Il eut l’impression qu’une énorme bouffée d’oxygène envahissait ses poumons.

— Irja ?

— Oui. Qui est à l’appareil ?

Déclic. L’ordinateur se remettait en marche. Il s’essuya le front, retrouva d’instinct la voix souriante, bien placée, charmeuse, sûre d’elle. Surtout ne pas vexer, effaroucher. Les femmes sont des êtres pleins d’orgueil.

— Votre voisin.

— Ah. Comment cela va ? Je rentre juste. J’ai couru en entendant la sonnerie.

Bon signe. De la chaleur dans la voix. Tout de suite l’estocade.

— Je voulais vous inviter à dîner.